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La fin du Balkan

 

Le 15 août 1918, le Balkan quittait Marseille à destination de Calvi. C’était un vapeur appartenant à la Compagnie Fraissinet. Plutôt vieux, pas bien grand, 80 mètres environ et lent. Les navires plus récents de cette compagnie qui assurait en temps normal la desserte de la Corse avaient été réquisitionnés. Le Balkan, comptait 519 passagers à son bord dont 300 soldats permissionnaires.

Une nuit d’août qui devait être belle. A huit miles à peine de Calvi, il est facile d’imaginer les gens accoudés au bastingage en train de sentir, au sens propre, l’île tout proche. Le bout rouge des mégots, les rires peut être, l’impatience d’arriver enfin. Sans doute regroupés par village ou canton, en discutant du chemin qu’il faudrait faire pour rejoindre les siens. A pied pour la plupart et sur de longs kilomètres. A 1 heure 35, un sous-marin allemand est aperçu par tribord. Une torpille, une seule, frappe le navire par le travers. Elle explose et en moins d’une minute, l’avant du bateau se dresse et il s’enfonce par l’arrière. Sept radeaux seulement peuvent être mis à l’eau. Ce n’est qu’à 10 heures du matin, que deux hydravions aperçoivent les signaux de détresse et que des secours ramènent les 102 survivants à Calvi. 417 passagers sont morts.

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Nous l’appelions Ziu Sampieru.. l’oncle Sampiero. Il me semblait du haut de ma dizaine d’années qu’il avait atteint un âge canonique. En fait, il devait avoir tout au plus soixante dix ans. C’était un rescapé du Balkan. Il en parlait peu. Une chose m’a marqué. L’histoire d’une femme qui ne sachant pas nager, avait essayé de s’agripper à un madrier qui flottait. Il me semble que Sampieru pensait qu’elle avait été repoussée. Toujours est-il qu’elle a fini par se laisser aller et il disait que sa robe, pendant qu’elle coulait faisait comme une corolle. Ma mère trouvait que le destin était étrange car ceux qui avaient survécu ne savaient pas nager. Le seul de la vallée qui était mort cette nuit là, savait. Ma tante racontait aussi qu’un pêcheur de Girolata avait vu le sous-marin dans la baie, plusieurs nuits de suite. Aghju vistu u cudogliu!! J’ai vu le cachalot. Aux yeux d’un berger, le dos noir d’un sous-marin aux aguets ne peut rien évoquer d’autre qu’un mammifère marin.

Quatre cents morts et deux ou trois anecdotes. Et c’est tout. Une stèle sur la route de Calvi. Pas grand chose dans les livres d’histoire pour ne pas dire rien. Il aurait fallu un autre Daudet pour raconter ce que fut ce naufrage. Et encore. Il y a tellement eu de morts que ceux là n’ont pas compté bien lourd. Des femmes, des gosses, des permissionnaires blessés ou non. Des petites vies qui s’arrêtent.

J’aimais bien parler avec les vieux. Une chance d’avoir appris la langue corse sans m’en rendre compte en l’écoutant à la maison. Pour être tout à fait honnête, je ne crois pas que j’étais conscient à l’époque d’être un petit passeur de mémoire. Mais tout de même, je pressentais qu’il était important de se souvenir des gens et de ce qu’avait été leur vie.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…