Archives de catégorie : I mo rughjoni.. d’où je viens

les lieux qui me sont chers

Cacciate (2)

Si sente pichjà a a porta.. Entrite, entrite ô zittè chi fora face un fretu chi si seca. Mirate,  aghju incipattu gran’focu. Pusate vicinu u caminu, pigliatevi un bichjeru di vinu e quandu sera pronta a brusta, ci faremu duie o tre arrustite. Allora, pare chi vi anu piaciutu e cacciate di Jojo e chi ava, vulete sente quelle di Titine ?
Si l’affaru un sorte micca di casa e vi possu narrà.
Dunque v’aghju da parlà di Titine. Era una dona brava ma comu possu di..piutttostu senza malizia. Dicia cio ch’ella pinsava e cose cum’elli li venianu. Stava in Niolu e tra di noi ci era a parintia, alluntanata ma parintia quantunque. Luntanu ch’ella era un la vediamu tantu, chi a l’epica, cullà di Filosorma in Niolu era una spedizione. E a mè, mi dispiacia d’un cunoscela chi Mamma m’avia dettu, chi quandu era natu, Titine m’avia trovu assai bellu. Dicia sempre chi criature quante mè un ci ne era tantu. E era bramosa di vedemi torna. E di sicuru esse ammiratu cusi mi piacia assai !
Un ghjornu, avia a pocu pressu quindec’anni, avemu dicisu di fà in duie o tre ghjorni u giru di i nostri parenti niulinchi. V’arricurdate a canzone « a muntagnera » di u tintu Marcellu Acquaviva di l’Acquale ?
Avvedeci ô Filosorma
Incu i parenti e l’amichi
Sempre ligati a u Niolu
Per e gioe e li castichi
Da Montestremu a lu mare
Avemu listessi antichi…
Dunque, si simu cansati in parechje case per finisce per quella di Titine. Era puru cuntentu di vede in fattu fine questa dona chi mi tenia cusi caru. Ohimè..quandu so entrutu in salottu induve c’ aspettava, l’aghju entesa di..(tanti anni dopu, aghju sempre e so parolle in mente ! !) quand’ella m’a vistu
« E quessu Anto’..ma cum’ellu è goffu..un la dicu piu ch’ellu è bellu..ma cum’ellu è inguffitu..ma cusi goffu..ma cusi goffu ! »
Tutt’in terra ô zittè. A m’aghju pigliata e m’aghju tenuta. So surtitu, cochju cochju, manera d’ingolle cio chi mi paria tandu un bel’affrontu. U peghju è chi quarant’anni dopu, i mo cari cugini carnale ( si ricunusceranu) si campanu certe volte quandu m’affacu, mughjandu « ma cusi goffu ! »
Un’altra volta, Titine si n’era andata da fà una visita a una paesana chi venia di parturisce. Ci vole da sapè chi a surella di Titine, pocu tempu nanzu avia persu un ciucciu qualchi ghjorni dopu a so nascita. Quand’ella a vistu u cininu indè u so veculu, a fattu questa cacciata « ah..i belli morenu e i goffi campanu »
Cusi si vede chi di a belleza e di u guffeghju, a nostra amica ne avia primura !
Bon..eiu mi so rimessu di sta vergogna..un n’era cusi grave ma a mamma chi s’a pigliatu in faccia quellu ghjastemu, un so micca sicuru ch’ella appia troppu prizziatu l’affaru.
Tempi d’una volta… ava so tutti in Paradisu, Jojo, Titine e l’altri e so sicuru chi certe volte, si campanu di risu, l’anghjuli e i cherubini !

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Le château du Prince Pierre à Luzzupeu

Il m’a souvent été donné de vous parler du temps qu’il fallait, l’été venu, pour rejoindre le village. Le train, le bateau bien entendu mais aussi la poste. Départ, place de la citadelle à Calvi et l’interminable route de la côte avec halte obligée à chaque colis à livrer, à chaque passager rendu.. camping des mouflons, Bocca Seddia, Bocca Bassa…

Un endroit m’impressionnait sans que pourtant nous ne nous y soyons jamais arrêtés. Une ruine imposante sur une crête à l’écart de la route aux environs immédiats de Luzzupeu et avant l’Argentella.

Ma mère me disait que c’était le château du Prince Noir qui avait été exilé ici pour des raisons politiques. Elle ne savait pas exactement lesquelles mais me précisait que le Prince, fort marri d’être éloigné de Paris avait ensuite tant apprécié son séjour, qu’il avait écrit un lamentu pour exprimer son désespoir lorsqu’il avait fallu repartir. Le texte de ce lamentu, elle ne le connaissait pas vraiment mais se souvenait qu’il commençait par « ô rendez moi mes montagnes, ô rendez moi mon maquis… ». Je n’ai trouvé nulle trace de cette chanson mais peu importe, il n’en fallait pas davantage pour exciter l’esprit d’un gamin d’autant que les passagers de la poste lui précisaient en toute bonne foi, que les hauts murs avaient abrité une ménagerie, lions, tigres….

Il aura fallu que j’attende cet automne pour me rendre enfin sur les lieux avec la Belette Agile à qui j’ai délégué l’aspect photographique du blog. Impressionnante bâtisse ! ! Le mur d’enceinte m’a étonné. Il court sur je ne sais combien d’hectomètres et enserre la propriété dont j’ai découvert en lisant les quelques textes qui lui sont consacrés, qu’il s’agissait d’un pavillon de chasse. Pas de tigres donc, ni de lions mais sans nul doute des écuries et un ou plusieurs chenils. Le Prince Pierre Bonaparte n’était peut être pas pour rien surnommé « Petru di i centu cani ».

Ce que je trouve passionnant dans cette histoire, c’est la façon dont elle a été revisitée pour ne pas dire enjolivée.

Le gaillard était un turbulent, c’est le moins qu’on puisse dire. Grand voyageur, prompt à la détente ( une lieutenant des carabiniers y laissa la vie ainsi que quelques bandits semble-t-il), plus ou moins conspirateur, homme politique. Bref une figure. Mais pas du tout un exilé puisque c’est en conseiller général qu’il est arrivé en Balagne où son nom est associé, entre autres, à quelques fontaines dont celle de Calenzana.

Une chose m’intrigue, c’est le surnom de Prince Noir. Je me demande, mais c’est sans doute un anachronisme, si ce surnom ne lui a pas été donné après coup (si je puis dire) lorsque il a tué le journaliste Victor Noir. Une curieuse fusion entre le prince qu’il était et le nom de sa victime.

Le personnage était romanesque. Vous pourrez en savoir davantage sur lui en cliquant ici et . L’endroit est magnifique. Mais délabré. La nature effacera les traces du Prince. De temps en à autres, je referai la route de la cote, en me demandant comme à l’époque, ce qu’il serait arrivé si un tigre ou un lion s’était échappé pour remonter jusqu’à Bardiana. S’invechja ma ferma u zitellu chi simu statu ! !

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Pont génois

Il existerait une soixantaine de ponts génois en Corse. Ce site  propose les photographies de quelques uns de ces ouvrages. Y figure le pont génois du Fangu. Ce n’est sans doute pas le plus beau (j’avoue trouver plus esthétiques ceux d’Ascu ou de Ponte Leccia) ni le plus imposant. Mais, c’est celui de ma vallée. U ponte vechju. Le pont vieux.

Et je trouve qu’il se distingue des autres par la beauté du panorama dans lequel il s’inscrit. La belette agile  ma photographe attitrée, a profité de notre dernier séjour au village pour en faire quelques clichés automnaux. U ponte vechju est paisible. Ce n’est pas le cas l’été où sa proximité immédiate de la route et une jolie piscine naturelle, attirent les touristes.

Sous l’appellation « pont génois » on retrouve un ensemble d’ouvrages en pierre construits par les génois en Corse lors de l’occupation par Pise et Gênes. Ces ouvrages ont été édifiés entre les 13ème et 18ème siècles. Il s’agissait alors de permettre le transport des productions insulaires (blé, vin, huile d’olive ou encore châtaignes). Ces ponts étaient prévus pour les véhicules de l’époque à savoir les mulets. Ils permettaient le croisement de deux bêtes bâtées.  Au cours du 18ème siècle, ils ont été élargis pour autoriser le passage des charrettes.

Le pont du Fangu a subi ces travaux plus quelques autres pour le renforcer. Le pavement initial demeure (voir les photos) et il est utilisé pour le passage des véhicules qui montent vers Chiumi, lieu dit dont il faudra que je vous parle un jour à propos de son église en ruine. Mais c’est une autre histoire.

Le plus étonnant de mon point de vue, c’est de voir ces ponts résister aux crues méditerranéennes. Leur structure (dos d’âne, arche unique le plus souvent et tablier étroit) les rend insensibles au temps alors même qu’ils ne sont plus entretenus ou fort peu. En fait, les génois observaient avant de construire et la position de ces ouvrages et leur hauteur par rapport au cours d’eau, expliquent cette longévité.

Et en plus, ils sont beaux. Mais vous me direz, non sans raison, que rares sont les choses qui ne sont pas belles en Filosorma.

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Macrostigma

Ce n’est certes pas la saison. Mais et sans doute parce que pour diverses raisons, je n’ai pu aller en Filosorma ce printemps pour taquiner la truite, j’ai eu envie de vous parler de pêche. Un argument pour évoquer en fait la jeunesse, les amis et la nature. Un peu la macrostigma aussi car c’est elle la vedette.
Il était une fois.. il y a une belle paire de décennies en tous cas, un tout jeune gamin qui passait ses vacances dans une maison du bas du village. Case suttane donc. Un jour, à l’occasion d’une visite dans une maison du haut du village, case suprane, il a rencontré un autre garçon, un peu plus âgé qui est devenu et resté son ami. Comme ils étaient vraiment jeunes, leur terrain de jeu était tout d’abord circonscrit au jardin. Puis, en vieillissant, ils se sont emparés des ruisseaux avant de déboucher sur les rivières.. celle de Montestremu d’abord, calme sous les arbres puis le Fangu, plus agité et bien plus profond.

Une année, le plus âgé des deux a commencé à pêcher. Et il a emmené le plus jeune avec lui. Le terrain de jeu était plus vaste et les expéditions tout à fait sportives. Bocca Bianca, Cavichja au-dessus et au dessous du gué, Scalella et l’Onca entre autres. Qu’on ne s’y trompe pas ! Aller pêcher à l’Onca signifiait un départ la veille en fin d’après-midi pour passer Caprunale et rejoindre Puscaghja et y passer la nuit pour être dans les ruisseaux dès le lever du soleil. Et retour au village après une journée d’une dizaine d’heures où après avoir sauté de rocher en rocher, il fallait se refaire l’interminable route jusqu’à Bardiana. Quant à la partie basse de la Cavichja, c’était une nuit dans une espèce de grotte au-dessus di u traghjettu, di u zoppu, le gué du boiteux, avant d’attaquer la descente le lendemain matin. Et quelle descente ! ! Torrent escarpé, passage dans le maquis avec embrouillamini de fil garanti, saut dans les pozzi glacés parce que parfois ce n’était pas possible autrement . Et tout ça, en tous cas pour ce qui me concerne, conclu par de retentissantes bredouilles. Ce tronçon de rivière ne m’a jamais aimé.
Et attention, le duvet et le camping-gaz étaient des concepts à l’époque. La nuit se passait dans une couverture roulée et les repas étaient à base de pain, de saucisson et d’une espèce de noix de jambon dont je revois encore la boite plus ou moins ovale, dégoulinante de gelée. Mon Dieu, que c’était bon !
Et puis, il y avait le moment magique. Accord entre les deux pêcheurs pour ne pas commencer à lancer avant que l’autre soit prêt. Et puis, la rivière en toute fin de nuit, encore grise. Et nous, sur un rocher. La première touche, le premier poisson.
Une chose est sure et certaine. Nous avons toujours été conscients à ces moments précis de vivre des petits joyaux de vie éphémères. Une harmonie.
Alors, des truites, nous en avons pris. Parfois beaucoup et quelques unes fort belles. Et nous continuons à pêcher même si nous avons un peu forci.

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Mais le plaisir est le même. La rivière a changé par contre, moins d’eau, des chemins fermés. L’ami à qui je dédie ce billet prenait le double de truites et moi, j’attrapais souvent la plus belle. Il y a une justice dans ces ruisseaux.

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Ah, j’allais oublier de vous dire deux mots sur la macrostigma. Le plus simple est d’en appeler à Wikipedia.
« .. La truite corse, communément appelée macrostigma d’après Salmo trutta macrostigma se rencontre en Corse où elle peuple les cours d’eau de l’île depuis plus de 150 000 ans. Pour qualifier la truite sauvage Corse, elle fut d’abord appelée « Duméril » (1858), puis Spillman (1961) et enfin « Macrostigma ». Ce sont les récentes séries d’analyses génétiques réalisées en Corse qui ont clairement identifié la truite endémique Corse aux autres souches identifiées (Atlantique et méditerranéenne). Au cours de ces études il a été constaté que la robe phénotype de la macrostigma varie fortement en fonction des bassins versants où elle se trouve, sans doute à cause d’un isolement géographique des populations dans les bassins fermés, développant ainsi chacune une robe différente en fonction de son environnement. C’est pourquoi seule l’analyse génétique permet de les identifier avec certitude des autres espèces de truites introduites dans l’île… »
Belle et identitaire. Et menacée aussi. Car, s’il m’arrive encore de prendre quelques truites, ce sont des arc-en-ciel ou des farios communes. De la macrostigma, plus du tout. Pour son plus grand malheur, la belle s’est réfugiée très en amont du Fangu, où certes elle échappe aux filets mais pas aux effets de la sécheresse que nous constatons année après année.

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C’est ici que l’on voit que comme souvent nos petites histoires rejoignent la grande.

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Piena di u Fangu…Ottobre 1992…

Après une longue interruption du son et de l’image due à une surcharge de travail (et oui le Filosorma ne nourrit pas son homme), je reviens vers vous pour vous parler d’un événement peu référencé sur le web. On en parle ici ou là, mais je n’ai trouvé aucune iconographie. Aussi, je suis ravi de pouvoir vous proposer quelques photographies qui sont en fait des épreuves papier numérisées (merci à Gè, u mo cuginu de les avoir prises et de me les avoir prêtées). A l’époque, le numérique était peu voire pas répandu et même si la qualité est moyenne, le lecteur pourra néanmoins se faire une idée en regardant le carrousel.

La crue donc ! En langue corse, il y a deux mots pour désigner ce phénomène naturel.. a piena e a fiumara avec des variantes de pronociation de ci delà.

En octobre 1992, la vallée du Filosorma et de façon plus large toute la façade occidentale de la Corse, de Calvi à Porto, a connu un épisode pluvieux d’une rare intensité à la fois dans sa durée et en densité. Le bassin du Fangu est versant. Ce qui signifie que c’est un territoire délimité par des lignes de crête (ou lignes de partage des eaux) et irriguée par un même réseau hydrographique (une rivière, avec tous ses affluents et tous les cours d’eau qui alimentent ce territoire). A l’intérieur d’un même bassin, toutes les eaux reçues suivent, du fait du relief, une pente naturelle et se concentrent vers un même point de sortie appelé exutoire. Dans un bassin versant, l’eau se fraye des chemins sur et dans les sols. Elle emporte avec elle de la terre, des végétaux, des pierres. Lorsque toutes les crues secondaires convergent dans le bassin versant, celui ci qui est déjà torrentiel par nature, affiche alors un débit exceptionnel Le document DIREN-SEMA de mai 1994, intitulé « Etude historique des catastrophes naturelles en Corse précise que la crue des 20 et 21 octobre 1992 a duré plus de 24 heures, avec deux pics supérieurs à 600 m3/s et à 6 heures d’intervalle.

Ce n’est pas la première crue de cette ampleur dans la vallée du Fangu. Ma tante Catherine évoquait souvent celle de 1916, je crois, qui avait emporté tous les moulins qui étaient alors, nombreux sur les rives du fleuve. Mais, dans tous les cas et c’est tant mieux, il n’y a pas eu de blessés ou de morts. La sagesse des anciens sans doute qui les poussait à édifier leur maison à l’écart des cours d’eau. Celle du pont de Montestremu un peu plus près du ruisseau, ancien moulin oblige, n’est pas passé loin cependant si on en croit les photos. Il faut pour se faire une idée de la violence du phénomène, s’imaginer u pozzu di a verga, le trou de la passerelle comblé par les graviers alors qu’il fait bien quatre mètres de profondeur. Tant mieux pour les baigneurs, il a retrouvé son format originel par la suite. Les ponts ont tenu aussi même s’il a fallu déblayer les amas de pierre apportés par le courant.

Il faut se méfier du Fangu. En octobre, et de nuit, il n’y avait personne pour se baigner ou même camper dans le lit du fleuve. Mais l’été, alors qu’il fait grand beau temps dans la vallée, il peut pleuvoir depuis des jours en montagne. Les baigneurs inconscients, et souvent sourds aux avertissements qu’on leurs prodigue, descendent au fleuve sans mesurer le danger. La crue lorsqu’elle arrive est moins violente que celle que j’évoque aujourd’hui mais elle peut être mortelle. J’ai le souvenir d’un estivant que nous avons sorti de justesse de l’eau en plein mois de juillet. Celui-là qui avait négligé nos appels à la prudence était moins faraud alors qu’il partait à la dérive en dessous de San Quilicu.

Pas de conclusion particulière si ce n’est que quand vous descendrez vers les pozzi, jetez un œil à la grande barrière pour voir si les spicie, les cascades, annonciatrices de crue ne s’y sont pas formées. U Fangu, on l’aime, on le respecte et on le craint !

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Début de saison…4ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Au moment où les gendarmes rentraient à la caserne, Ange-Etienne derrière son comptoir, lisait le Corse Matin que le facteur lui avait laissé. Il le lisait comme tout un chacun en commençant par la page des faire-part de décès. Surtout être vigilant, il ne fallait pas que la disparition d’un cousin éloigné vivant dans un autre village, lui échappe. Suivant le degré de parenté, il fallait envoyer un télégramme, voire même se déplacer. Tout manquement à cette règle était un affront. Ensuite, il passait aux nouvelles locales puis aux fait divers. L’actualité nationale et internationale lui importait peu. Ange-Etienne considérait qu’il y avait matière suffisante à réflexion dans les événements qui agitaient son petit monde.
L’arrivée des deux frères ne le surprit pas. Il savait qu’ils viendraient. Un an sans franchir la porte du café mais il aurait été très étonné de ne pas les voir aujourd’hui. L’été précédent, ces deux là étaient là tous les soirs assis sur la terrasse, parlant corse et affectant des mines de conspirateurs. Gros véhicule tout terrain bleu de chine ou treillis et crâne rasé. Ils s’acharnaient à ressembler à leur caricature. Ils portaient au cou, la médaille en or représentant le rebelle armé. Un plaisantin leur avait fait remarquer qu’en arborant ce lourd pendentif, ils prenaient un risque inconsidéré. Ils avaient rétorqué froidement qu’ils ne mettaient pas leurs opinions dans la poche et qu’ils ne craignaient pas la maréchaussée. Leur interlocuteur leur dit alors qu’il pensait plus à un risque de torticolis, vu le poids de l’objet qu’à une interpellation policière. Le regard méprisant qu’il avait obtenu en retour lui avait interdit de profiter très longtemps de son bon mot. Et à dire vrai l’avait dissuadé de tenter une autre plaisanterie sur ce registre.
Jean et Marie-Ange ne dirent pas bonjour. Ca ne se dit pas. Une exclamation interrogative en tient lieu… »Heu ». Pratique en fait. Si on n’a pas envie de parler, on répond par la même interjection. Si on veut entamer la conversation, après le « Heu… » on pose une question, du style « ça va? ». Pour un patron de bar, la transition est facile. Suivant l’heure, il dit café ou pastis.
Là c’était café. La conversation fut brève. Les deux frères connus pour leurs sympathies nationalistes n’avaient qu’une chose à dire. Ils n’étaient pour rien dans l’incident du matin. Ange-Etienne le savait. L’incident de l’été précédent avait été suffisant pour qu’ils se vexent mais pas au point de se livrer à ce genre de plaisanterie.
Il haussa les épaules pour signifier que l’hypothèse était saugrenue. Mais, il fallait pour le bon ordre des choses que la visite ait lieu.
Ils partirent et en les suivant du regard, Ange-Etienne se dit qu’il n’y entendait décidément plus grand chose. Lors des événements d’Aléria, il était un homme dans la force de l’âge et s’était senti proche des insurgés. Il lui semblait alors qu’il était temps de réagir puisque l’état ne voulait pas le faire. La défense de son île, de sa culture et de ses valeurs méritait qu’on se batte..Puis, il avait moins compris.
Ce n’était pas un théoricien. Peu de livres, éloigné des discours et des doctrines. Ange-Etienne se faisait son opinion en utilisant le filtre des valeurs qui lui avaient été inculquées par d’autres à qui elles avaient été transmises. Le malaise l’avait gagné aux premiers morts surtout qu’il sentait derrière les homicides une lourde odeur d’argent. Il respectait la vie. Et lorsqu’un homme seul avait été abattu sans gloire dans une rue d’Ajaccio, il avait eu honte comme beaucoup de gens autour de lui.

C’était en définitive une journée habituelle. Les premiers touristes descendaient au fleuve chargés de paniers et de matelas pneumatiques que les ronces ne tarderaient pas à honorer. Les villageois ne s’étaient plus montrés au bar. La vie ne reprenait vraiment qu’en fin d’après-midi. Jusque là, il faisait trop chaud. Vers cinq heures alors que les jeunes commençaient à se réunir sur les « muragliette », Hyacinthe fit son entrée. Il portait sa tenue de stade.
Les  conversations étaient alourdies. Par petits groupes, éloignés d’un ou deux mètres, un debout pour deux assis, les garçons commentaient les événements du jour . Après avoir touché quelques mains, le berger s’était installé un peu à l’écart. Il n’avait pas grand chose à dire. Ce genre de visite silencieuse était habituel. Au bout de quelques minutes, après avoir regardé sa montre, sans s’adresser à personne en particulier, il demanda. . »Qui c’est qui descend au match?… ».
La question ne concernait pas les adolescents. Parmi eux , aucun n’était en âge de conduire. Ils étaient souvent passagers des voitures pour Furiani mais ne décidaient de rien.  C’est un des plus âgés qui répondit de façon quelque peu indirecte… « …Oh  Hyacinthe, tu n’as pas vu la parabole?… »
« …Oui, je l’ai vue, on ne voit même plus que ça…et alors? »
« …Ecoute, moi je crois qu’au stade , personne n’y descend. Il ont acheté le match… Ils vont le regarder ici. Ca donnera du commerce à Ange-Etienne…  On a commandé des pizze et puis on boira un coup. Ca évite de descendre et de remonter de Bastia dans la soirée et on voit mieux… »
« On voit mieux quoi? »…A l’évidence Hyacinthe n’était pas enchanté par l’innovation. Mais, il n’entrait pas dans les habitudes des gens de sa génération de débattre avec la jeunesse. Aussi, il se leva sans attendre de réponse et descendit vers le bistrot, où ses compagnons de route habituels s’étaient attablés.
« …Pourquoi, on descend pas au match? » …La question était directe et assez peu conforme aux usages qui commandent en temps habituel de discuter en cercles concentriques, à la périphérie du sujet pour n’y venir qu’au bout d’un long moment, à la fois pour ne pas montrer qu’on y attache de l’importance mais aussi pour laisser à son interlocuteur le temps de se préparer.
« Piombu »… Quelques expressions, plus amusées qu’agacées jaillirent des deux ou trois groupes qui s’étaient tournés vers l’arrivant. Ceux qui se trouvaient là savait que Hyacinthe allait descendre et qu’il poserait cette question. Mais aussi vite, non. Avec un air aussi sombre non plus. L’adjoint qui avait un sourire de soir d’élections favorables, poussa la chaise en direction du berger pour l’inviter à s’asseoir, lui proposa un apéritif, offre déclinée, et se lança dans l’explication attendue…
« … Hyacinthe, je sais que ça ne va pas te faire plaisir. Tu as l’habitude d’aller au match avec nous. Tu aimes ça, c’est ta sortie. Mais, Bastia c’est loin et se faire quatre  heures de route pour un match c’est long. Avant, il n’y avait pas moyen de faire autrement mais maintenant que Ange-Etienne, il a pris le satellite, on peut commander le match et le regarder d’ici. D’abord ça nous coûte moins cher, en plus ça fait de l’animation au village et puis on le voit aussi bien à la télévision et même mieux… tu verras Capone et son labrador en gros plan!… »
Hyacinthe parlait peu. En définitive, personne ne l’avait entendu s’exprimer très longtemps. Il commença par regarder pendant un court instant celui qui venait de dire le droit, puis balaya d’un coup d’œil interrogatif le reste de l’assistance puis finit par fixer la parabole, puis il revint vers son public. « …Quand j’étais gamin, la route goudronnée, elle s’arrêtait au pont génois. En plein milieu d’un tournant… »
Il marqua une pause. « …Après, c’était une piste de sable. Les touristes, ils s’arrêtaient net parce qu’ils ne voyaient rien en fond de vallée et qu’ils n’avaient pas envie de casser la voiture. La poste, elle venait une fois par jour de Calvi et elle arrivait à sept heures le soir avec les commandes et ceux qui rentraient au village. On ne voyait personne et ceux qui arrivaient par hasard jusqu’ici, ils étaient tellement rares, qu’on se serait presque fâchés s’ils avaient refusé le café ou le sirop d’orgeat. Je me souviens quand on a mis l’électricité. C’est pas si vieux. D’en haut, je n’ai plus vu les lampes électriques de ceux qui dormaient à l’étage, en train de faire le tour de la maison pour aller dans les chambres. On faisait la veillée et puis on l’a plus faite. Puis, ils ont goudronné jusqu’ici. Puis, il y eu la télévision et là, je n’ai plus vu personne sur la route. Même les jeunes, ils ne se promenaient plus. S’ils étaient pas à la plage, en boite, ils restaient à la maison voir quelque film… »
C’était la première fois qu’il parlait aussi longtemps. Du coup, le silence s’était fait. Ils étaient intrigués.
« …Moi, ça ne me dérange pas, tout ce changement. C’est la vie qui est comme ça. A une époque les femmes, elles se levaient la nuit pour arroser parce qu’on se partageait l’eau et elles lavaient au fleuve parce qu’on pouvait pas faire autrement. Ceux qui disent que c’était le bon temps, ceux là ils en parlent sans savoir. Tu pouvais mourir parce que le docteur, d’abord il était loin et que de toutes façons, tu lui aurais dis comment que quelqu’un était malade? Il n’y a pas à regretter. Et de toutes façons, qu’est ce qu’il y avait à faire. Tant qu’on garde certaines choses, tout va bien. Mais là, si parce qu’on peut acheter un match à la télé, on n’est même plus capable de sortir du village, pour aller soutenir notre équipe…alors là… semu fritti. Il n’y a plus de mentalité. Le progrès, ça va, s’il nous apporte quelque chose qu’il n’y avait pas. Mais là, il nous l’enlève… ».
Comme Hyacinthe avait parlé sans colère, sans mettre en cause qui que ce soit, il n’y avait pas matière à débattre. Personne n’était visé et au fond, ils étaient en accord avec ce discours. Mais, lui faire plaisir, lui donner raison, c’était quatre heures de mauvaise route et ça, aucun n’en avait envie. Devant le silence et les bras fatalistes qui s’écartaient, le berger comprit que son discours n’avait pas porté. Il se leva. Une voix s’éleva… »Aio, tu restes pas pour le match?… »
Il répondit en reprenant le chemin que ce n’était pas un match mais une conserve.

Orlanducci dettu « Charlot » dans ses oeuvres

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Début de saison..3ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

La vallée formait un cirque parfait au pied des montagnes les plus hautes du massif du Cintu. Le village était tout au bout de la route à l’ubac. En contrebas, coulait le torrent qui tressautait comme il se doit vers la mer, accompagné par la route, un peu plus haut, en corniche. A l’aller, on découvrait le paysage au dernier moment en entrant dans la vallée par le tournant de l’Inzeccha, surveillé on l’a vu par le berger, et au retour, en passant ce virage, après un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, on voyait disparaître montagnes, village et haute vallée.
Quelle que soit la raison de leur visite, les passagers des voitures se taisaient jusqu’à ce qu’ils aient franchi ce verrou. Les touristes tordaient le coup pour garder en mémoire un point de vue tout de même remarquable. Les originaires qui repartaient à la fin du congé étaient trop plongés dans de tristes pensées, l’image des vieux agitant le mouchoir sur le pont, les ultimes baisers en provision pour une année pleine sans être sûrs de se revoir. Un an sur le continent avec la crainte d’un retour anticipé pour la mort d’un proche.
Les gendarmes ne disaient rien non plus. La région était tellement resserrée, contrainte par sa géographie, qu’on avait l’impression qu’elle menait une vie propre, à l’écoute. Ombrageuse. Donc, ils se tenaient cois comme s’ils s’étaient encore trouvés dans une maison où leurs propos eussent pu être écoutés.
Tout le monde retrouvait la parole dans le défilé bordé de chênes verts qui une vingtaine de kilomètres plus bas, conduisait à l’embouchure, vers une plus importante bourgade, siège de la gendarmerie. Il fallait une quarantaine de minutes pour arriver à destination. Les jeunes faisaient mieux. Mais les gendarmes roulaient calmement en surveillant la rivière en contrebas et les collines des alentours, pour y dénicher des nudistes, infraction courante et appréciée, ou déceler un départ de feu, incident ennuyeux car papivore.
En temps ordinaire, arrivé au pont du Cioncu, Pekarski commençait à parler et à faire des commentaires rarement avisés sur la situation locale. Desagès regardait du coin de l’œil son subordonné qui n’avait pas desserré les dents, alors qu’ils avaient passé depuis un bon moment déjà, le point de départ traditionnel d’un ennuyeux discours. Un autre jour, l’adjudant se serait félicité de cette chance et aurait profité de la promenade. Mais il se sentait un peu coupable d’avoir laissé malmener un jeune collègue. Il ne regrettait pas d’avoir donné la priorité à la paix sociale. C’était la règle d’or. Mais, il comprenait que le jeune militaire attendait les clefs.
Il fallait trouver une entame neutre. Pekarski, dont c’était la deuxième affectation, avait auparavant été affecté dans la Sarthe. Bon angle d’attaque a priori. Desagès, tout en continuant à regarder la route, déclara que la situation en Corse était plus compliquée que dans le grand Ouest. Son passager ne pouvait sur ce point le contredire et après avoir marqué son accord, posa une fausse question à laquelle l’adjudant s’attendait. « …Ca fait longtemps que vous êtes ici Chef… »
Il connaissait la réponse l’animal mais ce n’était pas la durée des services qui l’intéressait mais l’opinion du gradé sur tout ce cirque. »… Ca fait deux ans que je suis dans cette région mais dix ans que je fais campagne ici. Je ne vais pas tarder à rentrer sur le continent mais vous voyez Pekarski, je vais regretter la Corse… » Le gendarme cessa de regarder son chef pour se concentrer sur la rivière qui coulait à présent dans un petit défilé… puis il reprit « …Pourquoi, il nous a fait monter alors qu’il ne veut même pas porter plainte… » Desagès bougea les épaule, un coup à droite, un coup à gauche, comme pour se décontracter. « …j’en sais rien, j’imagine qu’il voulait que ça se sache….Vous savez, cette histoire m’intrigue… parce qu’elle ne ressemble à rien. Ange-Etienne n’a aucun ennemi. Il est assez malin pour ne pas se mêler de politique et il partage ses voix aux municipales. Je ne vois qui pourrait lui en vouloir et lui non plus ne le voit pas. C’est pour ça qu’il nous appelle parce qu’il ne sait pas comment ça peut tourner et qu’il prend toutes les garanties… »
Le gendarme était rien moins que convaincu… « Le gars on lui met du plastic dans le bar et il attend de voir… on aurait pu embarquer le paquet et trouver des traces, je sais pas moi, des  indices… »
« …Si vous voulez durer ici, il va falloir que vous compreniez certains trucs. Je ne sais pas si je vais bien savoir vous expliquer. Bon. La première chose, c’est qu’un peuple qui vit dans une île, il devient comme une personne avec un caractère bien à lui. Un peuple ermite si vous voulez. Certaines idées ont pris le dessus par habitude ou par force et elles sont devenues des traits dominants. Voilà. C’est rend les choses très compliquées si on ne se rend pas compte de ça et ça les rend un peu moins difficiles si on le sait… »
« …Je vois pas… »
« …Vous sortez des fois prendre le frais vers le port, vous descendez par les petites rues en civil. Vous avez remarqué que les volets s’ouvrent à votre passage, tout doucement, juste pour que le regard passe… »
« …Ca ne me fait ni chaud, ni froid… »
« …Je le sais. Mais ce n’est pas que pour vous que les fenêtres bougent, c’est pour tout le monde. Et si pour vous, le regard des autres n’a aucune importance, parce que vous n’êtes pas d’ici, pour ceux qui restent, eh bien ce regard, il est tout. Depuis toujours, ils s’observent et se jugent. Il ne faut pas se manquer. Des individus bien sûr mais qui s’effacent devant le groupe. Ou qui veulent le dominer. Il y a plusieurs manières pour ça. A une époque, c’était la réussite sociale, la situation qui permettait de rentrer au village avec les signes extérieurs de la richesse continentale. Voiture, tournées de champagne à la fête… Plus pour montrer qu’on pouvait  que pour faire vraiment plaisir. Les choses ont évolué. Le jeu continue. Vous savez Pekarski, ce n’est ni plus ni moins qu’une société villageoise, rurale avec la violence en plus…Vous mettriez des Picards sous ce soleil, il n’y aurait pas de différence… »
« Vous connaissez bien la Corse, on dirait Chef?… »
« …J’y ai vécu mais je ne la connais pas. Il y a une fatalité qui m’échappe. Ceux qui la connaissent vraiment et qui en parlent entre eux ne diront jamais tout haut ce qu’ils pensent. En fait, l’histoire de la fausse bombe ne correspond à rien. Et c’est pour ça qu’Ange-Etienne nous a appelés. Comme un accusé de réception. Ce genre d’affaire aurait du se régler au village, on en parle aux parents, deux claques aux jeunes si c’est une mauvaise plaisanterie. Mais là c’est autre chose… »

SECB 1978

 

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Début de saison…2ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Il n’était pas sept heures lorsque Hyacinthe aperçut le véhicule tout terrain des gendarmes qui rentrait dans la vallée. Bleu le quatre quatre. Avant c’était une 4L , source de plaisanteries inépuisables. Dans un pays amoureux des voitures sportives, voir la maréchaussée dans un équipage aussi modeste était un ravissement bruyant chez les plus irrévérencieux et discret bien que réel chez tous les autres.
Tout le monde avait pourtant explosé de rire le jour où on avait vu le pandore passager coincé dans son siège par un boite protubérante fixée devant lui, sur le tableau de bord. Pressé de question, faussement compatissantes, il avait précisé qu’il s’agissait d’un système très perfectionné de positionnement par satellite. Déjà, une telle merveille de technologie dans une 4L enchantait le public mais lorsque le gendarme sans malice, annonçât  que l’appareil ne fonctionnait pas  du fait de l’environnement montagneux, ce fut un vrai délire.
Hyacinthe avait suivi l’affaire par la faveur d’un courant d’air ascendant et ri lui aussi de bon cœur.  Il n’avait rien contre les gendarmes si ce n’est une méfiance héritée de générations de braconniers ou de réfractaires au service dans les chasseurs d’Afrique. Quand les représentants de la loi montaient lui rendre visite, ils le trouvaient rarement. Il fallait pour être honnête, qu’ils lui tombent dessus par surprise ce qui n’était rien moins qu’évident. Sans avoir rien à se reprocher, il les évitait avec soin.
Ce véhicule tout terrain, qui avait rendu un peu de prestige à la maréchaussée, remontait la vallée sans hâte. Il passait sous les châtaigniers au ralenti, disparaissait un instant puis le berger le voyait à nouveau lorsque la portion de route traversée était bordée de maquis bas.
Comme on pouvait s’y attendre, les gendarmes s’arrêtèrent près du bar.
Ange-Etienne entouré maintenant d’une dizaine de curieux, les laissa garer la voiture près de l’ancien four puis les regarda descendre. Ils étaient deux, l’adjudant et un jeune gendarme. Le premier était dans la région depuis deux années. Il n’espérait que le calme et se félicitait de n’avoir jamais vu sa brigade citée dans la presse autrement que pour un mitraillage de façade banal. Le second venait d’arriver. Le menton relevé, la démarche sportive, pénétré de son importance, il rêvait de voir son nom associé à un faits divers retentissant. Deux mois de rondes sans autre incident qu’une collision avec un renard l’avaient frustré. Il sentait que ce matin là était le sien. Respectueux de sa hiérarchie, il ne critiquait pas ouvertement son chef, mais in petto, il le jugeait pusillanime et ramolli par un trop long séjour.
Le présumé ramolli, l’adjudant Desagès salua d’un geste la petite troupe et serra la main du patron du bar, personnalité éminente du canton et cause évidente de son déplacement. Le gendarme Pekarski fit de même.
Ange-Etienne se tourna vers la porte de son bar et d’un geste les invita à entrer. Quelques marches, une terrasse avec une rampe en fer forgé et une grande salle avec le comptoir au fond. Au mur deux vieux fusils et l’affiche du parc régional, un pétrin dans un coin, le congélateur pour les glaces dans un autre et la télévision grand écran posée bien au milieu de la pièce, décodeur flambant neuf sur le dessus, télécommandes sur le coté. Les chaises toutes tournées vers l’écran montraient à l’évidence que le centre de gravité de l’établissement c’était lui désormais.
Le patron d’un geste sobre désigna un carton ouvert juste sous la télévision … »Adjudant, je l’ai vu en me levant ce matin. Il n’y était pas hier soir et ce qu’il y a dedans ne m’a pas fait rire… »
Desagès connaissait le contenu du colis puisqu’il avait été informé par téléphone mais connaissant les règles de la dramaturgie, se baissa vers le paquet, le contempla un instant sans rien dire puis invita son subordonné à regarder à son tour. « …Du plastic je dirais, avec un réveil et trois fils électriques… même pas branchés…pas de détonateur…ça n’aurait jamais sauté mais je comprends que ça vous inquiète… »
Ange-Etienne était petit,  une soixantaine râblée et aimable en règle générale. D’une vie continentale dont il ne parlait jamais, il avait ramené de quoi reprendre l’affaire de son oncle et vivre sans trop de soucis. Ce matin là, il n’était pas patient. « …Je sais bien que ça n’aurait pas sauté! Celui qui a fait ça, il n’a pas mis de détonateur. Mais, il a mis du plastic. Et s’il en a mis, c’est qu’il en a. J’aime pas l’idée qu’il lui en reste. Parce qu’autant la prochaine fois, la bombe il me la pose vraiment. C’est ça qui m’inquiète et pas cette fausse bombe… »
L’adjudant en convint c’était une espèce d’avertissement. Se tournant vers Pekarski qui faisait l’épagneul en reniflant partout, il lui demanda de prendre des notes. « …Vous n’avez rien entendu?… » Il n’avait rien entendu et le chien non plus, il n’avait pas bronché. « …Ah vous avez un chien?… »
Pekarski par cette question se positionnait dans le débat. Il la trouvait habile. Un fait, pas contestable et pas polémique. Ange-Etienne se fit méprisant en lui désignant du menton une masse de poils agitée par des rêves qui poursuivait sa nuit vautrée dans un coin de la salle. « …Et ça c’est quoi, un âne?… »
Desagès  lança un regard plein de compassion au gendarme bafoué et entreprit de glisser sur l’incident. « …C’est sûr que si l’individu est rentré sans que le chien ne bronche, ça signifie que ce pourrait être un habitué… ». La conclusion s’imposait.
Le murmure désapprobateur de l’assistance qui avait crû entre-temps montra que l’hypothèse était perçue comme insultante pour la communauté villageoise. Vous n’avez trouvé que ça. Quelqu’un d’ici mettre une bombe chez Ange-Etienne. Il ne cherche personne et chez nous personne ne ferait un coup pareil. Les gendarmes sont forts pour mettre u tazzu.
La victime de l’attentat putatif vint pour la première fois de sa vie sans doute au secours de l’autorité. Il a raison l’adjudant! D’abord, il faut savoir où je cache la clé. Après, il faut connaître le chien parce que même s’il ne mord pas, il aboie et ça m’aurait réveillé. Et puis, ils ont même pas allumé sinon je l’aurais vu que ma chambre elle est au-dessus.
Le silence était revenu. Cette intervention pacificatrice aurait pu apaiser les esprits définitivement si Pekarski, remâchant l’affront qui lui avait été fait bien sûr mais aussi soucieux de montrer ses qualités d’enquêteur n’avait fait entendre sa voix. Il doit y avoir un mobile. Il y a toujours un mobile. Dites moi, Monsieur Ange-Etienne, il n’y y aurait pas une rivalité commerciale là-dessous? Il aurait tout aussi bien pu évoquer une affaire de femme mais dans son subconscient, il devait y avoir un dispositif d’alerte qui lui avait enjoint de ne pas aborder, ici et maintenant, cette piste là.
Ange-Etienne pour la première fois, se tourna vers lui mais son discours s’adressait à l’adjudant, seul interlocuteur digne d’intérêt. « …Dites adjudant, il les choisissent pour les envoyer en Corse? Les plus malins sur le continent et les zucche ici! Le carabinier qui vous accompagne, il a pas remarqué que c’est le seul bar de la région ici? Celui qui me fait sauter, après c’est quarante kilomètres qu’il se fait pour boire un pastis. Et les Marlboro, il ira les chercher à Calvi; Rivalité commerciale, il se croit où le détective, sur la Côte d’Azur?… »
D’un geste ferme, le gendarme une nouvelle fois humilié, se vit intimer  le silence par le sourcil froncé de son chef qui connaissait son public depuis assez longtemps pour savoir que dans de pareilles circonstances, on avait un besoin évident d’un coupable de substitution. L’arrivée de la camionnette du boulanger et l’invariable triple coup de klaxon, lui facilitât la tâche. Les rares femmes présentes dans l’assemblée entamèrent un mouvement de retrait. Desagès attendit la fin du mouvement migratoire.
Puis se tournant vers le débitant de boissons, il l’informa que la gendarmerie se retirait également. Vous voulez signer une plainte. Non, pas la peine. Bon, alors nous rentrons à la brigade. Mais, on va quand même surveiller ça. Oui, surveillez. Café? Non, merci, c’est gentil, on a pas le temps. La saison a commencé? Doucement. Le gros des touristes est pas arrivé. Oui. Au revoir. L’adjudant et son collègue, poignée de main pour l’un, hochement réglementaire pour l’autre, repartirent vers leur voiture.

SECB 1978

 

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Début de saison…1er épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

De sa bergerie, Hyacinthe voyait toute la vallée. Du grand virage de l’inzeccha jusqu’au bourg, il pouvait tout surveiller. Le torrent en contrebas, presque trois kilomètres de route, l’entrée du village jusqu’au cimetière et bien entendu la place et le bar d’Ange-Etienne.
 Pour peu que le vent souffle dans la bonne direction, il entendait  même les conversations. Il fallait simplement que les habitués du bistrot, les joueurs de pétanque ou les femmes attendant le camion du boulanger parlassent fort. Mais ce n’était pas rare. Aussi, lui qui descendait assez peu du petit plateau où il tenait ses bêtes, était-il souvent averti de choses qu’il n’aurait pas du normalement connaître du fait de son éloignement. Mais cette science n’étonnait personne. Les habitants d’en bas connaissaient l’effet du vent. Et puis, s’il avait entendu quelque chose, c’était parce que quelqu’un s’était exprimé en public et de manière suffisamment claire pour qu’il ne s’agisse pas ou plus d’un secret.
A vrai dire, Hyacinthe ne montrait en règle générale que peu d’intérêt pour les affaires de ses concitoyens. Querelles de voisinage ou politiques, cancans et rumeurs le laissaient de marbre. Sans être misanthrope, il préférait rester chez lui près du troupeau. A ceux qui le taquinaient à ce propos, il faisait remarquer avec logique, qu’il ne voyait pas l’intérêt de marcher une demi-heure pour descendre et autant pour remonter alors qu’il voyait et savait tout, sur des sujets qui de toute manière lui étaient toujours indifférents.
Il réservait le meilleur accueil à ceux qui venaient le voir. Les paesani avaient droit à un salut enjoué et une conversation qu’on aurait pu qualifier d’urbaine, n’eut été le caractère très campagnard du lieu.
 Les rares touristes bénéficiaient d’un salut poli  et de réponses précises leur permettant de trouver le chemin  qui menait au col , but de leurs invariables promenades. Il s’était même accommodé des questions sur ses chèvres, son fromage et sa vie d’ermite. Il supportait avec une inaltérable patience, la conclusion classique de ces échanges culturels. Vous en avez de la chance d’être près de la nature et dans un si beau coin. Il en avait de la chance. Il était surtout habitué à sa vie et était devenu sage par obligation. Certain de ne pouvoir changer son sort, il le trouvait supportable.
On ne lui connaissait qu’une passion. Sans qu’on sache trop où et comment, il en était venu à adorer le football  ou pour être plus précis, le Sporting Club de Bastia. Hyacinthe n’était pas un connaisseur, un puriste, faisant et refaisant les équipes, commentant les stratégies. Non, ce qu’il aimait c’était deux fois par mois, lorsque le club jouait à domicile, descendre au village après avoir passé un jean et une chemise à carreaux, et aller à Furiani en voiture. Quatre-vingt kilomètres, deux heures aller, deux heures retour par des routes à surprises, pleines en saison d’estivants déportés sur la gauche et toute l’année de bovins irresponsables.
 Il ne conduisait pas. Aussi, il se faisait transporter par ceux qui, comme lui, n’auraient manqué un match sous aucun prétexte. L’été, il y avait toujours quatre ou cinq voitures avec les juilletistes et aoutiens de retour. L’hiver, au moins deux pour peu que le SCB joue les premiers rôles. Une seule si le ballon avait roulé dans le sens contraire. Lorsque les résultats étaient mauvais, personne ne serait descendu au stade, s’il n’avait pas été là. Mais, bon an mal an, Hyacinthe n’avait jamais raté un rendez-vous.
C’était la veille du début du championnat. Ce matin là, très tôt, après avoir sorti le troupeau, le berger s’était fait réchauffer du café dans un bol blanc à col rouge et surveillait la route.
Une animation inhabituelle avait régné au village dès l’aube. Il avait vu Ange-Etienne sortir de son bar, très en colère. Il n’y y avait personne à prendre à témoin. Aussi, il était rentré dans son établissement très vite, puis ressorti à de multiples reprises. Les villageois les plus matinaux avaient fait un détour vers le bistrot avant d’aller au jardin. Ce n’était pas dans leurs habitudes. Il y avait donc quelque chose à voir.

Merry Krimau SECB 1978

 

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Ricordu di Natale..

Mes Noëls d’enfant n’étaient pas villageois. Ils se passaient à Toulon. Pour autant, Bardiana était toujours présent dans nos conversations. Ma mère et ma tante nous racontaient les veillées d’antan et leur talent était tel que nous imaginions sans peine les gens, les lieux et l’ambiance qui devait régner autour du fucone, le foyer. Bon, un réveillon autour du radiateur n’a pas la même aura mais l’essentiel y était. La famille, l’affection et les récits.

En prenant un peu d’âge, n’exagérons rien…je veux dire par là que j’étais adolescent, mon attention a été attirée par la transmission des prières liées à l’ochju, l’œil. J’ai déjà écrit à ce sujet mais, en retrouvant une vidéo de l’INA dont j’insère un extrait à la toute fin de ce billet de blog, les souvenirs ont afflué, l’émotion aussi et j’ai eu envie d’en parler de nouveau. Lisez moi et prenez le temps ensuite de regarder ce film d’une trentaine de minutes accessible en son entier sur le site de L’INA. Vous comprendrez pourquoi en 1978, à sa première vision, j’ai compris qu’il fallait se méfier des caméras ! !

L’ochju, donc. Le mauvais œil en français. Personne ne sait vraiment ce qu’est cette affection mais tout un chacun en connaît les symptômes. Migraine, nausées, lassitude extrême sans qu’une quelconque pathologie puisse expliquer le mal. Tout le monde sait aussi d’où il vient. C’est le résultat d’une influence mauvaise portée par l’œil d’une personne qui vous regarde et pense à vous avec malveillance. Une admiration trop forte ou l’envie que vous suscitez peut avoir des effets identiques.

Il existe divers remèdes pour se débarrasser de ce mal. Plus ou moins élaborés et le plus souvent à base de sel et d’huile. Mais, et c’était le cas pour ma Maman, il est aussi possible d’ôter l’œil par des incantations, des prières en fait, murmurées pendant qu’on trace des signes de croix sur le visage. Une prière bien dite, c’est essentiel, soulage de façon immédiate et celui qui l’a prononcée, prend le mal sur lui. Ce transfert se matérialise par des séries de bâillements plus ou moins longues en fonction de la gravité du sort.

Bien entendu, j’ai souhaité étudier ces prières. Ma mère a accepté volontiers de me les transmettre mais elle m’a précisé que je ne pourrai les apprendre à personne. Seules les femmes peuvent pratiquer et instruire. Les hommes disent  les prières mais ils ne les enseignent pas. Nous en revenons ici à la nuit de Noël. L’apprentissage se fait une fois par an et au cours de cette nuit-là. Il est évident que nous nous trouvons ici, et c’est fascinant, au carrefour des mythes que la religion chrétienne a intégrés dans une approche syncrétique (culte de Mithra et cérémonies du solstice d’hiver par exemple). Trop long à développer et ce n’est pas l’ambition de ce blog. Dernière chose que j’ai apprise au cours de ces Noëls là, les prières sont sacrées. Elles sont murmurées et elles n’ont pas à être connues de tous. Ca ne porte pas bonheur à celui qui les galvaude.

Voilà pourquoi, j’ai eu de la peine pour ces deux vieilles dames que j’ai vues en 1978 (je m’en souviens parfaitement !) prononcer ces prières sans mesurer le pouvoir de la camera. Sinon, à la grande surprise de mes relations qui me savent athée, je pratique encore et ça marche !
(NDLR: pour en savoir plus sur l’ochju, cet article bien documenté en cliquant ici.
Natale…pensaraghju a quelli ch’un so piu. E per elli, l’antica preghera « ..Eiu vi pregu animi santi, eiu vi pregu a tutti quanti, site stati cume noi, si venera cume voi altri, chi Diu vi dia pace e riposu, in u santu Paradisu..E cusi sia…

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