Bocca i Mori.. col des Maures..toponymie

Se rendre au col des Maures n’est pas bien compliqué. En passant par Vergio en tous cas. Parce que de l’autre côté, on arrive au pied de ce col en remontant à partir de Saltare jusqu’aux bergeries de la Uscella et c’est une paroi réservée aux alpinistes qui s’offre à vous. Donc l’appellation col est un tantinet excessive puisque le passage ne permet pas vraiment de passer d’une vallée à une autre. C’est une brèche étroite qui permet ensuite deux ascensions bien plus escarpées à savoir le Capu Tafunatu (article dans ce blog) et a Paglia Orba.
La randonnée jusqu’à a Bocca di i Mori se fait dans la journée. Le départ est situé dans le fameux virage du fer à cheval en dessous du col de Vergio en direction de Calacuccia. On peut aussi partir du col. Il suffit ensuite de remonter le GR en passant par les magnifiques bergeries des Radule, la vallée de Tula pour arriver enfin au refuge de Ciuttulu di i Mori. Un sentier bien marqué démarre derrière le refuge et remonte parmi les roches rouges pour atteindre le col des Maures en peu de temps. Cette randonnée, en aller-retour, c’est une quinzaine de kilomètres pour 700 mètres de dénivelé environ.


Mais ce qui m’intéresse dans cette affaire, c’est l’origine du nom de ce col.
Suivant la tradition orale, il proviendrait d’une bataille où auraient été exterminés, en ce lieu, des Sarrasins. Je m’autorise à en douter vu l’emplacement et l’éloignement avec la côte.
Des ouvrages plutôt récents ou très anciens, notamment la Chronique médiévale Corse de Giovanni Della Grossa peuvent ils nous éclairer ?
Il n’y a aucun doute sur le fait que l’île fût soumise de l’an 800 à l’an 1000 aux raids de féroces Sarrasins et que les Corses, chrétiens depuis des siècles (on y reviendra) , se réfugièrent par milliers à Rome et dans les états pontificaux. Ceux qui n’avaient pu rejoindre le continent, abandonnant les villages côtiers devenus trop dangereux pour s’installer sur les hauteurs, réclamaient l’aide de la chrétienté en résistant aux infidèles.
L’ouvrage de Della Grossa a été analysé par des historiens qui ont démontré que s’il contenait diverses erreurs (le personnage légendaire Ugo Colonna par exemple), il devait toutefois être regardé avec intérêt car il était la somme des idées de nombreuses générations de corses, idées transmises par tradition orale. Ces mêmes historiens reprenant les récits de libération de la Corse de l’occupation maure constatent toutefois que les chroniques locales ont exagéré l’importance de leur domination. Ils se réfèrent au plus autorisé des chroniqueurs arabes, Ibn-el-Athir (1160-1223) Celui-ci ne consacre qu’un seul chapitre à toutes les entreprises des musulmans, et il affirme que durant leur séjour, elle était administrée par le Rûm, c’est-à-dire l’élément italien. ” et concluent : “ il n’y eut jamais à proprement parler de domination sarrasine; si les Maures parvinrent à occuper certains points du littoral ou même à établir des campements dans la montagne, leur autorité ne laissa pas de traces. ”. Ainsi, la Corse n’est pas, pour les musulmans, un lieu de civilisation, c’est simplement une terre de raids et dépôts.
Mais alors si la Corse n’était pas conquise réellement par les sarrasins, contre qui les chevaliers chrétiens se sont-ils battus ?
En fait, il faut en revenir à la christianisation de la Corse. Elle ne fut ni uniforme ni rapide. La christianisation de la Corse a été tardive, au IV° siècle à partir de Mariana et Aleria. Selon Diunisu LUCIANI (A Corsica tempa lli sarragini livre paru en juillet 1998) les habitants de la Corse se répartissaient en trois catégories. Sur la côte orientale, dans le Nebbio, dans la région de Sagone et du Cap, ils sont romanisés et en grande partie christianisés. Dans les vallées proches de ces centres d’échanges et de culture romaine, comme la Casinca, ils sont déjà romanisés mais peu christianisés. Sur les hauteurs, comme le Niolo, ils ont peu de contact avec l’extérieur et ne sont pas christianisés.
Une question doit alors être résolue. Pourquoi, alors que la Corse n’est pas une terre musulmane, la toponymie rappelle si souvent le nom des Maures, principalement dans des parties de la Corse situées à l’intérieur (Niolo, Rustinu, Sartinese, Alta Rocca, Taravu, Cuscione mais aussi Balagna). Et pourquoi, les lieux désignés sont-ils principalement des monts et des cols. A bocca à i mori, a sarra di i mori, u ciottulu di i mori, a cima à i mori, u ponti murricioli et même a moresca, chanson de geste la plus présente dans la culture corse.
L’hypothèse la plus vraisemblable est que cette appellation de « Mori » doit s’entendre par “ Corses païens ”. La toponymie maure s’expliquant alors dans les montagnes corses comme des points de résistance des Corses païens à la reconquête effectuée par les armées chrétiennes envoyées par le Pape. Giovanni Della Grossa (exemples non exhaustifs) indique que certains des combattants sont des “ Maures de race chrétienne ” que L’Ile est “ pleine d’ennemis ” et les chevaliers sont “ assiégés ” et que les chevaliers sont présents pour lutter contre “ les infidèles ” et “ conquérir une terre qui avait appartenu à l’Eglise ”.
Bref, comme on a coutume de le dire, l’histoire appartient au vainqueur. Il était sans doute plus flatteur de présenter un épisode violent de christianisation forcée comme un épisode de victoire sur des infidèles sarrasins.

Documentation plus complète dans cet article de l’Accademia Corsa à consulter ici

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

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