Archives de catégorie : Lingua corsa

Suffixes….

C’est bien joli de raconter des histoires, des contes et autres anecdotes. Mais il n’y a pas que la macagna dans la vie ! Et avec toutes ces digressions, j’ai laissé un tantinet de coté, la partie “ pédagogique ” (osons le mot ) de cet espace. Maintenant, il n’est pas interdit non plus de s’amuser. Il me semble que c’est au demeurant la meilleure manière de progresser. Nous allons essayer en tous cas,

Donc les suffixes. Un suffixe, c’est un petit quelque chose en plus que vous rajoutez à un mot pour créer un mot différent, un adjectif, un adverbe voire un verbe. Premier exemple qui me vient à l’esprit, c’est “ isme ” qui accolé à un adjectif ou pourquoi pas un nom propre, va permettre de décliner toute une série de doctrines politiques du libéral-isme au Marx-isme etc etc (les tirets sont là pour la démonstration bien entendu)

En langue corse, vous retrouverez cette même logique.. un nouveau mot ( manu , la main…manata, la poignée), ou un autre adjectif (estru, le caprice…estrosu, capricieux) et ainsi de suite.

Mais ce qui m’intéresse dans cette affaire et sauf erreur de ma part, c’est une chose qu’on ne retrouve pas ou fort peu en langue française, c’est la suffixation (oui, ça existe) qui permet de marquer le diminutif, l’augmentatif et le péjoratif de manière courante. Et si on le souhaite, d’accentuer l’effet recherché en doublant ou triplant ledit suffixe.

Exemple avant de commencer. En français, vous direz un petit enfant plutôt qu’un enfançon ( rare !) ou un petit garçon plutôt qu’un garçonnet (pas rare mais quasi littéraire). Reprenons donc ce dernier exemple. En corse, vous pourriez dire “ un picculu zitellu ” mais “ zitelletu ” sera bien plus audible. Et oui, l’usage du suffixe en langue corse est naturel. Et où ça devient tout à fait amusant, c’est lorsqu’on se décide à comment dire…affiner en doublant et triplant les suffixes…

Un exemple tout simple que vous allez pouvoir reproduire à partir d’autres mots. Et pour cet exemple, je vous propose de trouver la traduction corse de “ un poussin ”. Pas difficile…. c’est “ un piulu ”.

Comme ce poussin est petit, vraiment petit, et que vous voulez le faire sentir, vous n’allez pas dire “ un picculu piulu ” (dur à prononcer et moche !) mais vous allez rajouter un suffixe “ ellu ” ce qui nous donnera “ un piulellu ” soit le petit poussin. Mais comme ce poussin est en plus mignon, vous allez si je puis dire, rajouter une troisième couche de suffixe avec “ ucciu ”. Et notre mignon petit poussin français deviendra sur l’île “ un piulellucciu ”. Et comme il est vraiment minuscule, on se lance dans un “ ellu ” de plus pour avoir un très très petit et mignon petit poussin soit “ un piulellucciullelu ”. Pour être honnête, je doute que quelqu’un aille aussi loin dans le détail anatomique de ce qui n’est jamais qu’une poule en devenir.

Et ça marche aussi avec l’augmentatif. Un grand-père français devient un babbone corse ( Babbu-one) où l’augmentatif, vous l’avez compris, est dans le “ one ”.

Continuons à nous amuser avec notre poussin. U piulu. Il est plutôt grand. Donc, ça devient…roulements de tambour.. “ un piulone ” mais il reste mignon donc.. “ un piulonucciu ” Euh, c’est là que l’on peut voir tout de même que la démonstration se heurte à quelques réalités anatomiques.

A vous maintenant de jouer après un bref rappel…
Les suffixes diminutifs sont “ ettu /a ” ou “ ellu / a ” (petit/ e), “ ucciu /a ” (très petit et mignon en prime)
Le suffixe augmentatif est donc “ one ”
Le suffixe péjoratif est “ acciu ” (masculin) et “ accia ” (féminin)

A partir de là, je vous propose sans vous donner la solution de me dire comment vous allez faire pour dire d’un enfant qu’il est tout petit et mignon ou d’une dame qu’elle est petite mais mauvaise et vous allez voir que cette déclinaison est non seulement souhaitable dans une approche idiomatique mais très intéressante aussi pour la prononciation.

Et n’oubliez pas.. u troppu stroppia.. ne vous lancez pas dans la traduction de “ un tout tout petit chien très très mignon ”. Dans ces cas là optez pour le réaliste “ cusi bellu questu catellu ! ”

 

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Mamma e i so pruverbii

La page que j’ai mise en ligne et qui est dédiée à la traduction en langue corse, rencontre un certain succès. C’est du travail sans nul doute  mais aussi un grand plaisir que de rendre service et bien entendu l’occasion d’apprendre de nouveaux mots. Toutefois, une difficulté se fait jour lorsqu’on me demande, et c’est fréquent, de traduire des proverbes français. La traduction littérale n’a aucun sens et il me faut alors trouver l’équivalent. Ce qui n’est pas toujours simple car je suis loin d’être érudit en ce domaine (entre autres!).

« Les chiens ne font pas des chats » nous donnera par exemple « i corvi un fanu cardellini » mais comment rendre l’idée contenue dans « l’habit ne fait pas le moine » ? Celui là, par chance, je le connais. « Vesti un bastone, pare un barone » mais souvent je sèche. Bref, tout ceci m’a donné l’idée d’écrire quelques lignes sur les proverbes et expressions que ma maman utilisait.

« Chi di ghjallina nasce in terra ruspa ». Celui qui naît de la poule, grattera le sol. J’adore ce dicton car il est très imagé. Comme souvent, les proverbes trouvent leur origine dans l’observation de la vie animale. Cela étant dit, la leçon de l’histoire est assez pessimiste. Personne n’échappe à son destin et nos actes seraient donc de façon inéluctable, dictés par nos origines.

« In bocca chjosa, un ci entre ne mosche ne bonbucco’ » « dans une bouche fermée, il n’entre ni mouche ni prune » Grande sagesse en vérité ! Le silence est d’or sans nul doute mais le sage insulaire est conscient que si on ne parle pas, il n’y a aucun risque qu’on profère une bêtise mais pas davantage de chance de goûter à une succulente reine-claude ! Vous l’aurez compris, c’est une affaire de mesure où sont renvoyés dos à dos, le taiseux et le bavard. Voilà que nous retrouvons ici la leçon des langues d’Esope. La meilleure ou la pire des choses !

« Torna Vignale » Grand classique auquel j’avais droit lorsque, et il semble que c’était fréquent, je renouvelais une bêtise quelconque. Vous connaissez sans nul doute l’origine de cette expression très usitée lorsqu’il s’agit de reprendre celui qui retombe dans ses travers. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, je m’en vais la résumer. Il s’agit d’une anecdote relative à un marchand de marmites venu à Vignale. Profitant qu’il était absent, des gamins avaient aiguillonné son âne, lequel sous le coup de la douleur, était parti en courant en brisant toute sa charge. La saison suivante, arrivé à l’embranchement, le baudet s’était de lui même dirigé vers Vignale. C’est là que son maître avait eu cette expression passée en forme de proverbe « torna a Vignale chi è un bellu paese ! » La version complète est en effet celle-ci « Retourne donc à Vignale que c’est un beau village ». Au Niolu, j’ai entendu la même histoire mais avec un montreur d’ours. Bon, il faut croire qu’il s’est vraiment passé quelque chose dans la Custera parce que ce genre d’anecdote ne sort pas du néant.

« Baccala per Corsica » en est la preuve ! La plus mauvaise morue était destinée à l’île. C’est en tout cas ce que prétendait un pamphlet anti-gênois du XVIIIème siècle. Et c’est toujours ce qu’on dit lorsque il y a un soupçon de discrimination à notre endroit.

Bien, il y en a des dizaines comme ça mais je vais conclure en vous racontant de manière plus détaillée, une petite histoire avec sa morale. Une petite histoire triste mais bon, c’est souvent le cas. Et puisque j’ai cru comprendre que vous appréciez l’exercice, je vous propose le fichier son correspondant. Ah, avant d’oublier, un conseil de lecture sur les proverbes : l’anthologie des expressions corse de Fernand Ettori aux éditions Rivages.


Dunque tempi d’una volta.. ci era in paese, un zitellu chi si ne turnava in casa tutte e sere, bellu tristu. Allora, a u mumentu datu, a so mamma l’avia dumandatu cio chi si passava. E u tintu l’avia spiegatu. Ogni ghjornu, a maestra dumandava a i sculari cosa avianu manghjatu. U tale rispundia figatellu, l’altru dicia un pezzu di carne, u terzu past’asciutta ..Bon.. e ellu chi a so famiglia era da veru assai povera dicia tutti i ghjorni « m’aghju manghjatu a pulenta » Pulenta mane e sera. Era a risa ! E a maestra, chi quante a mè un n’era cusi brava si campava di fallu piglià in burla da tutti.

Allora, a mamma a datu questu cunsigliu a u figliolu.. « a prossima volta, rispondi chi tu ai manghjatu pernice »
U lindumane, a maestra a fattu cume a u solitu « allora ch’ai manghjatu » e ellu di risponde bellu fieru « pernice ô Madama ».. Suspresa, a maestra a fattu cusi « ah ah…e quante n’ai manghjatu ? » E un tintu a rispostu « tre fette ! ! » Ô u poveracciu, ô i risi, avia fattu u so pruverbiu. A murale di l’affaru per Mamma ?

« Pane e pernice..affaru di famiglia un si dice ! ! »

Et j’essaie de m’en souvenir encore aujourd’hui !

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Cacciate (2)

Si sente pichjà a a porta.. Entrite, entrite ô zittè chi fora face un fretu chi si seca. Mirate,  aghju incipattu gran’focu. Pusate vicinu u caminu, pigliatevi un bichjeru di vinu e quandu sera pronta a brusta, ci faremu duie o tre arrustite. Allora, pare chi vi anu piaciutu e cacciate di Jojo e chi ava, vulete sente quelle di Titine ?
Si l’affaru un sorte micca di casa e vi possu narrà.
Dunque v’aghju da parlà di Titine. Era una dona brava ma comu possu di..piutttostu senza malizia. Dicia cio ch’ella pinsava e cose cum’elli li venianu. Stava in Niolu e tra di noi ci era a parintia, alluntanata ma parintia quantunque. Luntanu ch’ella era un la vediamu tantu, chi a l’epica, cullà di Filosorma in Niolu era una spedizione. E a mè, mi dispiacia d’un cunoscela chi Mamma m’avia dettu, chi quandu era natu, Titine m’avia trovu assai bellu. Dicia sempre chi criature quante mè un ci ne era tantu. E era bramosa di vedemi torna. E di sicuru esse ammiratu cusi mi piacia assai !
Un ghjornu, avia a pocu pressu quindec’anni, avemu dicisu di fà in duie o tre ghjorni u giru di i nostri parenti niulinchi. V’arricurdate a canzone « a muntagnera » di u tintu Marcellu Acquaviva di l’Acquale ?
Avvedeci ô Filosorma
Incu i parenti e l’amichi
Sempre ligati a u Niolu
Per e gioe e li castichi
Da Montestremu a lu mare
Avemu listessi antichi…
Dunque, si simu cansati in parechje case per finisce per quella di Titine. Era puru cuntentu di vede in fattu fine questa dona chi mi tenia cusi caru. Ohimè..quandu so entrutu in salottu induve c’ aspettava, l’aghju entesa di..(tanti anni dopu, aghju sempre e so parolle in mente ! !) quand’ella m’a vistu
« E quessu Anto’..ma cum’ellu è goffu..un la dicu piu ch’ellu è bellu..ma cum’ellu è inguffitu..ma cusi goffu..ma cusi goffu ! »
Tutt’in terra ô zittè. A m’aghju pigliata e m’aghju tenuta. So surtitu, cochju cochju, manera d’ingolle cio chi mi paria tandu un bel’affrontu. U peghju è chi quarant’anni dopu, i mo cari cugini carnale ( si ricunusceranu) si campanu certe volte quandu m’affacu, mughjandu « ma cusi goffu ! »
Un’altra volta, Titine si n’era andata da fà una visita a una paesana chi venia di parturisce. Ci vole da sapè chi a surella di Titine, pocu tempu nanzu avia persu un ciucciu qualchi ghjorni dopu a so nascita. Quand’ella a vistu u cininu indè u so veculu, a fattu questa cacciata « ah..i belli morenu e i goffi campanu »
Cusi si vede chi di a belleza e di u guffeghju, a nostra amica ne avia primura !
Bon..eiu mi so rimessu di sta vergogna..un n’era cusi grave ma a mamma chi s’a pigliatu in faccia quellu ghjastemu, un so micca sicuru ch’ella appia troppu prizziatu l’affaru.
Tempi d’una volta… ava so tutti in Paradisu, Jojo, Titine e l’altri e so sicuru chi certe volte, si campanu di risu, l’anghjuli e i cherubini !

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Cacciate!

Amicu pinzutu, mi scusarè chi, oghje, aghju scrittu in corsu senza traduzzione. Ma aghju pinsatu dino a quelli chi strazianu per leghje a nostra lingua. M’aghju arregistratu e cusi, ommancu puderete sente si un riescite da leghje.

Dunque, vulemu parlà di e cacciate. Una cacciata è une replica spiritosa o certe volte scherzosa  ch’omu po chjamà ancu tirata s’ella è un pocu longa. Ma quante a mè, e piu belle so quelle chi un so micca fatte apposta.

Aspessu, e cacciate so ligate a unu o una, chi senza malizia, fanu cumu si dice, u so pruverbiu. Aghju sempre in mente certe vechje dedicate a i raconti, fole e altri stavaltoghji. A un mumentu datu, qualchisia dumandava sempre..  « ahè, contaci l’affaru di u tale ». E ci campavamu ben chi queste storie l’aviamu entese forse piu di dece volte.

Allora, vulemu fà quante si eramu vicinu a u fucone e tuccara a mè di fà u narratore.

Quandu omu parla di cacciate, pensu a duie personne. Un omu e una dona. I veri nomi firmaranu secreti e i chjamaraghju qui, Jojo e Titine…

Duie o tre cacciate di Jojo per cumincià..Una volta, u nostru Jojo si ne cullava carcu quante un zimpignaghju, trascinendu nante e so spalle, un bellu carcu di legne. Una mosca u stuzzicava, allitata di sicuru da u sudore. U tintu, un la pudia fà parte. A un mumentu latu, chi ne avia una techja, a lasciatu cascà u legnu in terra, s’a acchjappatu a mosca. I testimonii pinsavanu ch’ellu avia da tumbala per vindicassi. Inno ! L’a strappatu l’ale e a surtitu questa cacciata, lasciendula parte…  «  Ava, marchja a pedi cume mè ! ! ».

Un’altra volta, s’era cansatu in casa di paesani ch’avianu persu a so mamma. Facia cume si dice, i so duveri. Quand’ellu è ghjuntu, i figlioli dopu duie o tre parolle di  circunstanza l’anu dumandatu s’ellu vulia vede a so mamma, per un di a morte o u corpu. E ellu a rispostu «  Perche, è arritta ? ! » Ohimè, pare chi i tinti fratelli, ch’un avianu tantu u core a ride, un a possutu tene..

Un’ultima di Jojo….Per fà un travu di tettu, bisugnavanu in paese, un fustu longu e ben dirittu. Questu fustu l’avianu trovu, un lariciu, indè a Cavichja, vicinu u fiume. Ma ci vulia a fallu ricullà piu in su. Incu e fune, u trascinavanu cum’elli pudianu a mezzu machja, in un bellu pindone. Tiravanu e tiravanu torna, eranu stanchi. Jojo, per tirà piu a l’asgiu, s’era affunatu. Avia a corda chi facia u giru di u so corpu. Cio ch’avia d’accade è accadutu.. Tuttu d’un colpu, l’è scappatu da i mani u fustu e l’anu vistu trabughjà e un tintu Jojo, trabughjà anch’ellu ! Cinque minute dopu, anu intesu piu ‘gno, u rimore di u legnu chi capisciutava indè l’acqua. Santavugliati, anu cuminciatu da fallà sin’a u fiume pinsendu ch’elli avianu da trove a Jojo sticchitu mortu, in duie o tre pezzi.. Pinsate..fallandu pianu pianu, anu trovu un nostr’amicu chi se ne cullava, senza nulla di rottu, appena insanguinatu. L’avia corsa puru brutta ! L’anu dumandatu subitu cum’ellu avia fattu per sfrancassi cusi.
Ellu, tranquillu, l’ a rispostu senza manera « ..umbeh.. induve passava u pinu, passava anch’eiu e quand’ellu saltava saltava anch’eiu.. »

Vecu chi, incu e cacciate di Jojo, aghju scrittu abbastanza per oghje. Quelle di Titine aspettaranu un pocu.
A dopu, o zittè, per un altra veghjata si vo vulete !

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Barbarismes..amicacci !

Un bellu pezzu ch’un v’aghju parlatu corsu. Un bon moment que je ne vous ai pas parlé corse !
E cumu oghje, si tratta di a nostra lingua nant’a Rue 89 (u ligame è qui), m’aghju pinsatu chi era u mumentu di favi un rigalu. E comme aujourd’hui, on parle de notre langue sur Rue 89 (le lien est ici), je me suis dit que c’était le moment de vous faire un cadeau.

Amicacci.. les faux amis ! Une petite dizaine d’expressions que je relève ici ou la et dont la traduction en corse est parfois baroque. Barbarismes et contresens. Il y en a d’autres mais ceux-là, c’est de mon point de vue, les plus courants et surtout ceux qui vont hérisser les oreilles de vos auditeurs.

Il ne reste plus qu’à les apprendre par cœur…tiens à propos de par cœur.. un bonus qui n’a rien à voir avec le barbarisme mais qui illustre la richesse de notre idiome. En français, on oublie. On oublie sa famille et on oublie son parapluie. En Corse, il y a deux mots différents suivant l’importance de la chose dont on parle.

Scurdà.. pour les choses qu’on a dans le cœur.. mi so scurdatu di tè..je t’ai oublié
Smintica… pour les choses qu’on a dans la tête…dans le cerveau… m’aghju sminticatu u mo paracqua.

Et ce n’est pas la même nuance, vous en conviendrez. U core le cœur, a mente , l’esprit, l’intelligence, la mémoire. Sur le continent, vous savez par cœur, sur l’île, a sapete di mente, vous l’avez dans la tête. Et franchement, c’est plus logique. Les maths, la chimie et la physique, autant de matières que ai allègrement oubliées, n’ont jamais eu de place dans mon cœur…

Vous voulez dire
Vous avez dit
Et alors?
Il faut dire…
il était temps
era tempu
et alors? C’est un grand classique du barbarisme! Vous
avez importé en langue corse, une forme usuelle en français
mais qui n’est pas du tout adaptée. Et vous êtes impardonnable
car j’en ai déjà parlé ici même.
Era ora.. C’était l’heure
Quel jour sommes-nous
Chi ghjornu simu
et alors? Bon, vous serez compris mais vous aurez raté
une occasion d’utiliser une vraie tournure idiomatique, une façon
de dire les choses qui montre que vous ne vous bornez pas à traduire
de façon littérale.
Quantu n’avemu oghje? Combien en avons nous aujourd’hui?
Il est encore venu
è ancora vinutu
et alors? C’est l’horreur absolue. Une tentative de
traduction basée sur la similitude des sons. Parfois ça
marche mais là, c’est le ridicule assuré.
è vinutu torna.. Torna indique la répétition
dans l’action.
Quelle chance!
Chi chanza!
et alors? Tout le monde le dit ou presque, donc on vous
pardonnera mais « chi chanza » (prononcé tchintza) n’existe
pas en lanque corse où vous retrouvez « campa » « furtuna »
ou le rare « diccia ».
Chi campa! Chi furtuna!
J’ai joué de la guitare
aghju ghjucatu di a guittara
et alors? Jouer se dit bien ghjucà en corse.
Mais ça ne marche pas pour les instruments de musique. Si ghjoca
a carta, on joue aux cartes mais un si ghjoca micca di a guittara
Toccu a guittara…je touche la guitare
Bastia a gagné le match
Bastia a guadagnatu u match
et alors? Un peu comme pour jouer, nous nous trouvons
dans un piège lié au fait que guadagnà veut bien
dire gagner. Oui, mais au sens de gagner sa vie. Gagner un match ou une
partie de cartes commande une expression idiomatique. Observation perfide,
les résultats actuels du club font que vous aurez peu d’occasions
de commettre cette bourde.
Bastia a vintu.. Bastia a vaincu
C’est à moi de parler
è a mè di parlà
et alors? Là aussi, vous serez compris mais c’est
un petiot barbarisme quand même. Car il existe une expression parfaite
pour exprimer que c’est son tour de faire quelque chose
Tocca a mè di parlà..tocca a tè…
Tuccà veut aussi bien toucher qu’échoir.. Très jolie
formule donc car car elle se traduit par c’est à moi qu’il échet
de parler
Je l’ai échappé belle
L’aghju scappata bella
et alors? Barbarisme quand tu nous tiens. Et ce pouvait
être pire (je l’ai entendu!!) avec « encora orosu ». A proscrire
sous peine de devenir une célébrité locale.
l’aghju corsa brutta
Encore heureux
Ancu felice

et alors? Barbarisme quand tu nous tiens. Et ce pouvait
être pire (je l’ai entendu!!) avec « encora orosu ». A proscrire
sous peine de devenir une célébrité locale.
Ancu assai
Je l’ai entendu et senti
l’aghju intentidu e l’aghju sentitu
et alors? Maudit verbe « sente » qui en langue
corse, suivant le contexte dans lequel il est employé, veut tout
aussi bien dire « entendre » que « sentir ». Son participe
passé « intesu » au masculin et « intesa » au masculin
est donc fréquent. Exemple: j’ai senti la douleur => aghju entesu
a pena… j’ai entendu le bruit => aghju entesu u rimore.
l’aghju intesu e l’aghju intesu

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Début de saison…dernier épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Dix jours plus tard environ, à l’heure de la sieste Hyacinthe fit son apparition au village.
Manon, la femme de Ange-Etienne faisait un peu de ménage dans la salle et lavait les verres que les habitués de l’apéritif avaient laissés sur le bar. Ils n’étaient plus très nombreux mais fidèles. Cette petite bande conduite par Pastizzu, à qui son goût immodéré pour les apéritifs anisés avait valu son surnom, faisait marcher le commerce durant tout l’hiver.
Le berger lui adressa un large sourire. Ils n’étaient pas parents mais leurs mères avaient été sœurs de lait. Ils avaient été pour ainsi dire élevés ensemble et Hyacinthe considérait Manon comme sa cousine germaine.
Elle avait été une enfant espiègle, une adolescente pleine de vie et malgré les années, ses yeux étaient toujours emplis de flammèches. Hyacinthe l’embrassa avec affection puis ils s’assirent ensemble près de la porte.
« …Ange-Etienne n’est pas là?… »
« …Non, il est descendu à Calvi. Il devait passer à la banque puis chez le marchand de matériaux. Il voudrait agrandir la terrasse pour l’été prochain. J’en profite pour mettre de l’ordre parce que pendant la saison, il y a toujours du monde et je ne peux rien faire à fond. Je te fais un café?… »
Hyacinthe accepta volontiers. Il touilla lentement avant de boire à petites gorgées l’expresso. Il fit une petite grimace, il n’avait pas trop l’habitude du café machine, bon mais amer. Ils ne dirent rien pendant un moment et restèrent à regarder dehors la route vide.
Manon rompit le silence au bout de quelques minutes. »…On passe de l’agitation au calme en une semaine. Ca me fait toujours tout drôle… »
Il la regarda avec amusement. Puis, il saisit la perche tendue. « …Surtout qu’il y en a eu de l’animation cet été… ». C’était une affirmation interrogative avec un sourire d’initié. Elle se rappela comment à plusieurs reprises, il avait pris sa défense alors qu’ils étaient enfants dans les jeux un peu cruels où les petites filles sont les victimes invariables.
« …Oui, il y a eu de l’animation, c’est vrai… » Elle marqua une pause puis reprit en posant sa main sur la sienne. « …C’est gentil de n’avoir rien dit. Tu l’as su dès le début?… »
Hyacinthe eut un petit rire en disant « …Non pas tout de suite. Dis-moi, tu l’as trouvé où le plastic?… »
« …Tu te souviens quand Ziu Palucci est mort au printemps? On a nettoyé la maison avec ses nièces. Pendant qu’elles s’occupaient des chambres, moi je me suis chargée de la cuisine et en cherchant un frottoir pour la serpillière, je suis rentrée dans l’appentis. En prenant le frottoir, j’ai fait tomber un tas de boites et derrière, il y avait une caisse que j’ai ouverte. Il n’y avait que des vieilleries et cette caisse , elle n’avait même pas de poussière alors ça m’a intriguée…Il y avait pas mal de papiers, des câbles, d’autres choses et du plastic… ».
« …Bah, si on m’avait dit que Palucci était un clandestin!…Hyacinthe savait bien que ce n’était pas le cas, mais des confidences, c’est comme une bonne braise, il faut de temps à autres l’entretenir.
« …Non, je pense que ses neveux quand ils ont eu toutes ces histoires, ils ont craint que les gendarmes fassent une perquisition chez eux. Ils ont du déménager leur matériel chez l’oncle parce qu’ils savaient qu’il ne sortait plus de sa chambre. Moi, le plastic ça m’a donné l’idée. J’ai fabriqué la fausse bombe et je l’ai mise sous la télévision… ».
« …Ca , je ne pouvais pas le voir parce que ça c’est passé à l’intérieur du bar mais du coup, j’ai un peu veillé et un soir j’ai vu quelqu’un sur le toit qui faisait tomber l’antenne. J’ai bien regardé. Je ne pouvais pas reconnaître de loin mais je voulais voir dans quelle maison, l’ombre elle allait retourner. J’aurais rien dit à ton mari mais à celui qui lui cherchait des histoires, j’aurais été lui parler… »
« …Et tu n’as vu ressortir personne… »
« …Non, je n’ai vu ressortir personne et comme chez toi, vous n’êtes que deux, je n’ai pas eu de mal à comprendre que c’est toi qui avait fait l’escalade… ».
Manon se leva et alla chercher la bouteille de marc pour lui et un petit verre de myrte pour elle. Elle le servit en silence. Ils réfléchirent un moment tous les deux puis elle lui dit à nouveau. « …C’est gentil de ne m’avoir pas parlé… »
Ailleurs, une femme placée dans une situation comparable l’aurait remercié de n’avoir pas informé son mari voire les gendarmes. Elle savait qu’une pareille idée ne lui serait jamais venue à l’esprit. En revanche, elle lui était reconnaissante de ne pas s’être mêlée de l’affaire, de ne lui avoir donné aucun conseil. C’était une forme de respect dont elle lui savait gré.
« …Tu devais avoir ton idée… ». En écho, Hyacinthe confirmait son sentiment. « …Par contre, quand j’ai entendu la bagarre au bar et comment ton mari réagissait, j’ai pensé que ça pouvait mal tourner et j’ai appelé Desagès. Je lui ai raconté l’algarade et lui ai demandé de calmer Ange-Etienne… »
« …C’était toi le coup de fil aux gendarmes?… »
« …Ne m’en parle pas! Deux heures de marche pour descendre chez mon neveu à l’autre hameau pour qu’on ne me voit pas appeler du village. Je lui ai dit qui j’étais à l’adjudant et aussi que pas mal de gens au village pensaient que c’était moi. Bouh chi vergogna! A cause de toi j’ai frayé avec les gendarmes… »
Manon éclata de rire. « …Il était malin ce Desagès, je suis sûre qu’il n’a même rien dit à son gendarme! Bon, après partie comme j’étais partie, j’ai préparé le feu au pagliaghju en profitant qu’il avait plu et que le champ autour avait été nettoyé. J’ai même laissé un arrosoir sur place…et j’ai pris le décodeur pendant qu’ils étaient tous montés éteindre. Je m’étais dit que comme tout le monde serait là-haut, ils auraient tous une espèce d’alibi… »
« …Sauf moi!… »
« …Oui mais toi, je savais qu’Ange-Etienne était passé te voir . On en a parlé. Il était sûr que tu n’y étais pour rien et il m’a même répété ce que tu lui avait dit. Quelqu’un d’absent auquel on ne pense même pas. Là, j’ai compris que tu savais que c’était moi… »
Manon était devenue triste tout d’un coup. « …Tu ne me demandes pas pourquoi j’ai fait tout ça?… ».
« …Pas la peine. Je le sais. Les femmes ici, elle n’existent pas. Personne n’a même pensé que ça pouvait être toi alors que c’était logique. U colpu, le coup il venait de l’intérieur!… »
Hyacinthe remua la tête en poussant un petit soupir…
« ..Tu vois, dans toute cette histoire, on n’a entendu que les hommes. Ca crie, ça s’engueule au bistrot et puis ça rentre mettre les pieds sous la table. J’imagine que tu as voulu donner une leçon à ton mari… ».
« …Oui. Il n’y en avait plus que pour le football. Déjà que le vois peu avec le bar, au moins les soirs de match, quand tout le monde descendait à Bastia, on avait une soirée pour nous. Parfois on descendait manger une glace à la piazzetta près de la plage. Et là plus rien. J’étais plus bonne qu’à faire le ménage, à m’occuper de tout et sans guère de reconnaissance. On s’est expliqués et je lui ai dit. On va revenir comme avant. J’ai même appelé l’adjudant pour lui dire de ne plus s’en faire, qu’il ne se passerait rien de grave. Au moins les jours où il y a match à Furiani, je serai un peu tranquille. Vous continuerez. Et puis ça te fait plaisir, non Hyacinthe?… »
Le berger sourit largement et se leva. Un beau début de saison pensa-t-il en remontant vers le plateau. Comme le vent descendait, pour une fois, c’est ceux d’en bas qui l’entendirent chanter.

 

Approntati ô capraghju da lascià piaghja e calmana…

 

 


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Début de saison….16ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le soleil était un peu plus haut désormais. Pascal, Marco et Fanfan arrivaient ensemble avec la même mine. Une dernière macagne pour la route. En faisant semblant d’être aussi enjoués que d’habitude, pour aider Toussaint à partir.
Fanfan restait en Corse mais pas au village. Il y retournait quand même pour les congés et parfois en fin de semaine. Pascal et Marco qui vivaient comme Toussaint sur le continent repartaient le lendemain et le surlendemain. Une répétition en somme. Ils saluèrent Ange-Etienne qui repartait vers le bar. Il savait que la fine équipe ne tarderait pas à être mise au courant du retour matinal du décodeur et ne souhaitait pas plus que ça entendre les plaisanteries qui allaient s’ensuivre.
« …Ô Toussaint, tu nous quittes? Tu pars ou tu t’en vas?… »
Depuis toujours Pascal commençait de façon invariable son approche par cette plaisanterie. Il la faisait d’autant plus volontiers qu’il savait qu’elle allait lui revenir dès le lendemain, quand assis sur un muret identique, il tirerait le même museau devant une voiture chargée de valises toutes pareilles.
Toussaint savait tout cela. Il supportait bien le rite car le plaisantin au fond n’avait aucune envie de rire. De la même manière qu’en Corse on ne dira jamais qu’un enfant est beau pour ne pas lui porter le mauvais œil, et bien, on feint parfois de s’amuser pour mieux exprimer sa peine.
« …Moi, je pars mais il y a quelque chose qui est revenu cette nuit… »
« …Euh! L’intelligence à Gonthier?… »
« …Non, Pascal. C’est le tuner d’Ange-Etienne qui s’en est rentré chez lui après une nuit et un jour de vadrouille… »
La nouvelle méritait qu’on fasse un tour au bar histoire de voir la tête du patron et de la taquiner un peu, s’il était d’humeur. Ange-Etienne les attendait. Il les connaissait assez pour savoir qu’ils ne manqueraient pas une occasion de s’amuser un peu et puis de toutes façons, le matin du départ, ils venaient toujours boire un dernier café.
Ils s’accoudèrent au comptoir avec l’air prévisible de ceux qui savent mais qui attendent le moment propice. Après quelque propos d’une banalité outrée sur les orages en montagne, Marco finit par se retourner et embrasser du regard la salle du bar. Ses yeux flânèrent sur les tables, le pétrin. Il ne regarda pas la télévision mais en se retournant vers Ange-Etienne, il dit « …Alors, il paraît que Pomponette est rentrée… »
Pascal renchérit aussitôt dans un duo bien réglé « …Autant, si ton tuner, il a passé la nuit avec un autre, il te fait des petits et tu pourras faire un élevage… »
Le patron supporta en silence. Il haussa les épaules puis laissa tomber avec fatalisme. « …la télé, ô zitté, je vais la revendre. Cette hiver, puisque ça gêne quelqu’un, et bien on regardera griller les châtaignes et ceux qui veulent des informations fraîches, ils n’auront qu’à mettre le Corse-Matin au freezer… ».
Toussaint partit en fin d’après-midi. Pascal et Marco les jours suivants. Un lancinant coup de klaxon fut leur dernier adieu. Le village était vide. Les derniers touristes trouvaient sans peine à se garer. Ils n’avaient plus besoin de monter jusqu’à l’église. De petites troupes, sans enfants, descendaient au fleuve où les attendait une eau bien refroidie par les orages qui désormais éclataient chaque nuit.
Fanfan resta trois jours de plus, jusqu’à la rentrée. Puis comme les autres, il ferma la maison. La lourde clé en fer forgé qui pesait ses deux livres alla se nicher sous la grosse pierre près de la fenêtre de la cuisine. Il fit un dernier tour au bar. Il demanda à Ange-Etienne s’il était sérieux lorsqu’il parlait de vendre la télévision. Celui-ci sourit et répondit que non. Il ajouta néanmoins qu’il ne renouvellerait pas les soirées pour les matchs à domicile. Question d’ambiance rajouta-t-il. Cette nouvelle rassurante fut aussitôt communiquée à ceux qui appelaient du continent de temps à autres pour savoir comment le vent tournait.
Bastia ce soir là alla faire un méritoire match nul à Sedan. Ils étaient quatre ou cinq dans la salle en formation pré hivernale. Les vestes de treillis étaient de sortie car il faisait presque froid en sortant de la salle. Le lendemain, le boulanger ne passa pas car il avait repris le rythme de la morte saison, une visite tous les trois jours seulement.
C’est dans un village tranquille sous un soleil qui faisait encore des façons que les gendarmes arrivèrent en cours d’après-midi. Desagès et son acolyte s’arrêtèrent chez Ange-Etienne. Leurs haltes en automne étaient plus longues. Ils avaient moins de soucis. La terre et les hommes reprenaient leur souffle après deux mois d’été.
« …Je suis venu vous saluer Monsieur Ange-Etienne, une dernière fois. Je suis promu et je quitte la Corse… »
L’adjudant avait un sourire, un peu semblable à celui de Toussaint, Pascal et les autres quand ils montaient une dernière fois dans la voiture en direction du port. Le militaire semblait mélancolique lui aussi. Le patron faillit dire « …ça se fête… » mais se ravisa car cette invitation pouvait laisser croire qu’il se réjouissait du départ de l’adjudant. En fait, il pensait à la promotion. Le temps qu’il trouve la formule satisfaisante, Desagès avait repris la parole.
« …Il y a quelques jours que nous ne sommes pas montés jusqu’ici. Beaucoup de travail à la plage. Mais, s’il y avait eu quelque chose vous m’auriez appelé n’est ce pas?… »
Ange-Etienne n’était pas de ceux qui préjugent de la sottise de leur interlocuteur. En Corse, on sait qu’il faut déchiffrer ce qui est dit et que le dialogue est juste un paravent derrière lequel les choses importantes sont en attente. Celui qui énonce ces choses sait que celui qui les écoute va comprendre. La réponse doit être du même tonneau. L’adjudant connaissait à l’évidence tous les développements qui avaient animé la communauté.
« …Il y a eu des choses mais rien qui vaille qu’on vous dérange. Des affaires qu’on a réglées entre nous. Des enfantillages… »
« …Je comprends, du moment que vous avez retrouvé votre bien…et que le feu n’a pas été plus loin, c’est vrai que c’était sans importance.
Ange-Etienne sourit. Le gendarme était au courant de tout. Il leur proposa machinalement un café qu’à sa grande surprise les militaires acceptèrent. Ils allèrent même jusqu’à s’asseoir après avoir ôté les képis. Sans rien dire, il sortit même une bouteille de marc et arrosa le reste de café dans les tasses. Il ajouta en guise d’explication qu’une promotion ça se fêtait.
Desagès et Pekarski opinèrent et burent sans mot dire l’alcool de Patrimonio. L’adjudant regardait les montagnes sans rien dire, puis il se leva aussitôt suivi de son collègue.
« …Je suis affecté dans la Beauce. Ce ne sera pas pareil…Au revoir , Monsieur Ange-Etienne, j’ai été heureux de vous connaître… »
Il lui serra la main et se dirigea vers la voiture précédé par Pekarski. Alors qu’Ange-Etienne le regardait partir, il se retourna brusquement et dit « …A propos, on m’a téléphoné et la personne que j’ai eue au bout du fil m’a dit qu’il ne se passerait plus rien chez vous. J’ai cru comprendre que vous aviez eu une conversation. Donc, je suis tranquille. Portez-vous bien… ».
Ange-Etienne fut interloqué mais trouva la présence d’esprit de se forger un sourire d’initié. Bien sûr qu’il était au courant. Oui, il avait eu une conversation avec son tourmenteur. Le 4X4 des gendarmes avait à peine quitté la placette qu’il s’était précipité dans le bar, les lèvres en cul de poule et le front plissé.
Non seulement, on avait téléphoné aux gendarmes mais en plus, on leur avait dit qu’il ne se passerait plus rien et qu’il y avait eu avec lui une conversation. Nom de Dieu, avec qui avait-il parlé? Il se refit un café et tout d’un coup, un vrai sourire lui vint. Un grand qui se mua bientôt en un rire muet qui lui secouait les épaules. Bien sûr! Ce n’était pas si compliqué.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Début de saison …15ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Toussaint se leva tôt le lendemain avec des idées noires. Il était le premier de la petite bande à rejoindre le continent. Tout le monde dormait dans la maison. Et même si d’aventure quelqu’un était réveillé, il aurait fait semblant de somnoler encore. Personne ne se serait hasardé à lui faire la conversation au moment précis où il apprêtait la voiture pour le départ.
Il expédia son café, debout devant la porte en s’emplissant le cerveau de souvenirs pour les dix mois à venir. Le torrent, les collines en face de la maison et sur la droite, les montagnes encore humides de la nuit. Toussaint soupira. Il ressentait une profonde tristesse, toujours la même depuis tant d’étés. Le pire c’est que cette tristesse l’étreignait à peine arrivé. Trois ou quatre semaines, ça pouvait sembler long et suffisant. Il s’en réjouissait d’avance. Mais, dès qu’il était au village, il commençait plus ou moins inconsciemment un compte à rebours. C’est bon, se disait-il, il me reste encore trois semaines, puis il raisonnait en jours, encore quinze puis dix. Il finissait par intégrer à ce funeste calcul le jour du départ, histoire de faire un compte rond. Puis, il comptait en heures. Et là ça allait très mal. Il faut dire que dès qu’il était revenu au village, jeunes et vieux lui disaient invariablement, tu ne restes que trois semaines, c’est court, tu pars déjà!. C’était leur manière à eux de lui faire sentir qu’ils l’aimaient, qu’ils auraient bien voulu qu’il reste toujours, mais ces réflexions lui cassaient le moral.
Il en était là, sous les châtaigniers, devant la vieille fontaine en regardant d’un air morose, la voiture bien chargée et parfaitement indifférente.
Il n’entendit pas Ange-Etienne qui s’approchait. Le patron du bar s’assit à coté de lui avec un « ..heu.. » chuchoté qui lui fit tourner la tête. Ange-Etienne qui avait connu, l’ambiance du départ, ne s’offusqua pas de l’absence de réaction de son interlocuteur qui scrutait à nouveau son véhicule. Le silence se prolongea un long moment. Ils étaient épaule contre épaule sans se parler mais en se disant tout.
Toussaint soupira pour la dixième fois de la matinée puis se tournant vers son voisin silencieux, lui demanda « …Ca va, toi?.. ». Lui ça n’allait pas, c’est ce que la question voulait dire. Ange-Etiennne, les yeux dans le vide, répondit que ça lui faisait drôle de voir le village se tarir. « …J’ai beau connaître ça tous les ans, je ne m’y habitue pas… ». Puis, il rajouta, en le regardant cette fois … »Toussaint, ce matin, en me levant, il y avait le tuner qui était revenu à sa place…comme tu t’es levé tôt, tu n’as remarqué personne près du bar?… ».
Malgré son spleen, Toussaint s’esclaffa. « …Ange-Etienne, on te fait vraiment tourner en bourrique! Non, je n’ai vu personne mais ça ne signifie rien, parce que ce matin, j’ai la tête à ces foutues valises… »
« …Oui, je m’en doute. Je connais ça. Mais, vous en pensez quoi vous autres, Marco, Pascal. Vous êtes du village mais vous vivez à l’extérieur, donc vous voyez les choses avec plus d’objectivité. Vous parlez plus franchement… »
Marco, Pascal, Toussaint, Fanfan. La fine équipe qui avait fait enrager le canton par ses plaisanteries, ses blagues nocturnes. Voilà qu’un ancien lui demandait son avis. Toussaint sourit, il avait donc sacrément vieilli.
« …Tu sais, Ange-Etienne, on en a peu parlé en définitive de cette histoire et je ne sais pas ce qu’ils en pensent. Moi, au début, j’ai cru que c’était une grosse macagne mais dès qu’on a cassé l’antenne, je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus sérieux.. »
Il s’arrêta de parler une minute ou deux puis reprit après avoir de toute évidence pesé les mots qui allaient suivre.
« …Tu as raison quand tu dis qu’on est à la fois dans et hors du village et que ça nous donne un peu de recul. Quand, on se retrouve sur le continent avec les autres, on ne parle presque que de ça. Je ne crois pas une seconde que ce soit Hyacinthe. Il est à l’ancienne. Ce qu’il a à dire, il le dit comme l’autre soir mais jamais il ne ferait un coup à l’appiatu, en douce. Ce n’est pas un mesquin… »
« …Je suis d’accord avec toi. Je suis même monté le voir pour lui demander s’il avait vu quelque chose. Il m’a répondu à sa façon qu’il avait vu mais je ne lui pas demandé quoi; Ca l’aurait vexé… »
« …Bon. Dans ces conditions, il faut chercher autre chose. Ce n’est pas un coup des nationalistes. Ils ont d’autres chats à fouetter et en général, ils ne tirent pas des coups de canon dans leurs propres batteries…Moi, je penserai plutôt à une affaire d’envie… »
« …d’envie?… »
« …Ecoute, on est entre nous. On peut parler. Tu sais bien que dans les villages, en Corse comme ailleurs sans doute, les gens, ils ont l’impression qu’il leur manque quelque chose si un autre réussit ou fait quelque chose de bien. Le pire c’est quand ils ne peuvent pas avoir, que c’est impossible d’avoir, ce que le voisin il a…Une voiture, tu peux en être jaloux et te guérir en achetant une plus belle. C’est de la jalousie et ça se soigne. Mais l’envie, c’est plus grave parce que tu ne peux pas obtenir plus beau et ça te ronge. Alors tu casses ce que ton voisin ou ton parent il a, et que toi tu ne pourras jamais avoir… »
« …Ce n’est jamais qu’une télé et une antenne. Tout le monde peut se l’offrir… »
« …Oui. Mais l’ambiance qui va avec, le fait que tu deviennes un peu l’âme du village, celui dont on parle, qui organise des choses auxquelles d’autres n’ont pas pensé, ça a pu en enrager au moins un… »
« …Je me serais fait un ennemi en quelque sorte?… »
« …Voilà…mais ce qui est dommage, c’est que je ne verrai pas la fin. Il faudra que j’attende que tu me téléphones pour me dire la suite… ».

Capicursura o auturnu, cume vo vulete!


 

 

 

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