Début de saison…12ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Dans la vallée, le temps changeait tout doucement. Le matin, en se levant, les villageois voyaient les sommets couverts de nuages noirs qui résistaient de plus en plus tard. Le tonnerre se faisait entendre jusqu’en milieu de matinée. Puis le soleil revenait. Il faisait toujours très chaud mais un vent un peu humide descendait de temps à autres faire bouger les parasols du bar.
Un jour, sans que ça ne surprenne personne, le ciel était pris du coté de la mer. Les pins bougeaient en cadence et pendant une heure ou deux, les optimistes purent penser qu’il ne pleuvrait pas. Ils n’avaient pas de mémoire ou alors n’étaient pas d’ici. Car, quand la marine est noire, que les nuages qu’elle crache galopent vers leurs cousins des crêtes, il pleut toujours.
D’un coup, le vent se calme et il ne se passe rien pendant de longues minutes. Puis les feuilles du cerisier se mettent à frissonner. L’air est plein d’eau. Il ne pleut pas encore mais ça sent déjà l’humide. Une première goutte, large et gourmande, tombe. Puis très lentement une autre. Puis une suivante. Et les sommations passées, l’orage envoie l’artillerie lourde. Des cascades s’abattent sur les lauzes, rebondissent sur les murs, courent dans les carrughji. Le vent ouvre les volets et visite les maisons. Il faut allumer les lampes. L’obscurité est là qui fait peur aux gamins planqués sous les escaliers. Tu te souviens quand les plombs sautaient. Lorsque la foudre a tué le berger a Petra Pinzuta. Les histoires d’orage font plus peur que la foudre elle même qui tombe là haut où les deux rivières se rejoignent à une heure de marche du village. Si proche pourtant.
Après, ça s’arrête. Le premier orage de l’été est bref. Un apéritif, juste manière de dire qu’il s’installe et qu’il reviendra. Quand il est parti, c’est du tout bon. Rien que des odeurs fortes et une impression de grand nettoyage. Le vert est vert, on l’avait oublié. Les oiseaux et les enfants sortent en même temps. Direction, chasse aux vers pour les uns et le premier virage pour les autres d’où on voit le mieux la montagne et le torrent car il faut maintenant guetter la crue. Il y a des cascades qui se sont formées dans les calanches. Les ruisseaux ont grossi. Personne n’ira se baigner aujourd’hui. Ni demain, dans une eau de crue, les vieux ont transmis le message, on peut attraper les fièvres de Malte.
Ange-Etienne aimait le premier orage, fidèle au rendez-vous. Il ne lui en voulait pas de signaler la fin de l’été toute proche. Ce jour là, en particulier, il était de plus content de savoir qu’il allait monter la garde dans la fraîcheur. Demain, Bastia accueillait Rennes et s’il avait bien décodé les indices, son visiteur tenterait quelque chose cette nuit pour empêcher que la soirée se déroule comme prévu.
L’obscurité tombait vite désormais. Il décida de s’installer sur le toit dans un recoin d’où il voyait presque toutes les maisons du village et loin aux alentours. Les gens qui savaient ce qu’il avait projeté ne s’étaient pas montrés surpris de le voir fermer le bar de bonne heure. Contrairement à ce que la rumeur avait prévu, il n’avait pas pris son fusil avec lui. Ange-Etienne n’était ni violent ni inconscient. Ce qu’il souhaitait, par dessus tout, c’est que son avertissement largement diffusé, dissuade qui que ce soit de tenter quelque chose. Et si ça ne suffisait pas, si l’enragé se présentait malgré tout, il pensait qu’une bonne rouste suffirait à le dissuader de manière définitive. Il sourit. Etait-il encore de taille?
Dans le temps, personne ne lui aurait manqué de respect. Ange-Etienne était craint. Il ne se laissait pas toucher le nez. Bah…il verrait bien. En face de lui, le maquis ne bougeait pas. La lune promenait des ombres derrière les arbustes. En définitive, il était content d’être là. Quand il était gamin, il adorait s’allonger la nuit, dehors, sans rien faire. Respirer le moins possible, écouter la torpeur qui petit à petit s’emparait du village et de ses alentours. A l’époque, il y avait toujours un renard qui vocalisait à un moment ou à un autre, histoire de tester les chiens. C’était alors parti pour un long moment d’aboiements furieux, suivi de jappements de douleur consécutifs au coup de pied assené par le propriétaire qui ne souhaitait que dormir. Le patron du chien était ingrat. Le renard lui repartait, insolent et ravi. Il se payait de ses nuits de disette. Ses cousins de niche avaient de la soupe mais ils le payaient cher.
Plus tôt dans la saison on entendait le coucou…puis la chouette. Il se disait qu’elle annonçait la mort. Ange-Etienne aimait bien les chouettes avec leur vol glissé. Il pensait à toutes ces choses qu’il n’entendait plus. Les renards arpentaient les décharges et n’houspillaient plus les chiens. Les poulaillers étaient vides, qu’auraient-ils eu à faire dans un village où il n’y a plus de poules. La soirée avançait tout doucement. Il savait qu’il était onze heures environ rien qu’à la fraîcheur du vent. Les cistes bougeaient. La lune éclairait. Les grillons grillonnaient. Les choses étaient en place.
Ce fut une odeur qui attira son attention. Juste avant qu’il distingue une lueur dans le pagliaghju, le pailler, que lui avait vendu Pierre-Marie son susceptible cousin qui était parti s’établir à Sartène -où à ce qu’on dit, il avait épousé une batave- après une énième dispute. En fait, Ange-Etienne avait du voir avant de sentir mais l’image était tellement évocatrice, que de manière simultanée, elle avait suscité en lui la sensation olfactive de l’herbe brûlée. Il y avait le feu .

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