Début de saison…5ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le Sporting ce soir là battit largement Guingamp qui venait d’être promu par quatre buts à un. Les Bretons avaient ouvert le score en tout début de match sur une action, entachée, forcément, d’un hors-jeu qu’un arbitre à l’évidence vendu aux équipes continentales n’avait pas voulu voir. Aux hurlements du stade, répondirent ceux de la salle et à défaut de pouvoir s’accrocher au grillage, certains vinrent mettre en péril l’équilibre du pétrin.
Pour des raisons inverses, l’égalisation puis les buts suivants furent salués par des manifestations comparables si ce n’est qu’elles étaient alors, dictées par le noble sentiment de voir la justice enfin rétablie. A vingt deux heures trente environ, Ange-Etienne ferma le bar après le départ du dernier commentateur sportif. La soirée avait été belle. C’était un premier  match à domicile et une vraie réussite… Pas de sandwiches au merguez, sous les tribunes mais des pastelle. Pas de bière, mais de l’eau de vie. Finalement, une innovation très positive.
La semaine qui suivit fut celle des fenêtres qui s’ouvrent. Les vacances avaient commencé et les familles rentraient au village. Les maison s’ébrouaient. Tard dans la nuit, des lumières restaient allumées à peu près partout et Hyacinthe d’en haut voyait comme une guirlande. Les grands trous d’eau, i pozzi, s’étaient remplis de gamins braillards et encore pâlots.
C’était la période des retrouvailles aux invariables questions où on devait pêle-mêle  donner des nouvelles rassurantes sur ces succès scolaires, affirmer haut et fort qu’on préférait la Corse au continent et refuser avec tact la sempiternelle grenadine. Tu as appris à parler corse……oui…comment tu dis bonjour…arrête…il vaut mieux que tu parles français que d’estropier le corse…
Les enfants faisaient un tour rapide de chaque maison pour saluer la parentèle. C’était un premier devoir de vacances. Il convenait de n’oublier personne. Le terrible dilemme chez les vieilles tantes où il fallait choisir entre le sirop d’orgeat et la grenadine parce qu’il a été dit qu’on ne refusait pas. Plus tard, lorsque la chaleur était un peu retombée, les parents après un coup de ménage, une maison qui reste fermée est pleine de poussière, passaient une tenue décente, pantalon à manches longues et chemisette, et se préparaient, avec une mine de circonstance, aux visites de condoléances.  Ce n’est  qu’après ces exercices obligés que les vacances commençaient.
Le bar connaissait sa période faste. Le camion des glaces montait deux fois par semaine. Le soir, alors qu’un petit vent descendait de la grande barrière toute rouge devant le dernier soleil de la journée, les touristes refluaient et c’était l’heure de l’apéritif. Pastis. Ou pastis. Et politique. Il y avait un plaisir un peu pervers à se trouver là à renouveler, une année après l’autre les mêmes gestes aux même heures. Une forme d’ennui, une indolence dont chacun était plus ou moins conscient mais que personne n’avait envie de combattre. L’impression d’être à sa place dans une pièce écrite pour chacun avec des dialogues identiques, des réparties prévisibles avec des rires annuels. Les vacances ne duraient pas assez longtemps pour qu’on s’en lasse.
Le Sporting jouait son premier match à l’extérieur. Leader du championnat après sa victoire à domicile, il se déplaçait à Bordeaux. Ange-Etienne avait tiré un câble d’antenne et installé le grand écran sur la terrasse. Il y avait foule. Au milieu du groupe, Cat qui vivait le reste de l’année à Bordeaux était devenue pour un soir la cible des macagne en tout genre. Et pour qui tu es? Tu n’es  même pas née au village. Dans ces cas là, le discours de raison ne sert à rien et puisque quelqu’un choisit de te mettre dans un camp, et bien tu joues dans ce camp là. Cat fila sa partition de parfaite bordelaise. Elle fut bordelaise jusqu’au bout des ongles et comme les plaisanteries devinrent acides lorsque les Girondins ouvrirent puis aggravèrent le score, elle se girondinisa en proportion. Il faut en Corse être dans un camp. Bordeaux l’emporta largement et Cat qu’on avait placée sans qu’elle le choisisse sous une bannière gauloise se fâcha pour le coup avec deux ou trois cousins. Jusqu’au lendemain.
Les gendarmes faisaient désormais une ronde hebdomadaire. Ils traversaient le village écrasé de chaleur au ralenti. Pekarski avait abandonné toute velléité verbalisatrice.
Dans sa mécanique pendulaire, le championnat de France commandait que le match suivant eut lieu à Furiani. Mercredi soir. L’affaire était d’importance. L’ennemi héréditaire, le Marseillais était annoncé en Corse. C’était une rencontre à haut risque. Le stade était toujours plein. Bien des années auparavant, des gens étaient morts dans le stade  en tombant d’une tribune disproportionnée que la cupidité et l’inconscience qu’on avait laisser édifier à de piètres responsables qui savaient que l’affiche allait drainer du monde de toute l’île.
Le mercredi matin, un hurlement de colère réveilla à une heure indue tous ceux qui dormaient aux environs du bar. En Corse, il y a peu de gros mots. Il faut éviter les insultes. C’est l’assurance de l’escalade. En revanche, on blasphème. Là c’était un rare mélange des deux. Ange-Etienne prenait à partie l’humanité entière et tous les saints. Il perdait en cet instant toute chance d’entrée directe au Paradis. Même Saint Pancrace, patron du village, en prenait pour son grade. La Sainte Vierge, après avoir tant souffert à ce qu’on dit, devait se pencher sans nul doute à ce moment précis pour voir qui lui prêtait tant de défauts.

Claude Papi et u populu bastiacciu

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

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