Il y a bien longtemps, j’avais une dizaine d’années, le temps était maussade sur le Filosorma. Et bien pire vers la mer, du côté de Galeria. Au-dessus du Fango, j’ai vu planer un grand oiseau blanc. Ma mère m’a dit que c’était un balbuzard qui remontait le fleuve pour chasser quand la tempête était trop forte sur le littoral. Elle disait « l’aigle marin » alors qu’une autre traduction est proposée dans les sites de référence. Mais peu importe.
C’est en décembre 1975 que la réserve de Scandola a été créée et, c’est donc quelques années plus tard que je me suis intéressé de nouveau au sujet de l’aigle pêcheur. J’ai le souvenir de l’opposition de certains à cette réserve. Les pêcheurs en particulier, n’appréciaient pas de se voir priver d’une partie de leur territoire. Et pour être franc, l’idée de permettre à des oiseaux de retrouver leur habitat, semblait inutile et même farfelue.
Les questions du début se sont vite évaporées. Les pêcheurs n’ont pas été privés de ressources. Bien au contraire, un espace protégé a permis une reproduction importante de poissons qu’ils pouvaient capturer en bordure de réserve. Et l’endroit (j’en ai parlé ici même), exceptionnel, est devenu un symbole éclatant de la beauté de l’île attirant de nombreux touristes et faisant naître une activité dédiée.
Hélas. De la fréquentation faible qui a suivi le classement jusqu’à nos jours, le nombre de visiteurs a explosé. Les chiffres font débat mais sans nul doute, ce sont plusieurs centaines de milliers de visiteurs qui vont dans la réserve classée en 2020 au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Comme la visite ne peut se faire qu’en bateau, l’offre a augmenté. Plusieurs dizaines de compagnies proposent la balade sans parler des plaisanciers en voilier ou en embarcations rigides avec un moteur. Or, la réserve est petite et cette fréquentation est concentrée sur trois mois. Peu de moyens, pas de suivi et une gestion par le Parc qui n’a pas été optimale. En 2018, le conservateur du site met les pieds dans le plat en mettant en cause les bateliers, relayé par les associations qui demandent une interdiction totale d’accès à Scandola.
Les politiques se sont emparés du dossier sans que les choses avancent. Du moins jusqu’en 2020 où la réserve est étendue sans que pour autant les problèmes le plus épineux soient réglés, à savoir la délimitation des zones de pêche, de mouillage, celles de quiétude autour des nids de balbuzards et surtout, l’épineux problème de la fréquentation touristique.
Aujourd’hui, c’est une opposition frontale qui apparaît. Les pêcheurs ne veulent pas d’une limitation de leur espace de travail. Et ce qui est étrange, c’est la réaction du président de l’office de l’environnement de la Corse. Il déclare que les nids étant vide, ça ne servira à rien de mettre la réserve « sous cloche ». Et bien sûr, il oublie de dire que c’est le dérangement nautique, omniprésent à l’aplomb des nids notamment en été » et qui « est une source importante de stress pour les oiseaux».
Le CESECC (Conseil économique, social, environnemental, culturel de la Corse) dans son avis 2024-27 fait part de son inquiétude en soulignant que « le balbuzard, espèce protégée et indicateur de la qualité de la biodiversité marine, connaît de manifestes problèmes de reproduction causés par le trafic maritime lié aux loisirs en mer, malgré les mesures de suivi effectuées par le PNRC et le Parc marin du Cap Corse et de l’Agriate … Cela met en lumière le besoin au sein de ces aires marines protégées d’une accentuation des contrôles du respect des arrêtés préfectoraux pris par la mise en oeuvre de zones de quiétude pour la protection des balbuzards ».
Sauf que ces arrêtés protègent de moins en moins de zones… La disparition définitive du balbuzard au sein de cette zone marine protégée semble programmée : une espèce endémique sacrifiée aux intérêts économiques d’un tourisme invasif.
Tout est dit. Il aurait suffi de trouver un équilibre. Tant pis pour le balbuzard qui ne vote pas.
PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…
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