Début de saison…2ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Il n’était pas sept heures lorsque Hyacinthe aperçut le véhicule tout terrain des gendarmes qui rentrait dans la vallée. Bleu le quatre quatre. Avant c’était une 4L , source de plaisanteries inépuisables. Dans un pays amoureux des voitures sportives, voir la maréchaussée dans un équipage aussi modeste était un ravissement bruyant chez les plus irrévérencieux et discret bien que réel chez tous les autres.
Tout le monde avait pourtant explosé de rire le jour où on avait vu le pandore passager coincé dans son siège par un boite protubérante fixée devant lui, sur le tableau de bord. Pressé de question, faussement compatissantes, il avait précisé qu’il s’agissait d’un système très perfectionné de positionnement par satellite. Déjà, une telle merveille de technologie dans une 4L enchantait le public mais lorsque le gendarme sans malice, annonçât  que l’appareil ne fonctionnait pas  du fait de l’environnement montagneux, ce fut un vrai délire.
Hyacinthe avait suivi l’affaire par la faveur d’un courant d’air ascendant et ri lui aussi de bon cœur.  Il n’avait rien contre les gendarmes si ce n’est une méfiance héritée de générations de braconniers ou de réfractaires au service dans les chasseurs d’Afrique. Quand les représentants de la loi montaient lui rendre visite, ils le trouvaient rarement. Il fallait pour être honnête, qu’ils lui tombent dessus par surprise ce qui n’était rien moins qu’évident. Sans avoir rien à se reprocher, il les évitait avec soin.
Ce véhicule tout terrain, qui avait rendu un peu de prestige à la maréchaussée, remontait la vallée sans hâte. Il passait sous les châtaigniers au ralenti, disparaissait un instant puis le berger le voyait à nouveau lorsque la portion de route traversée était bordée de maquis bas.
Comme on pouvait s’y attendre, les gendarmes s’arrêtèrent près du bar.
Ange-Etienne entouré maintenant d’une dizaine de curieux, les laissa garer la voiture près de l’ancien four puis les regarda descendre. Ils étaient deux, l’adjudant et un jeune gendarme. Le premier était dans la région depuis deux années. Il n’espérait que le calme et se félicitait de n’avoir jamais vu sa brigade citée dans la presse autrement que pour un mitraillage de façade banal. Le second venait d’arriver. Le menton relevé, la démarche sportive, pénétré de son importance, il rêvait de voir son nom associé à un faits divers retentissant. Deux mois de rondes sans autre incident qu’une collision avec un renard l’avaient frustré. Il sentait que ce matin là était le sien. Respectueux de sa hiérarchie, il ne critiquait pas ouvertement son chef, mais in petto, il le jugeait pusillanime et ramolli par un trop long séjour.
Le présumé ramolli, l’adjudant Desagès salua d’un geste la petite troupe et serra la main du patron du bar, personnalité éminente du canton et cause évidente de son déplacement. Le gendarme Pekarski fit de même.
Ange-Etienne se tourna vers la porte de son bar et d’un geste les invita à entrer. Quelques marches, une terrasse avec une rampe en fer forgé et une grande salle avec le comptoir au fond. Au mur deux vieux fusils et l’affiche du parc régional, un pétrin dans un coin, le congélateur pour les glaces dans un autre et la télévision grand écran posée bien au milieu de la pièce, décodeur flambant neuf sur le dessus, télécommandes sur le coté. Les chaises toutes tournées vers l’écran montraient à l’évidence que le centre de gravité de l’établissement c’était lui désormais.
Le patron d’un geste sobre désigna un carton ouvert juste sous la télévision … »Adjudant, je l’ai vu en me levant ce matin. Il n’y était pas hier soir et ce qu’il y a dedans ne m’a pas fait rire… »
Desagès connaissait le contenu du colis puisqu’il avait été informé par téléphone mais connaissant les règles de la dramaturgie, se baissa vers le paquet, le contempla un instant sans rien dire puis invita son subordonné à regarder à son tour. « …Du plastic je dirais, avec un réveil et trois fils électriques… même pas branchés…pas de détonateur…ça n’aurait jamais sauté mais je comprends que ça vous inquiète… »
Ange-Etienne était petit,  une soixantaine râblée et aimable en règle générale. D’une vie continentale dont il ne parlait jamais, il avait ramené de quoi reprendre l’affaire de son oncle et vivre sans trop de soucis. Ce matin là, il n’était pas patient. « …Je sais bien que ça n’aurait pas sauté! Celui qui a fait ça, il n’a pas mis de détonateur. Mais, il a mis du plastic. Et s’il en a mis, c’est qu’il en a. J’aime pas l’idée qu’il lui en reste. Parce qu’autant la prochaine fois, la bombe il me la pose vraiment. C’est ça qui m’inquiète et pas cette fausse bombe… »
L’adjudant en convint c’était une espèce d’avertissement. Se tournant vers Pekarski qui faisait l’épagneul en reniflant partout, il lui demanda de prendre des notes. « …Vous n’avez rien entendu?… » Il n’avait rien entendu et le chien non plus, il n’avait pas bronché. « …Ah vous avez un chien?… »
Pekarski par cette question se positionnait dans le débat. Il la trouvait habile. Un fait, pas contestable et pas polémique. Ange-Etienne se fit méprisant en lui désignant du menton une masse de poils agitée par des rêves qui poursuivait sa nuit vautrée dans un coin de la salle. « …Et ça c’est quoi, un âne?… »
Desagès  lança un regard plein de compassion au gendarme bafoué et entreprit de glisser sur l’incident. « …C’est sûr que si l’individu est rentré sans que le chien ne bronche, ça signifie que ce pourrait être un habitué… ». La conclusion s’imposait.
Le murmure désapprobateur de l’assistance qui avait crû entre-temps montra que l’hypothèse était perçue comme insultante pour la communauté villageoise. Vous n’avez trouvé que ça. Quelqu’un d’ici mettre une bombe chez Ange-Etienne. Il ne cherche personne et chez nous personne ne ferait un coup pareil. Les gendarmes sont forts pour mettre u tazzu.
La victime de l’attentat putatif vint pour la première fois de sa vie sans doute au secours de l’autorité. Il a raison l’adjudant! D’abord, il faut savoir où je cache la clé. Après, il faut connaître le chien parce que même s’il ne mord pas, il aboie et ça m’aurait réveillé. Et puis, ils ont même pas allumé sinon je l’aurais vu que ma chambre elle est au-dessus.
Le silence était revenu. Cette intervention pacificatrice aurait pu apaiser les esprits définitivement si Pekarski, remâchant l’affront qui lui avait été fait bien sûr mais aussi soucieux de montrer ses qualités d’enquêteur n’avait fait entendre sa voix. Il doit y avoir un mobile. Il y a toujours un mobile. Dites moi, Monsieur Ange-Etienne, il n’y y aurait pas une rivalité commerciale là-dessous? Il aurait tout aussi bien pu évoquer une affaire de femme mais dans son subconscient, il devait y avoir un dispositif d’alerte qui lui avait enjoint de ne pas aborder, ici et maintenant, cette piste là.
Ange-Etienne pour la première fois, se tourna vers lui mais son discours s’adressait à l’adjudant, seul interlocuteur digne d’intérêt. « …Dites adjudant, il les choisissent pour les envoyer en Corse? Les plus malins sur le continent et les zucche ici! Le carabinier qui vous accompagne, il a pas remarqué que c’est le seul bar de la région ici? Celui qui me fait sauter, après c’est quarante kilomètres qu’il se fait pour boire un pastis. Et les Marlboro, il ira les chercher à Calvi; Rivalité commerciale, il se croit où le détective, sur la Côte d’Azur?… »
D’un geste ferme, le gendarme une nouvelle fois humilié, se vit intimer  le silence par le sourcil froncé de son chef qui connaissait son public depuis assez longtemps pour savoir que dans de pareilles circonstances, on avait un besoin évident d’un coupable de substitution. L’arrivée de la camionnette du boulanger et l’invariable triple coup de klaxon, lui facilitât la tâche. Les rares femmes présentes dans l’assemblée entamèrent un mouvement de retrait. Desagès attendit la fin du mouvement migratoire.
Puis se tournant vers le débitant de boissons, il l’informa que la gendarmerie se retirait également. Vous voulez signer une plainte. Non, pas la peine. Bon, alors nous rentrons à la brigade. Mais, on va quand même surveiller ça. Oui, surveillez. Café? Non, merci, c’est gentil, on a pas le temps. La saison a commencé? Doucement. Le gros des touristes est pas arrivé. Oui. Au revoir. L’adjudant et son collègue, poignée de main pour l’un, hochement réglementaire pour l’autre, repartirent vers leur voiture.

SECB 1978

 

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous n'êtes pas un robot? * la limite de temps est dépassée