Début de saison..3ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

La vallée formait un cirque parfait au pied des montagnes les plus hautes du massif du Cintu. Le village était tout au bout de la route à l’ubac. En contrebas, coulait le torrent qui tressautait comme il se doit vers la mer, accompagné par la route, un peu plus haut, en corniche. A l’aller, on découvrait le paysage au dernier moment en entrant dans la vallée par le tournant de l’Inzeccha, surveillé on l’a vu par le berger, et au retour, en passant ce virage, après un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, on voyait disparaître montagnes, village et haute vallée.
Quelle que soit la raison de leur visite, les passagers des voitures se taisaient jusqu’à ce qu’ils aient franchi ce verrou. Les touristes tordaient le coup pour garder en mémoire un point de vue tout de même remarquable. Les originaires qui repartaient à la fin du congé étaient trop plongés dans de tristes pensées, l’image des vieux agitant le mouchoir sur le pont, les ultimes baisers en provision pour une année pleine sans être sûrs de se revoir. Un an sur le continent avec la crainte d’un retour anticipé pour la mort d’un proche.
Les gendarmes ne disaient rien non plus. La région était tellement resserrée, contrainte par sa géographie, qu’on avait l’impression qu’elle menait une vie propre, à l’écoute. Ombrageuse. Donc, ils se tenaient cois comme s’ils s’étaient encore trouvés dans une maison où leurs propos eussent pu être écoutés.
Tout le monde retrouvait la parole dans le défilé bordé de chênes verts qui une vingtaine de kilomètres plus bas, conduisait à l’embouchure, vers une plus importante bourgade, siège de la gendarmerie. Il fallait une quarantaine de minutes pour arriver à destination. Les jeunes faisaient mieux. Mais les gendarmes roulaient calmement en surveillant la rivière en contrebas et les collines des alentours, pour y dénicher des nudistes, infraction courante et appréciée, ou déceler un départ de feu, incident ennuyeux car papivore.
En temps ordinaire, arrivé au pont du Cioncu, Pekarski commençait à parler et à faire des commentaires rarement avisés sur la situation locale. Desagès regardait du coin de l’œil son subordonné qui n’avait pas desserré les dents, alors qu’ils avaient passé depuis un bon moment déjà, le point de départ traditionnel d’un ennuyeux discours. Un autre jour, l’adjudant se serait félicité de cette chance et aurait profité de la promenade. Mais il se sentait un peu coupable d’avoir laissé malmener un jeune collègue. Il ne regrettait pas d’avoir donné la priorité à la paix sociale. C’était la règle d’or. Mais, il comprenait que le jeune militaire attendait les clefs.
Il fallait trouver une entame neutre. Pekarski, dont c’était la deuxième affectation, avait auparavant été affecté dans la Sarthe. Bon angle d’attaque a priori. Desagès, tout en continuant à regarder la route, déclara que la situation en Corse était plus compliquée que dans le grand Ouest. Son passager ne pouvait sur ce point le contredire et après avoir marqué son accord, posa une fausse question à laquelle l’adjudant s’attendait. « …Ca fait longtemps que vous êtes ici Chef… »
Il connaissait la réponse l’animal mais ce n’était pas la durée des services qui l’intéressait mais l’opinion du gradé sur tout ce cirque. »… Ca fait deux ans que je suis dans cette région mais dix ans que je fais campagne ici. Je ne vais pas tarder à rentrer sur le continent mais vous voyez Pekarski, je vais regretter la Corse… » Le gendarme cessa de regarder son chef pour se concentrer sur la rivière qui coulait à présent dans un petit défilé… puis il reprit « …Pourquoi, il nous a fait monter alors qu’il ne veut même pas porter plainte… » Desagès bougea les épaule, un coup à droite, un coup à gauche, comme pour se décontracter. « …j’en sais rien, j’imagine qu’il voulait que ça se sache….Vous savez, cette histoire m’intrigue… parce qu’elle ne ressemble à rien. Ange-Etienne n’a aucun ennemi. Il est assez malin pour ne pas se mêler de politique et il partage ses voix aux municipales. Je ne vois qui pourrait lui en vouloir et lui non plus ne le voit pas. C’est pour ça qu’il nous appelle parce qu’il ne sait pas comment ça peut tourner et qu’il prend toutes les garanties… »
Le gendarme était rien moins que convaincu… « Le gars on lui met du plastic dans le bar et il attend de voir… on aurait pu embarquer le paquet et trouver des traces, je sais pas moi, des  indices… »
« …Si vous voulez durer ici, il va falloir que vous compreniez certains trucs. Je ne sais pas si je vais bien savoir vous expliquer. Bon. La première chose, c’est qu’un peuple qui vit dans une île, il devient comme une personne avec un caractère bien à lui. Un peuple ermite si vous voulez. Certaines idées ont pris le dessus par habitude ou par force et elles sont devenues des traits dominants. Voilà. C’est rend les choses très compliquées si on ne se rend pas compte de ça et ça les rend un peu moins difficiles si on le sait… »
« …Je vois pas… »
« …Vous sortez des fois prendre le frais vers le port, vous descendez par les petites rues en civil. Vous avez remarqué que les volets s’ouvrent à votre passage, tout doucement, juste pour que le regard passe… »
« …Ca ne me fait ni chaud, ni froid… »
« …Je le sais. Mais ce n’est pas que pour vous que les fenêtres bougent, c’est pour tout le monde. Et si pour vous, le regard des autres n’a aucune importance, parce que vous n’êtes pas d’ici, pour ceux qui restent, eh bien ce regard, il est tout. Depuis toujours, ils s’observent et se jugent. Il ne faut pas se manquer. Des individus bien sûr mais qui s’effacent devant le groupe. Ou qui veulent le dominer. Il y a plusieurs manières pour ça. A une époque, c’était la réussite sociale, la situation qui permettait de rentrer au village avec les signes extérieurs de la richesse continentale. Voiture, tournées de champagne à la fête… Plus pour montrer qu’on pouvait  que pour faire vraiment plaisir. Les choses ont évolué. Le jeu continue. Vous savez Pekarski, ce n’est ni plus ni moins qu’une société villageoise, rurale avec la violence en plus…Vous mettriez des Picards sous ce soleil, il n’y aurait pas de différence… »
« Vous connaissez bien la Corse, on dirait Chef?… »
« …J’y ai vécu mais je ne la connais pas. Il y a une fatalité qui m’échappe. Ceux qui la connaissent vraiment et qui en parlent entre eux ne diront jamais tout haut ce qu’ils pensent. En fait, l’histoire de la fausse bombe ne correspond à rien. Et c’est pour ça qu’Ange-Etienne nous a appelés. Comme un accusé de réception. Ce genre d’affaire aurait du se régler au village, on en parle aux parents, deux claques aux jeunes si c’est une mauvaise plaisanterie. Mais là c’est autre chose… »

SECB 1978

 

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous n'êtes pas un robot? * la limite de temps est dépassée