Début de saison…dernier épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Dix jours plus tard environ, à l’heure de la sieste Hyacinthe fit son apparition au village.
Manon, la femme de Ange-Etienne faisait un peu de ménage dans la salle et lavait les verres que les habitués de l’apéritif avaient laissés sur le bar. Ils n’étaient plus très nombreux mais fidèles. Cette petite bande conduite par Pastizzu, à qui son goût immodéré pour les apéritifs anisés avait valu son surnom, faisait marcher le commerce durant tout l’hiver.
Le berger lui adressa un large sourire. Ils n’étaient pas parents mais leurs mères avaient été sœurs de lait. Ils avaient été pour ainsi dire élevés ensemble et Hyacinthe considérait Manon comme sa cousine germaine.
Elle avait été une enfant espiègle, une adolescente pleine de vie et malgré les années, ses yeux étaient toujours emplis de flammèches. Hyacinthe l’embrassa avec affection puis ils s’assirent ensemble près de la porte.
« …Ange-Etienne n’est pas là?… »
« …Non, il est descendu à Calvi. Il devait passer à la banque puis chez le marchand de matériaux. Il voudrait agrandir la terrasse pour l’été prochain. J’en profite pour mettre de l’ordre parce que pendant la saison, il y a toujours du monde et je ne peux rien faire à fond. Je te fais un café?… »
Hyacinthe accepta volontiers. Il touilla lentement avant de boire à petites gorgées l’expresso. Il fit une petite grimace, il n’avait pas trop l’habitude du café machine, bon mais amer. Ils ne dirent rien pendant un moment et restèrent à regarder dehors la route vide.
Manon rompit le silence au bout de quelques minutes. »…On passe de l’agitation au calme en une semaine. Ca me fait toujours tout drôle… »
Il la regarda avec amusement. Puis, il saisit la perche tendue. « …Surtout qu’il y en a eu de l’animation cet été… ». C’était une affirmation interrogative avec un sourire d’initié. Elle se rappela comment à plusieurs reprises, il avait pris sa défense alors qu’ils étaient enfants dans les jeux un peu cruels où les petites filles sont les victimes invariables.
« …Oui, il y a eu de l’animation, c’est vrai… » Elle marqua une pause puis reprit en posant sa main sur la sienne. « …C’est gentil de n’avoir rien dit. Tu l’as su dès le début?… »
Hyacinthe eut un petit rire en disant « …Non pas tout de suite. Dis-moi, tu l’as trouvé où le plastic?… »
« …Tu te souviens quand Ziu Palucci est mort au printemps? On a nettoyé la maison avec ses nièces. Pendant qu’elles s’occupaient des chambres, moi je me suis chargée de la cuisine et en cherchant un frottoir pour la serpillière, je suis rentrée dans l’appentis. En prenant le frottoir, j’ai fait tomber un tas de boites et derrière, il y avait une caisse que j’ai ouverte. Il n’y avait que des vieilleries et cette caisse , elle n’avait même pas de poussière alors ça m’a intriguée…Il y avait pas mal de papiers, des câbles, d’autres choses et du plastic… ».
« …Bah, si on m’avait dit que Palucci était un clandestin!…Hyacinthe savait bien que ce n’était pas le cas, mais des confidences, c’est comme une bonne braise, il faut de temps à autres l’entretenir.
« …Non, je pense que ses neveux quand ils ont eu toutes ces histoires, ils ont craint que les gendarmes fassent une perquisition chez eux. Ils ont du déménager leur matériel chez l’oncle parce qu’ils savaient qu’il ne sortait plus de sa chambre. Moi, le plastic ça m’a donné l’idée. J’ai fabriqué la fausse bombe et je l’ai mise sous la télévision… ».
« …Ca , je ne pouvais pas le voir parce que ça c’est passé à l’intérieur du bar mais du coup, j’ai un peu veillé et un soir j’ai vu quelqu’un sur le toit qui faisait tomber l’antenne. J’ai bien regardé. Je ne pouvais pas reconnaître de loin mais je voulais voir dans quelle maison, l’ombre elle allait retourner. J’aurais rien dit à ton mari mais à celui qui lui cherchait des histoires, j’aurais été lui parler… »
« …Et tu n’as vu ressortir personne… »
« …Non, je n’ai vu ressortir personne et comme chez toi, vous n’êtes que deux, je n’ai pas eu de mal à comprendre que c’est toi qui avait fait l’escalade… ».
Manon se leva et alla chercher la bouteille de marc pour lui et un petit verre de myrte pour elle. Elle le servit en silence. Ils réfléchirent un moment tous les deux puis elle lui dit à nouveau. « …C’est gentil de ne m’avoir pas parlé… »
Ailleurs, une femme placée dans une situation comparable l’aurait remercié de n’avoir pas informé son mari voire les gendarmes. Elle savait qu’une pareille idée ne lui serait jamais venue à l’esprit. En revanche, elle lui était reconnaissante de ne pas s’être mêlée de l’affaire, de ne lui avoir donné aucun conseil. C’était une forme de respect dont elle lui savait gré.
« …Tu devais avoir ton idée… ». En écho, Hyacinthe confirmait son sentiment. « …Par contre, quand j’ai entendu la bagarre au bar et comment ton mari réagissait, j’ai pensé que ça pouvait mal tourner et j’ai appelé Desagès. Je lui ai raconté l’algarade et lui ai demandé de calmer Ange-Etienne… »
« …C’était toi le coup de fil aux gendarmes?… »
« …Ne m’en parle pas! Deux heures de marche pour descendre chez mon neveu à l’autre hameau pour qu’on ne me voit pas appeler du village. Je lui ai dit qui j’étais à l’adjudant et aussi que pas mal de gens au village pensaient que c’était moi. Bouh chi vergogna! A cause de toi j’ai frayé avec les gendarmes… »
Manon éclata de rire. « …Il était malin ce Desagès, je suis sûre qu’il n’a même rien dit à son gendarme! Bon, après partie comme j’étais partie, j’ai préparé le feu au pagliaghju en profitant qu’il avait plu et que le champ autour avait été nettoyé. J’ai même laissé un arrosoir sur place…et j’ai pris le décodeur pendant qu’ils étaient tous montés éteindre. Je m’étais dit que comme tout le monde serait là-haut, ils auraient tous une espèce d’alibi… »
« …Sauf moi!… »
« …Oui mais toi, je savais qu’Ange-Etienne était passé te voir . On en a parlé. Il était sûr que tu n’y étais pour rien et il m’a même répété ce que tu lui avait dit. Quelqu’un d’absent auquel on ne pense même pas. Là, j’ai compris que tu savais que c’était moi… »
Manon était devenue triste tout d’un coup. « …Tu ne me demandes pas pourquoi j’ai fait tout ça?… ».
« …Pas la peine. Je le sais. Les femmes ici, elle n’existent pas. Personne n’a même pensé que ça pouvait être toi alors que c’était logique. U colpu, le coup il venait de l’intérieur!… »
Hyacinthe remua la tête en poussant un petit soupir…
« ..Tu vois, dans toute cette histoire, on n’a entendu que les hommes. Ca crie, ça s’engueule au bistrot et puis ça rentre mettre les pieds sous la table. J’imagine que tu as voulu donner une leçon à ton mari… ».
« …Oui. Il n’y en avait plus que pour le football. Déjà que le vois peu avec le bar, au moins les soirs de match, quand tout le monde descendait à Bastia, on avait une soirée pour nous. Parfois on descendait manger une glace à la piazzetta près de la plage. Et là plus rien. J’étais plus bonne qu’à faire le ménage, à m’occuper de tout et sans guère de reconnaissance. On s’est expliqués et je lui ai dit. On va revenir comme avant. J’ai même appelé l’adjudant pour lui dire de ne plus s’en faire, qu’il ne se passerait rien de grave. Au moins les jours où il y a match à Furiani, je serai un peu tranquille. Vous continuerez. Et puis ça te fait plaisir, non Hyacinthe?… »
Le berger sourit largement et se leva. Un beau début de saison pensa-t-il en remontant vers le plateau. Comme le vent descendait, pour une fois, c’est ceux d’en bas qui l’entendirent chanter.

 

Approntati ô capraghju da lascià piaghja e calmana…

 

 


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