Début de saison…4ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Au moment où les gendarmes rentraient à la caserne, Ange-Etienne derrière son comptoir, lisait le Corse Matin que le facteur lui avait laissé. Il le lisait comme tout un chacun en commençant par la page des faire-part de décès. Surtout être vigilant, il ne fallait pas que la disparition d’un cousin éloigné vivant dans un autre village, lui échappe. Suivant le degré de parenté, il fallait envoyer un télégramme, voire même se déplacer. Tout manquement à cette règle était un affront. Ensuite, il passait aux nouvelles locales puis aux fait divers. L’actualité nationale et internationale lui importait peu. Ange-Etienne considérait qu’il y avait matière suffisante à réflexion dans les événements qui agitaient son petit monde.
L’arrivée des deux frères ne le surprit pas. Il savait qu’ils viendraient. Un an sans franchir la porte du café mais il aurait été très étonné de ne pas les voir aujourd’hui. L’été précédent, ces deux là étaient là tous les soirs assis sur la terrasse, parlant corse et affectant des mines de conspirateurs. Gros véhicule tout terrain bleu de chine ou treillis et crâne rasé. Ils s’acharnaient à ressembler à leur caricature. Ils portaient au cou, la médaille en or représentant le rebelle armé. Un plaisantin leur avait fait remarquer qu’en arborant ce lourd pendentif, ils prenaient un risque inconsidéré. Ils avaient rétorqué froidement qu’ils ne mettaient pas leurs opinions dans la poche et qu’ils ne craignaient pas la maréchaussée. Leur interlocuteur leur dit alors qu’il pensait plus à un risque de torticolis, vu le poids de l’objet qu’à une interpellation policière. Le regard méprisant qu’il avait obtenu en retour lui avait interdit de profiter très longtemps de son bon mot. Et à dire vrai l’avait dissuadé de tenter une autre plaisanterie sur ce registre.
Jean et Marie-Ange ne dirent pas bonjour. Ca ne se dit pas. Une exclamation interrogative en tient lieu… »Heu ». Pratique en fait. Si on n’a pas envie de parler, on répond par la même interjection. Si on veut entamer la conversation, après le « Heu… » on pose une question, du style « ça va? ». Pour un patron de bar, la transition est facile. Suivant l’heure, il dit café ou pastis.
Là c’était café. La conversation fut brève. Les deux frères connus pour leurs sympathies nationalistes n’avaient qu’une chose à dire. Ils n’étaient pour rien dans l’incident du matin. Ange-Etienne le savait. L’incident de l’été précédent avait été suffisant pour qu’ils se vexent mais pas au point de se livrer à ce genre de plaisanterie.
Il haussa les épaules pour signifier que l’hypothèse était saugrenue. Mais, il fallait pour le bon ordre des choses que la visite ait lieu.
Ils partirent et en les suivant du regard, Ange-Etienne se dit qu’il n’y entendait décidément plus grand chose. Lors des événements d’Aléria, il était un homme dans la force de l’âge et s’était senti proche des insurgés. Il lui semblait alors qu’il était temps de réagir puisque l’état ne voulait pas le faire. La défense de son île, de sa culture et de ses valeurs méritait qu’on se batte..Puis, il avait moins compris.
Ce n’était pas un théoricien. Peu de livres, éloigné des discours et des doctrines. Ange-Etienne se faisait son opinion en utilisant le filtre des valeurs qui lui avaient été inculquées par d’autres à qui elles avaient été transmises. Le malaise l’avait gagné aux premiers morts surtout qu’il sentait derrière les homicides une lourde odeur d’argent. Il respectait la vie. Et lorsqu’un homme seul avait été abattu sans gloire dans une rue d’Ajaccio, il avait eu honte comme beaucoup de gens autour de lui.

C’était en définitive une journée habituelle. Les premiers touristes descendaient au fleuve chargés de paniers et de matelas pneumatiques que les ronces ne tarderaient pas à honorer. Les villageois ne s’étaient plus montrés au bar. La vie ne reprenait vraiment qu’en fin d’après-midi. Jusque là, il faisait trop chaud. Vers cinq heures alors que les jeunes commençaient à se réunir sur les « muragliette », Hyacinthe fit son entrée. Il portait sa tenue de stade.
Les  conversations étaient alourdies. Par petits groupes, éloignés d’un ou deux mètres, un debout pour deux assis, les garçons commentaient les événements du jour . Après avoir touché quelques mains, le berger s’était installé un peu à l’écart. Il n’avait pas grand chose à dire. Ce genre de visite silencieuse était habituel. Au bout de quelques minutes, après avoir regardé sa montre, sans s’adresser à personne en particulier, il demanda. . »Qui c’est qui descend au match?… ».
La question ne concernait pas les adolescents. Parmi eux , aucun n’était en âge de conduire. Ils étaient souvent passagers des voitures pour Furiani mais ne décidaient de rien.  C’est un des plus âgés qui répondit de façon quelque peu indirecte… « …Oh  Hyacinthe, tu n’as pas vu la parabole?… »
« …Oui, je l’ai vue, on ne voit même plus que ça…et alors? »
« …Ecoute, moi je crois qu’au stade , personne n’y descend. Il ont acheté le match… Ils vont le regarder ici. Ca donnera du commerce à Ange-Etienne…  On a commandé des pizze et puis on boira un coup. Ca évite de descendre et de remonter de Bastia dans la soirée et on voit mieux… »
« On voit mieux quoi? »…A l’évidence Hyacinthe n’était pas enchanté par l’innovation. Mais, il n’entrait pas dans les habitudes des gens de sa génération de débattre avec la jeunesse. Aussi, il se leva sans attendre de réponse et descendit vers le bistrot, où ses compagnons de route habituels s’étaient attablés.
« …Pourquoi, on descend pas au match? » …La question était directe et assez peu conforme aux usages qui commandent en temps habituel de discuter en cercles concentriques, à la périphérie du sujet pour n’y venir qu’au bout d’un long moment, à la fois pour ne pas montrer qu’on y attache de l’importance mais aussi pour laisser à son interlocuteur le temps de se préparer.
« Piombu »… Quelques expressions, plus amusées qu’agacées jaillirent des deux ou trois groupes qui s’étaient tournés vers l’arrivant. Ceux qui se trouvaient là savait que Hyacinthe allait descendre et qu’il poserait cette question. Mais aussi vite, non. Avec un air aussi sombre non plus. L’adjoint qui avait un sourire de soir d’élections favorables, poussa la chaise en direction du berger pour l’inviter à s’asseoir, lui proposa un apéritif, offre déclinée, et se lança dans l’explication attendue…
« … Hyacinthe, je sais que ça ne va pas te faire plaisir. Tu as l’habitude d’aller au match avec nous. Tu aimes ça, c’est ta sortie. Mais, Bastia c’est loin et se faire quatre  heures de route pour un match c’est long. Avant, il n’y avait pas moyen de faire autrement mais maintenant que Ange-Etienne, il a pris le satellite, on peut commander le match et le regarder d’ici. D’abord ça nous coûte moins cher, en plus ça fait de l’animation au village et puis on le voit aussi bien à la télévision et même mieux… tu verras Capone et son labrador en gros plan!… »
Hyacinthe parlait peu. En définitive, personne ne l’avait entendu s’exprimer très longtemps. Il commença par regarder pendant un court instant celui qui venait de dire le droit, puis balaya d’un coup d’œil interrogatif le reste de l’assistance puis finit par fixer la parabole, puis il revint vers son public. « …Quand j’étais gamin, la route goudronnée, elle s’arrêtait au pont génois. En plein milieu d’un tournant… »
Il marqua une pause. « …Après, c’était une piste de sable. Les touristes, ils s’arrêtaient net parce qu’ils ne voyaient rien en fond de vallée et qu’ils n’avaient pas envie de casser la voiture. La poste, elle venait une fois par jour de Calvi et elle arrivait à sept heures le soir avec les commandes et ceux qui rentraient au village. On ne voyait personne et ceux qui arrivaient par hasard jusqu’ici, ils étaient tellement rares, qu’on se serait presque fâchés s’ils avaient refusé le café ou le sirop d’orgeat. Je me souviens quand on a mis l’électricité. C’est pas si vieux. D’en haut, je n’ai plus vu les lampes électriques de ceux qui dormaient à l’étage, en train de faire le tour de la maison pour aller dans les chambres. On faisait la veillée et puis on l’a plus faite. Puis, ils ont goudronné jusqu’ici. Puis, il y eu la télévision et là, je n’ai plus vu personne sur la route. Même les jeunes, ils ne se promenaient plus. S’ils étaient pas à la plage, en boite, ils restaient à la maison voir quelque film… »
C’était la première fois qu’il parlait aussi longtemps. Du coup, le silence s’était fait. Ils étaient intrigués.
« …Moi, ça ne me dérange pas, tout ce changement. C’est la vie qui est comme ça. A une époque les femmes, elles se levaient la nuit pour arroser parce qu’on se partageait l’eau et elles lavaient au fleuve parce qu’on pouvait pas faire autrement. Ceux qui disent que c’était le bon temps, ceux là ils en parlent sans savoir. Tu pouvais mourir parce que le docteur, d’abord il était loin et que de toutes façons, tu lui aurais dis comment que quelqu’un était malade? Il n’y a pas à regretter. Et de toutes façons, qu’est ce qu’il y avait à faire. Tant qu’on garde certaines choses, tout va bien. Mais là, si parce qu’on peut acheter un match à la télé, on n’est même plus capable de sortir du village, pour aller soutenir notre équipe…alors là… semu fritti. Il n’y a plus de mentalité. Le progrès, ça va, s’il nous apporte quelque chose qu’il n’y avait pas. Mais là, il nous l’enlève… ».
Comme Hyacinthe avait parlé sans colère, sans mettre en cause qui que ce soit, il n’y avait pas matière à débattre. Personne n’était visé et au fond, ils étaient en accord avec ce discours. Mais, lui faire plaisir, lui donner raison, c’était quatre heures de mauvaise route et ça, aucun n’en avait envie. Devant le silence et les bras fatalistes qui s’écartaient, le berger comprit que son discours n’avait pas porté. Il se leva. Une voix s’éleva… »Aio, tu restes pas pour le match?… »
Il répondit en reprenant le chemin que ce n’était pas un match mais une conserve.

Orlanducci dettu « Charlot » dans ses oeuvres

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous n'êtes pas un robot? * la limite de temps est dépassée