Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!
Le mois de juillet touchait à son terme. Les enfants pâlots et un peu grassouillets du début des vacances étaient désormais aussi noirs et secs qu’une branche de ciste après le feu. Des heures de cavalcade dans le village et de baignade dans le fleuve avaient transformé les gamins. Ils avaient même pris l’accent et ponctuaient leurs phrases d’expressions locales… Le moment était venu pour eux de repartir. Il fallait laisser la place à une nouvelle cargaison de petits exilés qui devaient bronzer à leur tour.
Le jour avant, le père préparait la voiture. Il mettait la galerie en pestant. Comme d’habitude ils allaient repartir plus chargés qu’à l’aller. Les enfants raisonnaient « en dernier »…
Le dernier plongeon, la dernière promenade au fond du village pour se faire peur près du cimetière, la dernière glace… Puis, pendant que les parents chargeaient le break, valises, glacière pour le fromage, on glisse dans les interstices les canistrelli apportés par les tantes, et la monnaie du pape pour faire des bouquets dans le salon, la monnaie du pape qui battait au vent du voyage en perdant ses yeux et qui faisait enrager le conducteur.
Un moment peu plaisant en vérité. On embrasse les voisins, à l’année prochaine, puis les parents, on ne dit rien, puis on finit par le père et la mère si par bonheur, ils sont encore vivants. Portez-vous bien. Il y aurait tant de choses à dire à ces petits vieux qui vous serrent. Tout ce qui n’a pas été dit jusque là. La peur de ne pas les revoir. L’amour qu’on leur porte. Mais on ne dit jamais rien. Deux baisers de plus que d’habitude, la gorge serrée, le conducteur qui monte dans la voiture car il ne faut pas rater ce foutu bateau, putain de mouchoirs qui s’agitent, et au dernier tournant, devant la première et dernière maison du village, un long coup de klaxon pour la dernière silhouette, toute menue qui n’a pas bougé. Et puis, quelqu’un se mouche et c’est fini jusqu’à l’année prochaine… si Dieu le veut…
Ceux d’août arrivent à peu près en même temps. Ils sont blancs et excités et contents d’être là. La pinède ronfle sous la chaleur. Le fleuve roule moins d’eau. Ils dépoussièrent à leur tour la maison et refont le parcours des condoléances. Encore un mois. Le village vit encore. Un peu. Mais on n’y pense pas.
Ange-Etienne avait fait réparer l’antenne. Aussi, une assemblée nombreuse et passionnée avait pu suivre le deuxième match de Bastia à l’extérieur. L’équipe corse qui perd peu à domicile est friable lorsqu’elle s’éloigne de Furiani. Sous les hurlements de dépit des spectateurs, la défense en ligne… »…et pourquoi, cette chèvre d’entraîneur il fait jouer la ligne!… », était souvent prise en défaut par les attaquants nantais. Un à zéro à la mi-temps. Même pas de nantais ou assimilé dans les environs pour se faire passer la rage. Le breton est chose rare dans nos contrées. L’arbitre avait été correct. Aucune circonstance atténuante. L’équipe corse était mauvaise. Un point c’est tout. Un quart d’heure de pause à refaire les équipes et c’était reparti. Sur une action qui ne ressemblait à rien, les bastiais égalisèrent dès la reprise. En sautant sur sa chaise, Marco heurta le râtelier et proféra pendant de longues minutes des hurlements convaincus où se mêlaient joie chauvine et douleur sincère. Un match nul à tenir. Quarante minutes, puis trente cinq et l’entame du dernier quart d’heure et « Merda… » Tous ensemble, unis dans un même cri, un même geste, tous balancés à l’arrière des chaises…Nantes reprenait l’avantage sur une frappe lointaine d’un milieu de terrain laissé libre de ses mouvements à une trentaine de mètres de la surface.
« …Pourquoi, ils l’ont laissé jouer, ce con! »…La mystérieuse alchimie des minutes. Trop longues lorsque Bastia tenait un résultat favorable, les voilà qui étaient trop courtes maintenant qu’il s’agissait de courir après le score. Les bleus se lançaient à l’attaque. Et c’est dans un râle que les accaniti du bistrot virent le contre canari se développer et un attaquant s’élancer vers la surface bastiaise, contourner le gardien et pousser la balle, coup de grâce, dans le but vide.
La Sainte Vierge, peu épargnée le matin même, se voyait à nouveau mise en cause. Qu’est ce qu’elle y pouvait la pauvre à la friabilité de l’équipe corse à l’extérieur? N’empêche, il fallait un coupable. Après elle, c’était l’entraîneur, puis les dirigeants qui ne recrutaient pas suffisamment de corses amoureux du maillot et les joueurs eux-mêmes qui manquaient d’efficacité, d’esprit de combat. Les mêmes qui avaient klaxonné leur joie lors de la précédente journée vomissaient maintenant leur équipe. Amoureux déçus. Jusqu’au lendemain.
Il n’y a que les supporters de football pour être aussi versatiles pour développer une mauvaise foi aussi évidente, supportable pour peu qu’il y ait une dose suffisante de second degré. Il n’y avait pas de hooligans chez Ange-Etienne, non, juste des passionnés. Il s’en trouva même un pour dire, mais il était parvenu à une distance raisonnable du bistrot, que celui qui avait cassé cette antenne de malheur, et bien, il avait bien fait.
PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…