Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!
Dans ces cas là, il faut éviter avec soin d’accourir. Le premier arrivé n’est responsable de rien mais sa présence fait de lui le réceptacle de toute la fureur. C’est frustrant d’insulter les saints, ils ne répondent pas et il est clair qu’ils s’en foutent. Tandis que, un qui arrive avec la bouche ouverte, la figure de l’innocence interloquée et curieuse, celui-là, c’est la victime idéale. La délectable erreur judiciaire. Ils attendirent donc tous un long moment avant de se rapprocher de l’épicentre. A dire vrai, même les plus intrigués prirent le temps de boire un café et même deux.
Aussi, au bout d’une bonne demi heure, sans avoir l’air de rien, apparurent les courageux. Comme pour la Nativité. Ils venaient d’un peu partout, convergeant à petits pas, vers la crèche. Point de bœuf, ni d’âne encore que les quelques jurons vaguement beuglés, qui s’entendaient encore pouvaient laisser accroire que c’était bien une bête qui avait élu domicile dans le bistrot.
Ils n’eurent pas besoin d’aller quérir l’information. La cause des cris pendait le long de la façade. Une espèce d’aigle marin, tout blanc, tout blessé, tout disloqué, deux morceaux d’antenne parabolique. Un os de seiche incongru accroché à un fil. Un appât en somme qui avait rempli son office puisqu’il avait attiré les badauds. Ils s’étaient tous arrêtés sur le jeu de boules sans rien dire. Il y avait offense. La sortie d’Ange-Etienne sur la terrasse du bar, bras croisés sous visage raidi, sonna comme un évident signal de repli. Arroser le jardin devenait prioritaire tout comme préparer le repas du midi. Retraite générale. Il fallait attendre la suite des événements.
La suite était bleue comme on pouvait s’y attendre. L’adjudant et son gendarme arrivèrent sur les lieux à peu près au moment où les témoins silencieux s’en retournaient vaquer. Desagès et Pekarski entrèrent dans la salle du bar encore fraîche. Ange-Etienne était retourné à l’intérieur en les voyant arriver et ils les attendait derrière le comptoir en nettoyant des verres. Il nettoyait le même depuis un moment, nota Pekarski, signe patent de nervosité. Mais il ne dit rien. Le militaire apprenait à son rythme, mais il apprenait tout de même. Il saurait bientôt se taire à bon escient.
« …Je me suis levé tôt ce matin parce que je voulais descendre à Calvi refaire le plein de cigarettes… » Personne ne lui demandait rien, et il commençait à parler. Grosse déstabilisation pensa l’adjudant… »…J’ai branché la télé pour avoir les informations et ça ne marchait pas. J’ai tripoté le tuner et ça ne marchait toujours pas, alors j’ai été voir si l’antenne elle n’était pas débranchée. Et là, je l’ai vue qui pendait en deux morceaux bien fendue dans le travers… »
Desagès prit le temps nécessaire, non pas pour assimiler l’information qui était simple, mais pour montrer à son interlocuteur toute l’importance qu’il attachait aux faits décrits avec autant de sobriété. Il plissa les lèvres. Et céda un instant au plaisir coquet de donner le spectacle de l’intelligence au travail. C’est le problème des séries télévisées. Tout gendarme, tout policier, se prend un bref instant pour un héros récurrent. Avec toute la prudence requise, il finit par émettre une hypothèse inquiète et chuintée… » Le colis d’il y a quinze jours et l’antenne de cette nuit, on dirait presque que quelqu’un vous en veut… ».
A Pont-à-Mousson ou Hénin Liétard, il est vraisemblable que cette phrase eut été interrogative. Ici, c’était une affirmation prudente. Elle sous-entendait que la victime pouvait avoir un ennemi. Or, avoir un ennemi signifie qu’on a pu mal se conduire. Personne ne vous en veut sans raison. Liminaire a priori insupportable. Ensuite, poser une question sur ce thème sous-entendait qu’il puisse y avoir une réponse. Or, penser qu’Ange-Etienne à supposer qu’il sut quoique que ce soit, accepte de parler était une double offense. S’il connaissait le coupable, il ne l’aurait pas désigné aux gendarmes, premier manquement au code, et s’il l’avait connu, il en aurait fait son affaire tout seul, comme de bien entendu. Poser la question c’était supposer le contraire et donc lui manquer de respect. D’où l’affirmation. Prendre sur soi la mauvaise idée pour ne pas infliger à l’autre l’obligation de dire ce qui le blesse. Desagès se promit d’expliquer ça à son subordonné mais se rendit aussitôt compte qu’il n’aurait jamais les mots pour exprimer une approche aussi subtile.
La victime apporta la réponse convenue. « …Vous avez sans doute raison…mais je vois pas qui peut m’en vouloir… » . Sans doute. Mais la réflexion devait être en marche depuis un bon moment. Par tri successif. Pour arriver à ceux qui étaient capables moralement et physiquement d’oser. Dans ces cas là, on attend. Il faut se concentrer sur tout autre chose. Une mouche est bienvenue, clap, fait le chien en attrapant la mouche et ça permet d’attendre le moment de passer à autre chose. Des faits si possible. Aucun jugement de valeur. . » Pour monter sur le toit, Monsieur Ange-Etienne, comment on peut faire?… »…
« …On peut monter par l’intérieur, il y a une trappe qui donne sur la petit terrasse et puis de là, il suffit d’enjamber mais la maison est fermée. Sinon, et c’est ce qu’ils ont dû faire, c’est mettre l’échelle sur le cerisier, monter au milieu de l’arbre et de là ils arrivent à la terrasse. C’est pas bien acrobatique…. » Pekarski nota le pluriel. Des suspects. Plus tard, son chef lui expliqua que ça ne voulait rien dire. Il n’est pas facile d’accuser quelqu’un, même sans le nommer, et que le rite commande pour diluer la portée de sa phrase, d’impliquer un nombre, un groupe plutôt qu’un individu.
Ils montèrent ensemble sur la terrasse où la parabole pendouillait. Elle s’était brisée, puis repliée sur elle-même sous l’effet de la chute et du mouvement de balancier auquel l’avait contraint le câble ombilical. Pas de trace de coups sur la victime. Elle avait été dévissée puis poussée dans le vide. « …Vous n’avez rien entendu?… ». « Non, on dort de l’autre coté. »
En redescendant, Pekarski demanda du regard l’autorisation de parler. Il l’obtint. « Dites, on dirait que c’est à votre télévision qu’on en veut. L’autre jour le paquet était placé dessous et là c’est l’antenne qu’on vous casse… ». Ils se trouvaient dans une espèce de grenier. Ange-Etienne était au-dessus d’eux en haut d’une échelle meunière en train de faire redescendre la trappe qui commandait l’accès à la terrasse. Il baissa les yeux vers le gendarme. « …Qui pourrait en vouloir à la télévision?… »…Puis alors qu’il entamait à son tour la descente, le dos tourné, il rajouta… »Surtout que ce soir, il y avait match et que du coup, il ne le verront pas, parce que le gars de l’antenne, il ne pourra monter la changer au mieux que dans deux jours et encore il fait ça parce que c’est un petit neveu du coté de ma femme… Sinon, c’était un coup de deux semaines… ».
Le gendarme enhardi, c’était la première fois qu’il ne récoltait pas une réponse désagréable, se relança… »…L’autre jour aussi, c’était jour de match…Il y en a peut être un qui n’aime pas le ballon… » Le patron du bar qui avait terminé sa descente, le regarda sans rien dire, puis émit comme un « …Umbeh… » qui pouvait sonner aussi bien comme une approbation que comme la marque du mépris mérité par une hypothèse aussi farfelue. De retour dans la salle du bistrot, à la différence de leur dernière visite, les gendarmes enregistrèrent une plainte. Pour l’assurance, précisa le plaignant parce que sinon, « …même pas on en parle… ».
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