Archives mensuelles : septembre 2017

Je l’ai connu cerisier.

Il y a quelques jours en réunion, la conversation tournait autour de quelqu’un qui malgré une promotion, ne faisait pas grand-chose pour ne pas dire rien.  J’avais l’esprit vagabond. Après un petit soupir, j’ai dit que je n’étais pas surpris car je l’avais connu cerisier.

Cerisier…surprise dans l’assemblée car personne, et c’est normal, ne voyait le rapport entre un arbre et la personne en question. Et voilà comment, je me suis trouvé en situation de raconter une histoire corse. D’où elle vient, je n’en sais rien. Mais après coup, tout le monde a compris ce que je voulais dire.

Il était une fois dans un village, un cerisier. Un arbre magnifique. Au printemps, ses rameaux nus étaient couverts de fleurs. Un peu en retrait de la route, il n’appartenait à personne et aurait pu faire le bonheur de tous les gourmands s’il avait donné des fruits. Il n’en donnait aucun. Les oiseaux l’ignoraient, les amateurs de confitures avaient pour lui un profond mépris et il vivait dans l’indifférence, sa vie de cerisier stérile.

Il a fini par sécher. Sa perte bien entendu, ne désolait personne. Un paroissien avait alors une idée tout à fait pertinente. Le bois était de bonne qualité. Il fallait en faire un grand crucifix qui manquait justement à l’église. L’histoire ne dit pas qui s’est chargé de l’opération mais au bout de quelques mois, un crucifix de belle taille faisait l’admiration de tous les fidèles.

Les années ont passé.

Dans le village, le moral était au plus bas car une sècheresse terrible durait depuis des mois. Les ruisseaux ne couraient plus et la rivière était agonisante. L’arrosage était devenu presqu’impossible et si la nature souffrait, les jardins souffraient encore plus et avec eux les villageois car je vous parle d’une époque où les humains n’allaient pas chercher les légumes au camion ou au supermarché.

Le maire n’y pouvait rien. Il avait donc laissé le curé prendre les choses en main. Celui-ci avait proposé de faire une messe d’action de grâce suivie d’une grande procession. L’église était pleine. Et la dévotion à la mesure de l’urgence. Après la messe, tous se réunirent à l’extérieur pour partir en cortège. Chants, enfants de chœur, encens et en tête du cortège, porté par quatre hommes vigoureux, notre crucifix.

De mémoire d’homme, il n’y avait jamais eu une aussi belle procession. Tous les hameaux avaient été visités et jamais les chants n’avaient faibli. En rentrant à l’église puis chez eux, les villageois sentaient au plus profond qu’ils avaient fait ce qu’il fallait.

Oui mais, une semaine après le ciel était toujours aussi bleu et les humeurs aussi sombres.

Un soir, près de la fontaine bien sèche où se réunissaient les gens, un homme avait fait remarquer que promener le crucifix n’avait rien rapporté. On avait alors entendu un vieux, mais un très vieux, lui répondre « ça ne m’étonne pas… je l’ai connu cerisier »

Il a fallu qu’il s’explique comme je l’ai fait il y a quelques jours. Un petit peu de légende corse dans une réunion très sérieuse ça ne fait jamais de mal.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Lettre ouverte à un imbécile.

Il ne lira pas ce billet. Pourtant je lui dédie. A celui qui cet été, a mis le feu à Candela. Je ne sais pas qui il est. Touriste imprudent, chasseur voulant nettoyer le maquis, être malade ou méchant. Quelle importance.
J’ai connu des gens qui avaient mis le feu. Des bergers voulant faire de la pâture sur brulis, villageois préparant un poste pour la battue en brûlant des ronciers et même des gamins assez perturbés pour allumer le feu tout près du village.
Dans la plupart des cas, le feu leur échappait comme une créature néfaste à qui on donne naissance et qui vous fuit en vivant sa propre vie. J’ai vu celui qui avait failli incendier la vallée courir comme un fou quand il a vu que le vent poussait le brasier plus loin que sa parcelle et sautait la rivière. Je connais celui qui pour le confort de ses vaches a fait monter en fumée la haute vallée de Bocca Bianca. Pendant des jours, un nuage noir a couvert les montagnes. Pas de canadair à l’époque. Le feu s’est arrêté quand il l’a voulu. Je sais qu’il regrette car détruire la forêt n’était pas son but. Mais c’est ce qu’il a fait.
Je voudrais dire ma souffrance quand je remonte la rivière et que je vois les arbres noircis pareils à des squelettes, des reproches vivants pour la bêtise des hommes. De certains en tous cas.
Ma mère me racontait que son père (ce qui nous place au 19ème siècle) lui expliquait qu’on pouvait marcher à l’adret, des Force au Mansu sans voir le soleil car la forêt de chênes était épaisse. Il n’en reste rien. Les chênes ont brûlé. Le maquis haut est venu et puis il a brûlé à son tour laissant place au maquis bas puis après un dernier incendie, c’est le lavandin qui est venu sur une terre appauvrie et emportée par les pluies d’automne.
J’aime profondément le Filosorma parce que mes racines s’y trouvent mais aussi parce que l’endroit est beau. D’une beauté sauvage et triste comme le sont toutes les choses éphémères. Quelques secondes d’inattention ou de bêtise assumée et ce sont des siècles qui disparaissent. Il ne restera bientôt que le souvenir des forêts mortes.
Est-ce que celui qui fait ça a conscience de l’endroit qu’il saccage ?
La rivière et la vallée du Fango font partie d’un site Natura 2000 et de l’une des douze réserves de biosphère de France. On y trouve, pour combien de temps encore, une des plus belles forêts de chênes vert d’Europe, des pins laricio et une faune endémique remarquable. Sittelles, mésanges, gypaète, mouflon, crapauds, lézards…
Comment se mettre dans la tête de quelqu’un capable de détruire tant de choses par bêtise ou méchanceté ? Je n’y arrive pas. Mépris, colère. Et surtout une tristesse infinie devant cette misère dans laquelle il n’y a pas de fatalité mais une habitude silencieuse et complice.

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