Début de saison….16ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le soleil était un peu plus haut désormais. Pascal, Marco et Fanfan arrivaient ensemble avec la même mine. Une dernière macagne pour la route. En faisant semblant d’être aussi enjoués que d’habitude, pour aider Toussaint à partir.
Fanfan restait en Corse mais pas au village. Il y retournait quand même pour les congés et parfois en fin de semaine. Pascal et Marco qui vivaient comme Toussaint sur le continent repartaient le lendemain et le surlendemain. Une répétition en somme. Ils saluèrent Ange-Etienne qui repartait vers le bar. Il savait que la fine équipe ne tarderait pas à être mise au courant du retour matinal du décodeur et ne souhaitait pas plus que ça entendre les plaisanteries qui allaient s’ensuivre.
« …Ô Toussaint, tu nous quittes? Tu pars ou tu t’en vas?… »
Depuis toujours Pascal commençait de façon invariable son approche par cette plaisanterie. Il la faisait d’autant plus volontiers qu’il savait qu’elle allait lui revenir dès le lendemain, quand assis sur un muret identique, il tirerait le même museau devant une voiture chargée de valises toutes pareilles.
Toussaint savait tout cela. Il supportait bien le rite car le plaisantin au fond n’avait aucune envie de rire. De la même manière qu’en Corse on ne dira jamais qu’un enfant est beau pour ne pas lui porter le mauvais œil, et bien, on feint parfois de s’amuser pour mieux exprimer sa peine.
« …Moi, je pars mais il y a quelque chose qui est revenu cette nuit… »
« …Euh! L’intelligence à Gonthier?… »
« …Non, Pascal. C’est le tuner d’Ange-Etienne qui s’en est rentré chez lui après une nuit et un jour de vadrouille… »
La nouvelle méritait qu’on fasse un tour au bar histoire de voir la tête du patron et de la taquiner un peu, s’il était d’humeur. Ange-Etienne les attendait. Il les connaissait assez pour savoir qu’ils ne manqueraient pas une occasion de s’amuser un peu et puis de toutes façons, le matin du départ, ils venaient toujours boire un dernier café.
Ils s’accoudèrent au comptoir avec l’air prévisible de ceux qui savent mais qui attendent le moment propice. Après quelque propos d’une banalité outrée sur les orages en montagne, Marco finit par se retourner et embrasser du regard la salle du bar. Ses yeux flânèrent sur les tables, le pétrin. Il ne regarda pas la télévision mais en se retournant vers Ange-Etienne, il dit « …Alors, il paraît que Pomponette est rentrée… »
Pascal renchérit aussitôt dans un duo bien réglé « …Autant, si ton tuner, il a passé la nuit avec un autre, il te fait des petits et tu pourras faire un élevage… »
Le patron supporta en silence. Il haussa les épaules puis laissa tomber avec fatalisme. « …la télé, ô zitté, je vais la revendre. Cette hiver, puisque ça gêne quelqu’un, et bien on regardera griller les châtaignes et ceux qui veulent des informations fraîches, ils n’auront qu’à mettre le Corse-Matin au freezer… ».
Toussaint partit en fin d’après-midi. Pascal et Marco les jours suivants. Un lancinant coup de klaxon fut leur dernier adieu. Le village était vide. Les derniers touristes trouvaient sans peine à se garer. Ils n’avaient plus besoin de monter jusqu’à l’église. De petites troupes, sans enfants, descendaient au fleuve où les attendait une eau bien refroidie par les orages qui désormais éclataient chaque nuit.
Fanfan resta trois jours de plus, jusqu’à la rentrée. Puis comme les autres, il ferma la maison. La lourde clé en fer forgé qui pesait ses deux livres alla se nicher sous la grosse pierre près de la fenêtre de la cuisine. Il fit un dernier tour au bar. Il demanda à Ange-Etienne s’il était sérieux lorsqu’il parlait de vendre la télévision. Celui-ci sourit et répondit que non. Il ajouta néanmoins qu’il ne renouvellerait pas les soirées pour les matchs à domicile. Question d’ambiance rajouta-t-il. Cette nouvelle rassurante fut aussitôt communiquée à ceux qui appelaient du continent de temps à autres pour savoir comment le vent tournait.
Bastia ce soir là alla faire un méritoire match nul à Sedan. Ils étaient quatre ou cinq dans la salle en formation pré hivernale. Les vestes de treillis étaient de sortie car il faisait presque froid en sortant de la salle. Le lendemain, le boulanger ne passa pas car il avait repris le rythme de la morte saison, une visite tous les trois jours seulement.
C’est dans un village tranquille sous un soleil qui faisait encore des façons que les gendarmes arrivèrent en cours d’après-midi. Desagès et son acolyte s’arrêtèrent chez Ange-Etienne. Leurs haltes en automne étaient plus longues. Ils avaient moins de soucis. La terre et les hommes reprenaient leur souffle après deux mois d’été.
« …Je suis venu vous saluer Monsieur Ange-Etienne, une dernière fois. Je suis promu et je quitte la Corse… »
L’adjudant avait un sourire, un peu semblable à celui de Toussaint, Pascal et les autres quand ils montaient une dernière fois dans la voiture en direction du port. Le militaire semblait mélancolique lui aussi. Le patron faillit dire « …ça se fête… » mais se ravisa car cette invitation pouvait laisser croire qu’il se réjouissait du départ de l’adjudant. En fait, il pensait à la promotion. Le temps qu’il trouve la formule satisfaisante, Desagès avait repris la parole.
« …Il y a quelques jours que nous ne sommes pas montés jusqu’ici. Beaucoup de travail à la plage. Mais, s’il y avait eu quelque chose vous m’auriez appelé n’est ce pas?… »
Ange-Etienne n’était pas de ceux qui préjugent de la sottise de leur interlocuteur. En Corse, on sait qu’il faut déchiffrer ce qui est dit et que le dialogue est juste un paravent derrière lequel les choses importantes sont en attente. Celui qui énonce ces choses sait que celui qui les écoute va comprendre. La réponse doit être du même tonneau. L’adjudant connaissait à l’évidence tous les développements qui avaient animé la communauté.
« …Il y a eu des choses mais rien qui vaille qu’on vous dérange. Des affaires qu’on a réglées entre nous. Des enfantillages… »
« …Je comprends, du moment que vous avez retrouvé votre bien…et que le feu n’a pas été plus loin, c’est vrai que c’était sans importance.
Ange-Etienne sourit. Le gendarme était au courant de tout. Il leur proposa machinalement un café qu’à sa grande surprise les militaires acceptèrent. Ils allèrent même jusqu’à s’asseoir après avoir ôté les képis. Sans rien dire, il sortit même une bouteille de marc et arrosa le reste de café dans les tasses. Il ajouta en guise d’explication qu’une promotion ça se fêtait.
Desagès et Pekarski opinèrent et burent sans mot dire l’alcool de Patrimonio. L’adjudant regardait les montagnes sans rien dire, puis il se leva aussitôt suivi de son collègue.
« …Je suis affecté dans la Beauce. Ce ne sera pas pareil…Au revoir , Monsieur Ange-Etienne, j’ai été heureux de vous connaître… »
Il lui serra la main et se dirigea vers la voiture précédé par Pekarski. Alors qu’Ange-Etienne le regardait partir, il se retourna brusquement et dit « …A propos, on m’a téléphoné et la personne que j’ai eue au bout du fil m’a dit qu’il ne se passerait plus rien chez vous. J’ai cru comprendre que vous aviez eu une conversation. Donc, je suis tranquille. Portez-vous bien… ».
Ange-Etienne fut interloqué mais trouva la présence d’esprit de se forger un sourire d’initié. Bien sûr qu’il était au courant. Oui, il avait eu une conversation avec son tourmenteur. Le 4X4 des gendarmes avait à peine quitté la placette qu’il s’était précipité dans le bar, les lèvres en cul de poule et le front plissé.
Non seulement, on avait téléphoné aux gendarmes mais en plus, on leur avait dit qu’il ne se passerait plus rien et qu’il y avait eu avec lui une conversation. Nom de Dieu, avec qui avait-il parlé? Il se refit un café et tout d’un coup, un vrai sourire lui vint. Un grand qui se mua bientôt en un rire muet qui lui secouait les épaules. Bien sûr! Ce n’était pas si compliqué.

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