Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!
Toussaint se leva tôt le lendemain avec des idées noires. Il était le premier de la petite bande à rejoindre le continent. Tout le monde dormait dans la maison. Et même si d’aventure quelqu’un était réveillé, il aurait fait semblant de somnoler encore. Personne ne se serait hasardé à lui faire la conversation au moment précis où il apprêtait la voiture pour le départ.
Il expédia son café, debout devant la porte en s’emplissant le cerveau de souvenirs pour les dix mois à venir. Le torrent, les collines en face de la maison et sur la droite, les montagnes encore humides de la nuit. Toussaint soupira. Il ressentait une profonde tristesse, toujours la même depuis tant d’étés. Le pire c’est que cette tristesse l’étreignait à peine arrivé. Trois ou quatre semaines, ça pouvait sembler long et suffisant. Il s’en réjouissait d’avance. Mais, dès qu’il était au village, il commençait plus ou moins inconsciemment un compte à rebours. C’est bon, se disait-il, il me reste encore trois semaines, puis il raisonnait en jours, encore quinze puis dix. Il finissait par intégrer à ce funeste calcul le jour du départ, histoire de faire un compte rond. Puis, il comptait en heures. Et là ça allait très mal. Il faut dire que dès qu’il était revenu au village, jeunes et vieux lui disaient invariablement, tu ne restes que trois semaines, c’est court, tu pars déjà!. C’était leur manière à eux de lui faire sentir qu’ils l’aimaient, qu’ils auraient bien voulu qu’il reste toujours, mais ces réflexions lui cassaient le moral.
Il en était là, sous les châtaigniers, devant la vieille fontaine en regardant d’un air morose, la voiture bien chargée et parfaitement indifférente.
Il n’entendit pas Ange-Etienne qui s’approchait. Le patron du bar s’assit à coté de lui avec un « ..heu.. » chuchoté qui lui fit tourner la tête. Ange-Etienne qui avait connu, l’ambiance du départ, ne s’offusqua pas de l’absence de réaction de son interlocuteur qui scrutait à nouveau son véhicule. Le silence se prolongea un long moment. Ils étaient épaule contre épaule sans se parler mais en se disant tout.
Toussaint soupira pour la dixième fois de la matinée puis se tournant vers son voisin silencieux, lui demanda « …Ca va, toi?.. ». Lui ça n’allait pas, c’est ce que la question voulait dire. Ange-Etiennne, les yeux dans le vide, répondit que ça lui faisait drôle de voir le village se tarir. « …J’ai beau connaître ça tous les ans, je ne m’y habitue pas… ». Puis, il rajouta, en le regardant cette fois … »Toussaint, ce matin, en me levant, il y avait le tuner qui était revenu à sa place…comme tu t’es levé tôt, tu n’as remarqué personne près du bar?… ».
Malgré son spleen, Toussaint s’esclaffa. « …Ange-Etienne, on te fait vraiment tourner en bourrique! Non, je n’ai vu personne mais ça ne signifie rien, parce que ce matin, j’ai la tête à ces foutues valises… »
« …Oui, je m’en doute. Je connais ça. Mais, vous en pensez quoi vous autres, Marco, Pascal. Vous êtes du village mais vous vivez à l’extérieur, donc vous voyez les choses avec plus d’objectivité. Vous parlez plus franchement… »
Marco, Pascal, Toussaint, Fanfan. La fine équipe qui avait fait enrager le canton par ses plaisanteries, ses blagues nocturnes. Voilà qu’un ancien lui demandait son avis. Toussaint sourit, il avait donc sacrément vieilli.
« …Tu sais, Ange-Etienne, on en a peu parlé en définitive de cette histoire et je ne sais pas ce qu’ils en pensent. Moi, au début, j’ai cru que c’était une grosse macagne mais dès qu’on a cassé l’antenne, je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus sérieux.. »
Il s’arrêta de parler une minute ou deux puis reprit après avoir de toute évidence pesé les mots qui allaient suivre.
« …Tu as raison quand tu dis qu’on est à la fois dans et hors du village et que ça nous donne un peu de recul. Quand, on se retrouve sur le continent avec les autres, on ne parle presque que de ça. Je ne crois pas une seconde que ce soit Hyacinthe. Il est à l’ancienne. Ce qu’il a à dire, il le dit comme l’autre soir mais jamais il ne ferait un coup à l’appiatu, en douce. Ce n’est pas un mesquin… »
« …Je suis d’accord avec toi. Je suis même monté le voir pour lui demander s’il avait vu quelque chose. Il m’a répondu à sa façon qu’il avait vu mais je ne lui pas demandé quoi; Ca l’aurait vexé… »
« …Bon. Dans ces conditions, il faut chercher autre chose. Ce n’est pas un coup des nationalistes. Ils ont d’autres chats à fouetter et en général, ils ne tirent pas des coups de canon dans leurs propres batteries…Moi, je penserai plutôt à une affaire d’envie… »
« …d’envie?… »
« …Ecoute, on est entre nous. On peut parler. Tu sais bien que dans les villages, en Corse comme ailleurs sans doute, les gens, ils ont l’impression qu’il leur manque quelque chose si un autre réussit ou fait quelque chose de bien. Le pire c’est quand ils ne peuvent pas avoir, que c’est impossible d’avoir, ce que le voisin il a…Une voiture, tu peux en être jaloux et te guérir en achetant une plus belle. C’est de la jalousie et ça se soigne. Mais l’envie, c’est plus grave parce que tu ne peux pas obtenir plus beau et ça te ronge. Alors tu casses ce que ton voisin ou ton parent il a, et que toi tu ne pourras jamais avoir… »
« …Ce n’est jamais qu’une télé et une antenne. Tout le monde peut se l’offrir… »
« …Oui. Mais l’ambiance qui va avec, le fait que tu deviennes un peu l’âme du village, celui dont on parle, qui organise des choses auxquelles d’autres n’ont pas pensé, ça a pu en enrager au moins un… »
« …Je me serais fait un ennemi en quelque sorte?… »
« …Voilà…mais ce qui est dommage, c’est que je ne verrai pas la fin. Il faudra que j’attende que tu me téléphones pour me dire la suite… ».
Capicursura o auturnu, cume vo vulete!
PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…