Début de saison…9ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Les jours se suivent et se ressemblent au village. En apparence. Les estivants qui font une halte voient des rues assoupies sous une chaleur blanche. Des volets qui sont fermés à l’heure de la sieste et ils entendent lorsque la fraîcheur revient, des conversations qui paraissent identiques aux tables de la terrasse. C’est une illusion. Les gens ne sont pas les mêmes. Leur existence évolue au gré des petites nouvelles et des grands malheurs. La lumière qui tremble aujourd’hui près de l’église n’est pas la même qu’il y a deux jours. Cette maison est fermée alors qu’hier des draps pendaient sur un fil dans le jardin. L’ombre des châtaigniers est plus fraîche et si les moineaux reviennent en bande à la même heure pour se nicher, leur arrivée ne se fait plus dans la lumière du jour. La lumière, elle est peu plus grise, juste un peu. Assez pour que les observateurs habitués sachent que l’été tourne.
Des nuages tout ronds s’accrochent au sommet. Il y en avait un la semaine dernière. Il a réuni sa famille désormais. Ca fait une crème rosâtre. Et hier, en fin d’après-midi, l’orage est venu en montagne. Les enfants, faites attention à la crue, ont dit les mères et les tantes, tout comme l’an passé. Les enfants ont répondu ce que répondaient leurs aînés. On connaît la rivière, ne vous inquiétez pas puis ils sont descendus en bande, garçons devant, filles derrière, jusqu’au fleuve.
Des journées comme ça, Ange-Etienne en avait connu des dizaines. Il était partagé entre le bonheur d’être là dans une chaleur émolliente et la tristesse de savoir que les choses ont une fin. Il doit y avoir d’autres endroits dans le monde où on ne peut pas être parfaitement heureux. Ils doivent alors ressembler à la Corse. Des paysages trop lourds, trop significatifs pour qu’un homme ne se sentent pas écrasé par le sentiment d’être en trop. Des terres d’exil aussi, où on connaît le prix des moments qui se savourent parce qu’il sont toujours suivis du départ. Une île obligatoirement.
Ange-Etienne se secoua. Il avait annoncé qu’il monterait la garde mais n’espérait qu’une chose, c’est que l’annonce de cette mesure dissuade de venir, celui qui à deux reprises, avait gâché sa tranquillité. Il appela son neveu et lui proposa de tenir le bar pour l’après-midi prétextant que les gendarmes lui avaient demandé de venir signer la plainte. Il ne voulait pas qu’on le voit monter directement chez le berger. Aussi, il prit sa voiture et quitta le village. Après quelques hectomètres, il gara son véhicule en l’engageant dans une piste pare-feu et à partir de là, il rejoignit après une brève incursion dans les cistes collants, le chemin de ronde qui en contournant le village, le mènerait chez Hyacinthe.
Il était certain de ne rencontrer personne. A l’heure la plus chaude, les villageois ne marchaient pas. Il fallait être un touriste pour affronter le soleil. Le soleil n’est pas un ami. Il est là, point à la ligne. On s’en accommode, on s’en sert mais si possible on évite de lui présenter l’échine au moment où il règne, bien joufflu, bien gris dans un ciel tout pâle. Les gosses étaient au fleuve et ceux qui chassaient les lézards pour appâter les lignes de fond à anguilles, maraudaient plus haut vers le cimetière. Le chemin était plus long, mais il ne voulait pas être vu.
Une heure de marche. Ange-Etienne mesurait à son pouls surpris la perte de forme. Il y a bien des années, il montait ce raidillon au trot quelle que soit l’heure. Plus haut, il y avait un poste pour la battue sur un amas de rocher. Il y avait passé des heures. Le sanglier pouvait passer à cet endroit. Il fallait donc un tireur. Mais les probabilités étaient faibles. C’est donc là que les chasseurs confirmés mettaient les débutants. Lui, aimait bien ce coin. Personne ne le voyait. Il regardait les maquis, les montagnes au-dessus de la pinède. Il attendait qu’un double coup de fusil marque la fin de l’expédition. Le cochon avait été tué ailleurs mais lui avait passé un bon moment tout seul. Il était amoureux à l’époque. Une fille du village. Elle ne voulait pas de lui. Là, au poste, il refaisait sa vie. C’est entre ses blocs de granit, allongé sur le dos qu’il avait décidé de partir sur le continent.
Un jour, le sanglier avait déboulé.
Ange-Etienne avait entendu le bruit du galop et des arbousiers qui cassaient au passage de la bête. Un grognement très bas aussi puis des pierres qui roulaient juste devant lui. Il avait hésité quelques secondes puis avait décidé de tirer. Le cochon avait été arrêté net, les deux pattes de devant s’étaient pliées sous lui et emporté par l’élan, il avait fait une ultime roulade. Comme un sanglier fauché en plein vol, avait dit un jour Gonthier qui décidément n’en ratait pas une.
C’en avait été fini de son poste tranquille. Auteur d’un joli doublé, il avait rejoint la confrérie de ceux qui ne gâchent pas la chevrotine et s’était vu attribuer des emplacements plus avantageux. Mais, il ne pouvait plus rêver. A portée de voix des autres chasseurs, il entendait leurs commentaires pendant que les chiens donnaient de la voix sur la crête. Avec le recul, Ange-Etienne, qui n’avait jamais dit à personne qu’il avait un instant hésité à tirer, pensait que pendant ce bref instant où il avait eu le choix, il avait dû comprendre qu’en tuant le sanglier, il perdait quelque chose.
En fait, il avait continué à chasser mais de moins en moins. Il aimait roder dans le maquis, être excité par le bruit de la chasse mais l’amas de chair plein de sang, était un aboutissement qui ne lui convenait pas. Il aurait voulu que l’instant qui précède celui où on tue dure toujours. La fin du cochon marquait trop, de façon tellement visible, ce qu’était la mort, que ça lui était pénible.
Il pensait à tout cela en abordant la pinède où alors qu’il était gamin, il montait avec son oncle chercher les champignons safranés. De beaux champignons vert de gris et qui saignaient eux aussi quand on les entamait d’un coup de canif. Sa mère et sa tante les mettaient en conserve avec de l’huile d’olive balanine, de la bonne, d’avant les grands incendies. L’oncle en gardait quelques uns pour faire une omelette les soir même, bien baveuse, avec de l’ail. L’omelette et les champignons, c’était octobre humide. Il sentait l’odeur juste comme ça, rien qu’en y pensant. Il aurait bien aimé avoir un fils pour lui apprendre les safranés, les châtaignes et les truites du ruisseau juste cent mètres plus haut. Tu glisse la main sous la pierre, tu la caresses et deux doigts dans les ouïes, tu la sors.
En définitive, la montée vers la bergerie lui avait paru courte. Son souffle était, un peu, revenu. Hyacinthe l’attendait. Le chien avait du aboyer. Le berger n’était pas surpris de la visite. Pas troublé non plus. Ou en tous cas, il imitait bien.
« …Heu Hyacinthe… »
« …Ho Ange…tu as senti l’odeur du café?… »

Ricordu!

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous n'êtes pas un robot? * la limite de temps est dépassée