Début de saison…7ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le maire fit son apparition juste à temps pour saluer la maréchaussée qui repartait. Il ne venait pas aux nouvelles puisqu’il suffisait d’observer la façade pour connaître l’essentiel. Sa venue était dictée par un double souci. Remplir son devoir d’élu à l’endroit d’un administré  et surtout, ouvrir de nouveau la route du bar au reste de la population, qui ne se serait pas hasardée à revenir, avant qu’un ambassadeur ne vienne au préalable supporter la légitime colère du commerçant bafoué.
Les deux hommes qui discouraient devant l’établissement étaient par conséquent observés de loin par tous ceux qui attendaient que le terrain fut déminé. La route serait ouverte, le bar sécurisé lorsque les gestes se feraient moins véhéments et que le maire poserait sa main sur l’épaule de son interlocuteur dans un dernier mouvement de compréhension solidaire.
Un quart d’heure suffit. Il n’y avait tout de même pas mort d’homme. Aussi, petit à petit, les groupes traditionnels de l’apéritif du midi se formèrent.
Le bar du village est un lieu essentiel. Le village est un système planétaire où dans chaque maison vivent des gens avec leurs histoires closes. Pourtant tout se sait. C’est heureux. Il n’est pas possible d’imaginer que les familles existent avec leurs joies et leurs peines sans que jamais l’extérieur n’en sache rien. Elles imploseraient. Le bar, est l’endroit où on s’expose. On raconte ce qui doit être su et on susurre les informations qui ont vocation à circuler. Chacun apporte un peu et repart avec ce que les autres ont bien voulu apporter. C’est un univers d’hommes. Un univers très identitaire aussi. Il y a quelques tables peuplés de touristes mais elles sont exilées à la périphérie de la terrasse. Au centre, on trouve les habitués, rois de la macagna,  ceux dont les plaisanteries les meilleures passent l’hiver et rentrent dans la mémoire collective.
La macagna, c’est difficile à expliquer. Un art. Celui qui consiste à rebondir sur une phrase, un défaut, une particularité de son interlocuteur pour avec un grand sérieux bâtir une histoire qui fera rire aux dépends de la victime mais sans méchanceté. Il ne doit pas y avoir offense. Chacun joue sa partition, le macagneur comme le macagné. Pascal présent bien sûr ce midi là à la table centrale était réputé pour son talent dans ces joutes…
L’été passé, il avait entrepris une équipe de touristes stéphanois sur Napoléon. Les malheureux avaient été très vite impressionnés par sa science, réelle au demeurant, du sujet. L’aveu qu’il était un descendant de l’Empereur avait été gobé sans problème car le macagneur en baissant la voix, leur avait annoncé cette nouvelle comme un conspirateur qui tout d’un coup accepte de se confier. Il avait réussi à convaincre ses victimes que si l’Empereur était inhumé aux Invalides, lui, détenait dans le plus grand secret le crâne de Napoléon enfant. Les Stéphanois impressionnés étaient en train de répondre favorablement à une invitation de rendre visite au dit  crâne quand une explosion de rire de la terrasse entière, les fit revenir à une réalité plus triviale. Sans doute  se consoleraient-ils en sachant qu’on se souvient encore d’eux et de leur départ déconfit…
Pascal n’était pas seul. Fanfan surnommé U Dragone, le dragon, en raison de la terreur qu’il savait parfois faire régner en laissant tomber ses verdicts implacables était là aussi avec Marco l’exalté ou Toussaint l’étranger venu de la lointaine contrée de Guagno. A quelques encablures en fait. Mais étranger à la vallée, donc furesteru, venu de l’extérieur. Il y en avait d’autres mais attablés plus à l’écart, second rôles, figurants, parmi lesquels quelques pinzutti mariés au village, qui malgré tout leur talent n’accéderaient jamais au haut de l’affiche.
Ce fut un de ceux là qui, inspiré par les séries télévisés, lança un peu trop tôt par une phrase poncif, le débat qui devait avoir lieu. Gonthier, dit surnommé Concon ou Cruchot sans qu’il le sache, fit entendre sa voie dès le premier pastis. Intervention prématurée et maladroite… » Moi, je dis qu’il y a toujours un mobile… » silence et visionnage périphérique de l’assemblée… « … celui qui a fait ça, il veut pas qu’on regarde les matchs à la télé et moi j’ai mon idée… ». Il n’y a sans doute rien de pire qu’émettre tout haut l’idée que tout le monde rumine et n’ose exprimer car elle met en cause quelqu’un de la communauté. Surtout quand celui qui rompt le silence n’est qu’un élément rapporté.
« …Oh Derrick, qu’est ce que tu racontes encore? Tu as été chargé de l’enquête?… » Par cette phrase sans aménité qui tombait comme un glaçon dans un casa chaud, U Dragone entamait la battue. Quelqu’un avait parlé. Il fallait que ça arrive. Mais pas tout de suite et pas un pinzuttu. L’affaire était définitivement villageoise. Si l’étranger plus ou moins assimilé pouvait assister au débat, il était à tout le moins malvenu qu’il le lance.
Gonthier aurait du se taire. Mais malgré de nombreux mois d’été passés en Corse, malgré les leçons hivernales de son épouse, il n’arrivait pas à le faire. Il reprit donc, aggravant son cas… »…Je suis chargé de rien mais je ne suis pas idiot. Chaque fois qu’il s’est passé quelque chose, ça tombait un jour de match comme pour nous empêcher de profiter de l’initiative …excellente… d’Ange Etienne… » Tentative vouée à l’échec de trouver un renfort chez la victime par le biais d’un hommage trop appuyé. La victime vaquait avec une indifférence feinte mais parfaite.
Pascal, baissant ses lunettes, pour mieux voir le détective, lui demanda, avec un air qui n’était amical que pour ceux qui ignoraient le code… « …et autant tu as une idée de qui ça peut être?… » Gonthier qui visiblement, avait décidé de s’enferrer, ne choisit pas de répondre par la négative ce qui aurait été une retraite, certes, mais une retraite honorable… » J’ai la même idée que vous autres mais moi je le dis… »
Ils levèrent tous les yeux au ciel. Au fond, tout le monde aimait bien Gonthier. Il bénéficiait du statut accordé à ceux qui entrent dans la famille par le biais du mariage. Il bénéficiait d’une liberté de parole supérieure à celle d’un continental de passage. En plus, il ne se formalisait pas bien longtemps des plaisanteries dont il était souvent l’objet. Il en riait même et se plaisait à les rappeler. Il faut dire que certaines d’entre elles étaient passées en forme de proverbe.
Quand, il était arrivé au village, sa belle-famille lui avait fait la leçon. Ici, il n’y a que des parents et vous devez embrasser tout le monde. Nous sommes entre cousins et alliés. Docile et soucieux de se faire accepter, il s’était rendu au bar pour offrir sa première tournée et s’était présenté en claquant une double bise sonore à chacun des présents…garde forestier et gendarme compris… L’histoire avait fait le tour de la vallée et sans doute au-delà. Il était devenu pour toujours celui qui embrasse la maréchaussée, le cousin du garde, le beau-frère de l’autorité. Il n’y échappait jamais. Ce coup ci, ce fut Filippu le Niolain qui lui rappela ce souvenir:
« …Ca y est! Depuis qu’il a embrassé la police, il a attrapé le virus. O Maigret, sors du corps de Gonthier… »
« …Vous pouvez rire mais il y a des choses qui sont évidentes et c’est pas parce qu’on est en Corse, qu’on a pas le droit de les dire… »
« …On est en Corse? Bouh chi malignone celui là! Merci à toi, personne n’avait remarqué… »
« …Oui, on est en Corse et même si je ne n’y suis pas né, je sais depuis le temps comment ça fonctionne. J’ai observé. Et je peux vous dire , que des affaires comme ça, chez moi ça n’arriverait pas… »
« …Sûr, d’où tu viens, les bistrots ils ont tous fait faillite…sur le continent, les tournées générales, c’est à coup de bol d’air… »
Gonthier s’énervait et peu à peu sortait du rôle qui était normalement le sien. Témoin, témoin actif même mais pas procureur. Surtout pas procureur.
« …Ca vous arrange bien de dire que sur le continent il n’y a que des radins. Mais ce n’est pas vrai!  Moi, j’ai toujours tenu mon rang et je n’ai jamais raté ma tournée. J’ai même donné pour le clocher… »
« ..Ahé…en solidarité avec les cloches… » Pascal hoquetait de rire. L’affaire de la réfection du clocher et de la parution des donataires dans le journal local avait occupé les esprits un long moment. Gonthier avait donné de façon anonyme. Mais, ce souci de discrétion empreint de classe selon lui, le privait en définitive d’apparaître comme un de ceux qui avait le plus largement contribué. Il avait donc un jour revendiqué la paternité du don de 5000 francs y gagnant au passage un nouveau qualificatif d’ami des cloches qui venait de lui tinter de nouveau aux oreilles..
« …Oui, et alors? C’est grâce en partie à des gens comme moi que l’église a été refaite parce que c’est pas les cinquante francs de certains qui allaient arranger les choses… »
Gonthier passait la ligne continue…et emporté par son élan masochiste, car en son for intérieur, il le savait, les clignotants étaient au rouge, il rajouta en guise de bouquet final, histoire de mériter pour de bon le coup fatal… »…Mais moi, j’ai le courage de dire ce que je pense! Vous avez tous perdu l’habitude de parler pour ne vexer personne mais je sais ce qu’il y … »
« …Et tu es qui toi pour savoir ce qu’on pense?… » Marco entrait dans la danse…. » Tu viens une fois par an, tu comprends rien à rien, et tu viens nous dire à nous que tu as une idée et qu’on a la même en plus! D’abord tu n’as rien dit, tu insinues. Même pas le courage de donner un nom. Tu attends qu’on le fasse! Et bien, tu peux attendre longtemps, Ô gaulois, parce qu’ici des noms, on ne les donne pas… »
Ce n’était pas la première fois que Concon se voyait affublé de l’épithète de gaulois. Tout était dans l’intonation. Ce pouvait être une invite impérieuse « …Ô gaulois, paye ta tournée!… » voire même affectueuse… » Pour un gaulois, il est gentil… ». Ce genre  de réflexion était cependant rare et il faut bien l’avouer toujours teintée d’ironie. La dernière fois où elle avait  été entendue, correspondait au jour où le malheureux s’était vanté d’avoir abattu une perdrix en deux coups de fusil, un dans les pattes de devant et le second dans les pattes de derrière.
Là, s’il devait y avoir une échelle de Richter de l’apostrophe on était à 8. Le « gaulois » de Marco n’était pas aimable et ne souffrait aucune réponse. Le malheureux Gonthier n’avait même pas le choix de grommeler. Tout aurait été mal interprété. Il devait se lever et s’en aller pour aller se plaindre auprès de son épouse qui, hélas, ne manquerait pas de lui donner le coup de grâce. Il rassembla sa dignité et s’en fut donc sans autre commentaire.
« …Il parle à tort et à travers et tu as bien fait de l’envoyer paître, Marco, mais sur le fond, il n’a pas tort…vire et tourne, quelqu’un veut nous empêcher de regarder les matches à la télé… » Pascal venait en quelques mots de résumer la pensée de toute l’assemblée.
« C’est sûr…mais moi je le crois pas capable d’avoir fait ça…. »
« …Bah, tu as vu la sortie qu’il nous a fait, l’autre soir? Moi , je ne l’avais jamais entendu parler autant… »
Ainsi, sans que jamais son prénom ne soit prononcé, le principal suspect des attentats téléphobes venait d’être désigné. Un long silence s’ensuivit. Deux gorgées de Casa plus loin, Toussaint neutre par nécessité puisqu’on l’a vu, originaire d’une autre vallée, déplaça avec habileté la conversation… »En attendant, pour ce soir, on fait quoi? Il faut qu’on se décide. Moi, je veux bien descendre au stade… »… »Oui mais est-ce qu’il y aura encore des places?… »  » Va qu’il y en aura… » « Bon alors, on descend… ».
Ange-Etienne qui n’avait rien dit jusqu’alors, allant et venant au milieu des tables pour assurer le service, s’arrêta net et en guise de conclusion annonça une décision qui ne surprit personne… »Moi, je sais pas qui a fait quoi…mais la veille du prochain match, moi je veille et s’il y en a un qui s’approche du bar, je lui en sciaque une qui va lui faire passer le goût de casser les antennes…; ».
Mot de la fin sans nul doute. Il fallait qu’en regagnant leur maison, les témoins se fassent l’écho de cette menace afin que nul n’en ignore.
En fin d’après-midi, tous ceux qui ne voulaient pas regarder le match à la radio, s’étaient donc donné rendez-vous pour partir en convoi. Une bonne quinzaine répartis sur quatre véhicules. Une demi-heure avant le départ, environ, Hyacinthe fit son apparition en tenue de ville. Il y avait encore de la place dans une voiture. Il la prit sans commentaires. Personne ne lui demanda rien. Tout le monde savait qu’il était descendu parce que d’en haut, il avait pu suivre l’ensemble des événements, de  l’attentat anti parabolique à la constitution de la caravane. Il n’en demeurait pas moins suspect pour autant.
Après une première mi-temps difficile, face à une équipe marseillaise a priori supérieure, les Bastiais avait fini par l’emporter grâce à un jeune joueur formé au club qui avait marqué à deux reprises, sur des actions individuelles de classe, des déboulés rageurs, qui avaient fait grimper la jeunesse très haut dans les filets de protection. Belle soirée. Fumigènes, drapeaux corses qui claquaient et invectives de qualité à l’endroit des supporters phocéens massés dans un recoin du stade. Quelques insultes mal venues aussi et deux ou trois cris de singe quand un joueur africain touchait la balle. Cette importation des mauvaises pratiques de certaines enceintes continentales avait beaucoup énervé Marco. Il pouvait être nerveux mais son fond était humaniste. Il en profita pour se réconcilier avec Gonthier qui tout pointu qu’il était n’en était pas moins un supporter des turchini.
Le retour tard dans la nuit s’était fait dans une excellente humeur… Trois rencontres, deux victoires à domicile. La saison serait belle. Juste un petit coup de klaxon à l’entrée du village, manière de dire que tout le monde était rentré, que la victoire avait été belle et aussi, un peu, pour embêter ceux qui s’étaient endormis comme les poules.


Liesse populaire

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