Barbarismes..amicacci !

Un bellu pezzu ch’un v’aghju parlatu corsu. Un bon moment que je ne vous ai pas parlé corse !
E cumu oghje, si tratta di a nostra lingua nant’a Rue 89 (u ligame è qui), m’aghju pinsatu chi era u mumentu di favi un rigalu. E comme aujourd’hui, on parle de notre langue sur Rue 89 (le lien est ici), je me suis dit que c’était le moment de vous faire un cadeau.

Amicacci.. les faux amis ! Une petite dizaine d’expressions que je relève ici ou la et dont la traduction en corse est parfois baroque. Barbarismes et contresens. Il y en a d’autres mais ceux-là, c’est de mon point de vue, les plus courants et surtout ceux qui vont hérisser les oreilles de vos auditeurs.

Il ne reste plus qu’à les apprendre par cœur…tiens à propos de par cœur.. un bonus qui n’a rien à voir avec le barbarisme mais qui illustre la richesse de notre idiome. En français, on oublie. On oublie sa famille et on oublie son parapluie. En Corse, il y a deux mots différents suivant l’importance de la chose dont on parle.

Scurdà.. pour les choses qu’on a dans le cœur.. mi so scurdatu di tè..je t’ai oublié
Smintica… pour les choses qu’on a dans la tête…dans le cerveau… m’aghju sminticatu u mo paracqua.

Et ce n’est pas la même nuance, vous en conviendrez. U core le cœur, a mente , l’esprit, l’intelligence, la mémoire. Sur le continent, vous savez par cœur, sur l’île, a sapete di mente, vous l’avez dans la tête. Et franchement, c’est plus logique. Les maths, la chimie et la physique, autant de matières que ai allègrement oubliées, n’ont jamais eu de place dans mon cœur…

Vous voulez dire
Vous avez dit
Et alors?
Il faut dire…
il était temps
era tempu
et alors? C’est un grand classique du barbarisme! Vous
avez importé en langue corse, une forme usuelle en français
mais qui n’est pas du tout adaptée. Et vous êtes impardonnable
car j’en ai déjà parlé ici même.
Era ora.. C’était l’heure
Quel jour sommes-nous
Chi ghjornu simu
et alors? Bon, vous serez compris mais vous aurez raté
une occasion d’utiliser une vraie tournure idiomatique, une façon
de dire les choses qui montre que vous ne vous bornez pas à traduire
de façon littérale.
Quantu n’avemu oghje? Combien en avons nous aujourd’hui?
Il est encore venu
è ancora vinutu
et alors? C’est l’horreur absolue. Une tentative de
traduction basée sur la similitude des sons. Parfois ça
marche mais là, c’est le ridicule assuré.
è vinutu torna.. Torna indique la répétition
dans l’action.
Quelle chance!
Chi chanza!
et alors? Tout le monde le dit ou presque, donc on vous
pardonnera mais « chi chanza » (prononcé tchintza) n’existe
pas en lanque corse où vous retrouvez « campa » « furtuna »
ou le rare « diccia ».
Chi campa! Chi furtuna!
J’ai joué de la guitare
aghju ghjucatu di a guittara
et alors? Jouer se dit bien ghjucà en corse.
Mais ça ne marche pas pour les instruments de musique. Si ghjoca
a carta, on joue aux cartes mais un si ghjoca micca di a guittara
Toccu a guittara…je touche la guitare
Bastia a gagné le match
Bastia a guadagnatu u match
et alors? Un peu comme pour jouer, nous nous trouvons
dans un piège lié au fait que guadagnà veut bien
dire gagner. Oui, mais au sens de gagner sa vie. Gagner un match ou une
partie de cartes commande une expression idiomatique. Observation perfide,
les résultats actuels du club font que vous aurez peu d’occasions
de commettre cette bourde.
Bastia a vintu.. Bastia a vaincu
C’est à moi de parler
è a mè di parlà
et alors? Là aussi, vous serez compris mais c’est
un petiot barbarisme quand même. Car il existe une expression parfaite
pour exprimer que c’est son tour de faire quelque chose
Tocca a mè di parlà..tocca a tè…
Tuccà veut aussi bien toucher qu’échoir.. Très jolie
formule donc car car elle se traduit par c’est à moi qu’il échet
de parler
Je l’ai échappé belle
L’aghju scappata bella
et alors? Barbarisme quand tu nous tiens. Et ce pouvait
être pire (je l’ai entendu!!) avec « encora orosu ». A proscrire
sous peine de devenir une célébrité locale.
l’aghju corsa brutta
Encore heureux
Ancu felice

et alors? Barbarisme quand tu nous tiens. Et ce pouvait
être pire (je l’ai entendu!!) avec « encora orosu ». A proscrire
sous peine de devenir une célébrité locale.
Ancu assai
Je l’ai entendu et senti
l’aghju intentidu e l’aghju sentitu
et alors? Maudit verbe « sente » qui en langue
corse, suivant le contexte dans lequel il est employé, veut tout
aussi bien dire « entendre » que « sentir ». Son participe
passé « intesu » au masculin et « intesa » au masculin
est donc fréquent. Exemple: j’ai senti la douleur => aghju entesu
a pena… j’ai entendu le bruit => aghju entesu u rimore.
l’aghju intesu e l’aghju intesu

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Pont génois

Il existerait une soixantaine de ponts génois en Corse. Ce site  propose les photographies de quelques uns de ces ouvrages. Y figure le pont génois du Fangu. Ce n’est sans doute pas le plus beau (j’avoue trouver plus esthétiques ceux d’Ascu ou de Ponte Leccia) ni le plus imposant. Mais, c’est celui de ma vallée. U ponte vechju. Le pont vieux.

Et je trouve qu’il se distingue des autres par la beauté du panorama dans lequel il s’inscrit. La belette agile  ma photographe attitrée, a profité de notre dernier séjour au village pour en faire quelques clichés automnaux. U ponte vechju est paisible. Ce n’est pas le cas l’été où sa proximité immédiate de la route et une jolie piscine naturelle, attirent les touristes.

Sous l’appellation « pont génois » on retrouve un ensemble d’ouvrages en pierre construits par les génois en Corse lors de l’occupation par Pise et Gênes. Ces ouvrages ont été édifiés entre les 13ème et 18ème siècles. Il s’agissait alors de permettre le transport des productions insulaires (blé, vin, huile d’olive ou encore châtaignes). Ces ponts étaient prévus pour les véhicules de l’époque à savoir les mulets. Ils permettaient le croisement de deux bêtes bâtées.  Au cours du 18ème siècle, ils ont été élargis pour autoriser le passage des charrettes.

Le pont du Fangu a subi ces travaux plus quelques autres pour le renforcer. Le pavement initial demeure (voir les photos) et il est utilisé pour le passage des véhicules qui montent vers Chiumi, lieu dit dont il faudra que je vous parle un jour à propos de son église en ruine. Mais c’est une autre histoire.

Le plus étonnant de mon point de vue, c’est de voir ces ponts résister aux crues méditerranéennes. Leur structure (dos d’âne, arche unique le plus souvent et tablier étroit) les rend insensibles au temps alors même qu’ils ne sont plus entretenus ou fort peu. En fait, les génois observaient avant de construire et la position de ces ouvrages et leur hauteur par rapport au cours d’eau, expliquent cette longévité.

Et en plus, ils sont beaux. Mais vous me direz, non sans raison, que rares sont les choses qui ne sont pas belles en Filosorma.

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Macrostigma

Ce n’est certes pas la saison. Mais et sans doute parce que pour diverses raisons, je n’ai pu aller en Filosorma ce printemps pour taquiner la truite, j’ai eu envie de vous parler de pêche. Un argument pour évoquer en fait la jeunesse, les amis et la nature. Un peu la macrostigma aussi car c’est elle la vedette.
Il était une fois.. il y a une belle paire de décennies en tous cas, un tout jeune gamin qui passait ses vacances dans une maison du bas du village. Case suttane donc. Un jour, à l’occasion d’une visite dans une maison du haut du village, case suprane, il a rencontré un autre garçon, un peu plus âgé qui est devenu et resté son ami. Comme ils étaient vraiment jeunes, leur terrain de jeu était tout d’abord circonscrit au jardin. Puis, en vieillissant, ils se sont emparés des ruisseaux avant de déboucher sur les rivières.. celle de Montestremu d’abord, calme sous les arbres puis le Fangu, plus agité et bien plus profond.

Une année, le plus âgé des deux a commencé à pêcher. Et il a emmené le plus jeune avec lui. Le terrain de jeu était plus vaste et les expéditions tout à fait sportives. Bocca Bianca, Cavichja au-dessus et au dessous du gué, Scalella et l’Onca entre autres. Qu’on ne s’y trompe pas ! Aller pêcher à l’Onca signifiait un départ la veille en fin d’après-midi pour passer Caprunale et rejoindre Puscaghja et y passer la nuit pour être dans les ruisseaux dès le lever du soleil. Et retour au village après une journée d’une dizaine d’heures où après avoir sauté de rocher en rocher, il fallait se refaire l’interminable route jusqu’à Bardiana. Quant à la partie basse de la Cavichja, c’était une nuit dans une espèce de grotte au-dessus di u traghjettu, di u zoppu, le gué du boiteux, avant d’attaquer la descente le lendemain matin. Et quelle descente ! ! Torrent escarpé, passage dans le maquis avec embrouillamini de fil garanti, saut dans les pozzi glacés parce que parfois ce n’était pas possible autrement . Et tout ça, en tous cas pour ce qui me concerne, conclu par de retentissantes bredouilles. Ce tronçon de rivière ne m’a jamais aimé.
Et attention, le duvet et le camping-gaz étaient des concepts à l’époque. La nuit se passait dans une couverture roulée et les repas étaient à base de pain, de saucisson et d’une espèce de noix de jambon dont je revois encore la boite plus ou moins ovale, dégoulinante de gelée. Mon Dieu, que c’était bon !
Et puis, il y avait le moment magique. Accord entre les deux pêcheurs pour ne pas commencer à lancer avant que l’autre soit prêt. Et puis, la rivière en toute fin de nuit, encore grise. Et nous, sur un rocher. La première touche, le premier poisson.
Une chose est sure et certaine. Nous avons toujours été conscients à ces moments précis de vivre des petits joyaux de vie éphémères. Une harmonie.
Alors, des truites, nous en avons pris. Parfois beaucoup et quelques unes fort belles. Et nous continuons à pêcher même si nous avons un peu forci.

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Mais le plaisir est le même. La rivière a changé par contre, moins d’eau, des chemins fermés. L’ami à qui je dédie ce billet prenait le double de truites et moi, j’attrapais souvent la plus belle. Il y a une justice dans ces ruisseaux.

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Ah, j’allais oublier de vous dire deux mots sur la macrostigma. Le plus simple est d’en appeler à Wikipedia.
« .. La truite corse, communément appelée macrostigma d’après Salmo trutta macrostigma se rencontre en Corse où elle peuple les cours d’eau de l’île depuis plus de 150 000 ans. Pour qualifier la truite sauvage Corse, elle fut d’abord appelée « Duméril » (1858), puis Spillman (1961) et enfin « Macrostigma ». Ce sont les récentes séries d’analyses génétiques réalisées en Corse qui ont clairement identifié la truite endémique Corse aux autres souches identifiées (Atlantique et méditerranéenne). Au cours de ces études il a été constaté que la robe phénotype de la macrostigma varie fortement en fonction des bassins versants où elle se trouve, sans doute à cause d’un isolement géographique des populations dans les bassins fermés, développant ainsi chacune une robe différente en fonction de son environnement. C’est pourquoi seule l’analyse génétique permet de les identifier avec certitude des autres espèces de truites introduites dans l’île… »
Belle et identitaire. Et menacée aussi. Car, s’il m’arrive encore de prendre quelques truites, ce sont des arc-en-ciel ou des farios communes. De la macrostigma, plus du tout. Pour son plus grand malheur, la belle s’est réfugiée très en amont du Fangu, où certes elle échappe aux filets mais pas aux effets de la sécheresse que nous constatons année après année.

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C’est ici que l’on voit que comme souvent nos petites histoires rejoignent la grande.

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Piena di u Fangu…Ottobre 1992…

Après une longue interruption du son et de l’image due à une surcharge de travail (et oui le Filosorma ne nourrit pas son homme), je reviens vers vous pour vous parler d’un événement peu référencé sur le web. On en parle ici ou là, mais je n’ai trouvé aucune iconographie. Aussi, je suis ravi de pouvoir vous proposer quelques photographies qui sont en fait des épreuves papier numérisées (merci à Gè, u mo cuginu de les avoir prises et de me les avoir prêtées). A l’époque, le numérique était peu voire pas répandu et même si la qualité est moyenne, le lecteur pourra néanmoins se faire une idée en regardant le carrousel.

La crue donc ! En langue corse, il y a deux mots pour désigner ce phénomène naturel.. a piena e a fiumara avec des variantes de pronociation de ci delà.

En octobre 1992, la vallée du Filosorma et de façon plus large toute la façade occidentale de la Corse, de Calvi à Porto, a connu un épisode pluvieux d’une rare intensité à la fois dans sa durée et en densité. Le bassin du Fangu est versant. Ce qui signifie que c’est un territoire délimité par des lignes de crête (ou lignes de partage des eaux) et irriguée par un même réseau hydrographique (une rivière, avec tous ses affluents et tous les cours d’eau qui alimentent ce territoire). A l’intérieur d’un même bassin, toutes les eaux reçues suivent, du fait du relief, une pente naturelle et se concentrent vers un même point de sortie appelé exutoire. Dans un bassin versant, l’eau se fraye des chemins sur et dans les sols. Elle emporte avec elle de la terre, des végétaux, des pierres. Lorsque toutes les crues secondaires convergent dans le bassin versant, celui ci qui est déjà torrentiel par nature, affiche alors un débit exceptionnel Le document DIREN-SEMA de mai 1994, intitulé « Etude historique des catastrophes naturelles en Corse précise que la crue des 20 et 21 octobre 1992 a duré plus de 24 heures, avec deux pics supérieurs à 600 m3/s et à 6 heures d’intervalle.

Ce n’est pas la première crue de cette ampleur dans la vallée du Fangu. Ma tante Catherine évoquait souvent celle de 1916, je crois, qui avait emporté tous les moulins qui étaient alors, nombreux sur les rives du fleuve. Mais, dans tous les cas et c’est tant mieux, il n’y a pas eu de blessés ou de morts. La sagesse des anciens sans doute qui les poussait à édifier leur maison à l’écart des cours d’eau. Celle du pont de Montestremu un peu plus près du ruisseau, ancien moulin oblige, n’est pas passé loin cependant si on en croit les photos. Il faut pour se faire une idée de la violence du phénomène, s’imaginer u pozzu di a verga, le trou de la passerelle comblé par les graviers alors qu’il fait bien quatre mètres de profondeur. Tant mieux pour les baigneurs, il a retrouvé son format originel par la suite. Les ponts ont tenu aussi même s’il a fallu déblayer les amas de pierre apportés par le courant.

Il faut se méfier du Fangu. En octobre, et de nuit, il n’y avait personne pour se baigner ou même camper dans le lit du fleuve. Mais l’été, alors qu’il fait grand beau temps dans la vallée, il peut pleuvoir depuis des jours en montagne. Les baigneurs inconscients, et souvent sourds aux avertissements qu’on leurs prodigue, descendent au fleuve sans mesurer le danger. La crue lorsqu’elle arrive est moins violente que celle que j’évoque aujourd’hui mais elle peut être mortelle. J’ai le souvenir d’un estivant que nous avons sorti de justesse de l’eau en plein mois de juillet. Celui-là qui avait négligé nos appels à la prudence était moins faraud alors qu’il partait à la dérive en dessous de San Quilicu.

Pas de conclusion particulière si ce n’est que quand vous descendrez vers les pozzi, jetez un œil à la grande barrière pour voir si les spicie, les cascades, annonciatrices de crue ne s’y sont pas formées. U Fangu, on l’aime, on le respecte et on le craint !

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Début de saison…dernier épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Dix jours plus tard environ, à l’heure de la sieste Hyacinthe fit son apparition au village.
Manon, la femme de Ange-Etienne faisait un peu de ménage dans la salle et lavait les verres que les habitués de l’apéritif avaient laissés sur le bar. Ils n’étaient plus très nombreux mais fidèles. Cette petite bande conduite par Pastizzu, à qui son goût immodéré pour les apéritifs anisés avait valu son surnom, faisait marcher le commerce durant tout l’hiver.
Le berger lui adressa un large sourire. Ils n’étaient pas parents mais leurs mères avaient été sœurs de lait. Ils avaient été pour ainsi dire élevés ensemble et Hyacinthe considérait Manon comme sa cousine germaine.
Elle avait été une enfant espiègle, une adolescente pleine de vie et malgré les années, ses yeux étaient toujours emplis de flammèches. Hyacinthe l’embrassa avec affection puis ils s’assirent ensemble près de la porte.
« …Ange-Etienne n’est pas là?… »
« …Non, il est descendu à Calvi. Il devait passer à la banque puis chez le marchand de matériaux. Il voudrait agrandir la terrasse pour l’été prochain. J’en profite pour mettre de l’ordre parce que pendant la saison, il y a toujours du monde et je ne peux rien faire à fond. Je te fais un café?… »
Hyacinthe accepta volontiers. Il touilla lentement avant de boire à petites gorgées l’expresso. Il fit une petite grimace, il n’avait pas trop l’habitude du café machine, bon mais amer. Ils ne dirent rien pendant un moment et restèrent à regarder dehors la route vide.
Manon rompit le silence au bout de quelques minutes. »…On passe de l’agitation au calme en une semaine. Ca me fait toujours tout drôle… »
Il la regarda avec amusement. Puis, il saisit la perche tendue. « …Surtout qu’il y en a eu de l’animation cet été… ». C’était une affirmation interrogative avec un sourire d’initié. Elle se rappela comment à plusieurs reprises, il avait pris sa défense alors qu’ils étaient enfants dans les jeux un peu cruels où les petites filles sont les victimes invariables.
« …Oui, il y a eu de l’animation, c’est vrai… » Elle marqua une pause puis reprit en posant sa main sur la sienne. « …C’est gentil de n’avoir rien dit. Tu l’as su dès le début?… »
Hyacinthe eut un petit rire en disant « …Non pas tout de suite. Dis-moi, tu l’as trouvé où le plastic?… »
« …Tu te souviens quand Ziu Palucci est mort au printemps? On a nettoyé la maison avec ses nièces. Pendant qu’elles s’occupaient des chambres, moi je me suis chargée de la cuisine et en cherchant un frottoir pour la serpillière, je suis rentrée dans l’appentis. En prenant le frottoir, j’ai fait tomber un tas de boites et derrière, il y avait une caisse que j’ai ouverte. Il n’y avait que des vieilleries et cette caisse , elle n’avait même pas de poussière alors ça m’a intriguée…Il y avait pas mal de papiers, des câbles, d’autres choses et du plastic… ».
« …Bah, si on m’avait dit que Palucci était un clandestin!…Hyacinthe savait bien que ce n’était pas le cas, mais des confidences, c’est comme une bonne braise, il faut de temps à autres l’entretenir.
« …Non, je pense que ses neveux quand ils ont eu toutes ces histoires, ils ont craint que les gendarmes fassent une perquisition chez eux. Ils ont du déménager leur matériel chez l’oncle parce qu’ils savaient qu’il ne sortait plus de sa chambre. Moi, le plastic ça m’a donné l’idée. J’ai fabriqué la fausse bombe et je l’ai mise sous la télévision… ».
« …Ca , je ne pouvais pas le voir parce que ça c’est passé à l’intérieur du bar mais du coup, j’ai un peu veillé et un soir j’ai vu quelqu’un sur le toit qui faisait tomber l’antenne. J’ai bien regardé. Je ne pouvais pas reconnaître de loin mais je voulais voir dans quelle maison, l’ombre elle allait retourner. J’aurais rien dit à ton mari mais à celui qui lui cherchait des histoires, j’aurais été lui parler… »
« …Et tu n’as vu ressortir personne… »
« …Non, je n’ai vu ressortir personne et comme chez toi, vous n’êtes que deux, je n’ai pas eu de mal à comprendre que c’est toi qui avait fait l’escalade… ».
Manon se leva et alla chercher la bouteille de marc pour lui et un petit verre de myrte pour elle. Elle le servit en silence. Ils réfléchirent un moment tous les deux puis elle lui dit à nouveau. « …C’est gentil de ne m’avoir pas parlé… »
Ailleurs, une femme placée dans une situation comparable l’aurait remercié de n’avoir pas informé son mari voire les gendarmes. Elle savait qu’une pareille idée ne lui serait jamais venue à l’esprit. En revanche, elle lui était reconnaissante de ne pas s’être mêlée de l’affaire, de ne lui avoir donné aucun conseil. C’était une forme de respect dont elle lui savait gré.
« …Tu devais avoir ton idée… ». En écho, Hyacinthe confirmait son sentiment. « …Par contre, quand j’ai entendu la bagarre au bar et comment ton mari réagissait, j’ai pensé que ça pouvait mal tourner et j’ai appelé Desagès. Je lui ai raconté l’algarade et lui ai demandé de calmer Ange-Etienne… »
« …C’était toi le coup de fil aux gendarmes?… »
« …Ne m’en parle pas! Deux heures de marche pour descendre chez mon neveu à l’autre hameau pour qu’on ne me voit pas appeler du village. Je lui ai dit qui j’étais à l’adjudant et aussi que pas mal de gens au village pensaient que c’était moi. Bouh chi vergogna! A cause de toi j’ai frayé avec les gendarmes… »
Manon éclata de rire. « …Il était malin ce Desagès, je suis sûre qu’il n’a même rien dit à son gendarme! Bon, après partie comme j’étais partie, j’ai préparé le feu au pagliaghju en profitant qu’il avait plu et que le champ autour avait été nettoyé. J’ai même laissé un arrosoir sur place…et j’ai pris le décodeur pendant qu’ils étaient tous montés éteindre. Je m’étais dit que comme tout le monde serait là-haut, ils auraient tous une espèce d’alibi… »
« …Sauf moi!… »
« …Oui mais toi, je savais qu’Ange-Etienne était passé te voir . On en a parlé. Il était sûr que tu n’y étais pour rien et il m’a même répété ce que tu lui avait dit. Quelqu’un d’absent auquel on ne pense même pas. Là, j’ai compris que tu savais que c’était moi… »
Manon était devenue triste tout d’un coup. « …Tu ne me demandes pas pourquoi j’ai fait tout ça?… ».
« …Pas la peine. Je le sais. Les femmes ici, elle n’existent pas. Personne n’a même pensé que ça pouvait être toi alors que c’était logique. U colpu, le coup il venait de l’intérieur!… »
Hyacinthe remua la tête en poussant un petit soupir…
« ..Tu vois, dans toute cette histoire, on n’a entendu que les hommes. Ca crie, ça s’engueule au bistrot et puis ça rentre mettre les pieds sous la table. J’imagine que tu as voulu donner une leçon à ton mari… ».
« …Oui. Il n’y en avait plus que pour le football. Déjà que le vois peu avec le bar, au moins les soirs de match, quand tout le monde descendait à Bastia, on avait une soirée pour nous. Parfois on descendait manger une glace à la piazzetta près de la plage. Et là plus rien. J’étais plus bonne qu’à faire le ménage, à m’occuper de tout et sans guère de reconnaissance. On s’est expliqués et je lui ai dit. On va revenir comme avant. J’ai même appelé l’adjudant pour lui dire de ne plus s’en faire, qu’il ne se passerait rien de grave. Au moins les jours où il y a match à Furiani, je serai un peu tranquille. Vous continuerez. Et puis ça te fait plaisir, non Hyacinthe?… »
Le berger sourit largement et se leva. Un beau début de saison pensa-t-il en remontant vers le plateau. Comme le vent descendait, pour une fois, c’est ceux d’en bas qui l’entendirent chanter.

 

Approntati ô capraghju da lascià piaghja e calmana…

 

 


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Début de saison….16ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le soleil était un peu plus haut désormais. Pascal, Marco et Fanfan arrivaient ensemble avec la même mine. Une dernière macagne pour la route. En faisant semblant d’être aussi enjoués que d’habitude, pour aider Toussaint à partir.
Fanfan restait en Corse mais pas au village. Il y retournait quand même pour les congés et parfois en fin de semaine. Pascal et Marco qui vivaient comme Toussaint sur le continent repartaient le lendemain et le surlendemain. Une répétition en somme. Ils saluèrent Ange-Etienne qui repartait vers le bar. Il savait que la fine équipe ne tarderait pas à être mise au courant du retour matinal du décodeur et ne souhaitait pas plus que ça entendre les plaisanteries qui allaient s’ensuivre.
« …Ô Toussaint, tu nous quittes? Tu pars ou tu t’en vas?… »
Depuis toujours Pascal commençait de façon invariable son approche par cette plaisanterie. Il la faisait d’autant plus volontiers qu’il savait qu’elle allait lui revenir dès le lendemain, quand assis sur un muret identique, il tirerait le même museau devant une voiture chargée de valises toutes pareilles.
Toussaint savait tout cela. Il supportait bien le rite car le plaisantin au fond n’avait aucune envie de rire. De la même manière qu’en Corse on ne dira jamais qu’un enfant est beau pour ne pas lui porter le mauvais œil, et bien, on feint parfois de s’amuser pour mieux exprimer sa peine.
« …Moi, je pars mais il y a quelque chose qui est revenu cette nuit… »
« …Euh! L’intelligence à Gonthier?… »
« …Non, Pascal. C’est le tuner d’Ange-Etienne qui s’en est rentré chez lui après une nuit et un jour de vadrouille… »
La nouvelle méritait qu’on fasse un tour au bar histoire de voir la tête du patron et de la taquiner un peu, s’il était d’humeur. Ange-Etienne les attendait. Il les connaissait assez pour savoir qu’ils ne manqueraient pas une occasion de s’amuser un peu et puis de toutes façons, le matin du départ, ils venaient toujours boire un dernier café.
Ils s’accoudèrent au comptoir avec l’air prévisible de ceux qui savent mais qui attendent le moment propice. Après quelque propos d’une banalité outrée sur les orages en montagne, Marco finit par se retourner et embrasser du regard la salle du bar. Ses yeux flânèrent sur les tables, le pétrin. Il ne regarda pas la télévision mais en se retournant vers Ange-Etienne, il dit « …Alors, il paraît que Pomponette est rentrée… »
Pascal renchérit aussitôt dans un duo bien réglé « …Autant, si ton tuner, il a passé la nuit avec un autre, il te fait des petits et tu pourras faire un élevage… »
Le patron supporta en silence. Il haussa les épaules puis laissa tomber avec fatalisme. « …la télé, ô zitté, je vais la revendre. Cette hiver, puisque ça gêne quelqu’un, et bien on regardera griller les châtaignes et ceux qui veulent des informations fraîches, ils n’auront qu’à mettre le Corse-Matin au freezer… ».
Toussaint partit en fin d’après-midi. Pascal et Marco les jours suivants. Un lancinant coup de klaxon fut leur dernier adieu. Le village était vide. Les derniers touristes trouvaient sans peine à se garer. Ils n’avaient plus besoin de monter jusqu’à l’église. De petites troupes, sans enfants, descendaient au fleuve où les attendait une eau bien refroidie par les orages qui désormais éclataient chaque nuit.
Fanfan resta trois jours de plus, jusqu’à la rentrée. Puis comme les autres, il ferma la maison. La lourde clé en fer forgé qui pesait ses deux livres alla se nicher sous la grosse pierre près de la fenêtre de la cuisine. Il fit un dernier tour au bar. Il demanda à Ange-Etienne s’il était sérieux lorsqu’il parlait de vendre la télévision. Celui-ci sourit et répondit que non. Il ajouta néanmoins qu’il ne renouvellerait pas les soirées pour les matchs à domicile. Question d’ambiance rajouta-t-il. Cette nouvelle rassurante fut aussitôt communiquée à ceux qui appelaient du continent de temps à autres pour savoir comment le vent tournait.
Bastia ce soir là alla faire un méritoire match nul à Sedan. Ils étaient quatre ou cinq dans la salle en formation pré hivernale. Les vestes de treillis étaient de sortie car il faisait presque froid en sortant de la salle. Le lendemain, le boulanger ne passa pas car il avait repris le rythme de la morte saison, une visite tous les trois jours seulement.
C’est dans un village tranquille sous un soleil qui faisait encore des façons que les gendarmes arrivèrent en cours d’après-midi. Desagès et son acolyte s’arrêtèrent chez Ange-Etienne. Leurs haltes en automne étaient plus longues. Ils avaient moins de soucis. La terre et les hommes reprenaient leur souffle après deux mois d’été.
« …Je suis venu vous saluer Monsieur Ange-Etienne, une dernière fois. Je suis promu et je quitte la Corse… »
L’adjudant avait un sourire, un peu semblable à celui de Toussaint, Pascal et les autres quand ils montaient une dernière fois dans la voiture en direction du port. Le militaire semblait mélancolique lui aussi. Le patron faillit dire « …ça se fête… » mais se ravisa car cette invitation pouvait laisser croire qu’il se réjouissait du départ de l’adjudant. En fait, il pensait à la promotion. Le temps qu’il trouve la formule satisfaisante, Desagès avait repris la parole.
« …Il y a quelques jours que nous ne sommes pas montés jusqu’ici. Beaucoup de travail à la plage. Mais, s’il y avait eu quelque chose vous m’auriez appelé n’est ce pas?… »
Ange-Etienne n’était pas de ceux qui préjugent de la sottise de leur interlocuteur. En Corse, on sait qu’il faut déchiffrer ce qui est dit et que le dialogue est juste un paravent derrière lequel les choses importantes sont en attente. Celui qui énonce ces choses sait que celui qui les écoute va comprendre. La réponse doit être du même tonneau. L’adjudant connaissait à l’évidence tous les développements qui avaient animé la communauté.
« …Il y a eu des choses mais rien qui vaille qu’on vous dérange. Des affaires qu’on a réglées entre nous. Des enfantillages… »
« …Je comprends, du moment que vous avez retrouvé votre bien…et que le feu n’a pas été plus loin, c’est vrai que c’était sans importance.
Ange-Etienne sourit. Le gendarme était au courant de tout. Il leur proposa machinalement un café qu’à sa grande surprise les militaires acceptèrent. Ils allèrent même jusqu’à s’asseoir après avoir ôté les képis. Sans rien dire, il sortit même une bouteille de marc et arrosa le reste de café dans les tasses. Il ajouta en guise d’explication qu’une promotion ça se fêtait.
Desagès et Pekarski opinèrent et burent sans mot dire l’alcool de Patrimonio. L’adjudant regardait les montagnes sans rien dire, puis il se leva aussitôt suivi de son collègue.
« …Je suis affecté dans la Beauce. Ce ne sera pas pareil…Au revoir , Monsieur Ange-Etienne, j’ai été heureux de vous connaître… »
Il lui serra la main et se dirigea vers la voiture précédé par Pekarski. Alors qu’Ange-Etienne le regardait partir, il se retourna brusquement et dit « …A propos, on m’a téléphoné et la personne que j’ai eue au bout du fil m’a dit qu’il ne se passerait plus rien chez vous. J’ai cru comprendre que vous aviez eu une conversation. Donc, je suis tranquille. Portez-vous bien… ».
Ange-Etienne fut interloqué mais trouva la présence d’esprit de se forger un sourire d’initié. Bien sûr qu’il était au courant. Oui, il avait eu une conversation avec son tourmenteur. Le 4X4 des gendarmes avait à peine quitté la placette qu’il s’était précipité dans le bar, les lèvres en cul de poule et le front plissé.
Non seulement, on avait téléphoné aux gendarmes mais en plus, on leur avait dit qu’il ne se passerait plus rien et qu’il y avait eu avec lui une conversation. Nom de Dieu, avec qui avait-il parlé? Il se refit un café et tout d’un coup, un vrai sourire lui vint. Un grand qui se mua bientôt en un rire muet qui lui secouait les épaules. Bien sûr! Ce n’était pas si compliqué.

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Début de saison …15ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Toussaint se leva tôt le lendemain avec des idées noires. Il était le premier de la petite bande à rejoindre le continent. Tout le monde dormait dans la maison. Et même si d’aventure quelqu’un était réveillé, il aurait fait semblant de somnoler encore. Personne ne se serait hasardé à lui faire la conversation au moment précis où il apprêtait la voiture pour le départ.
Il expédia son café, debout devant la porte en s’emplissant le cerveau de souvenirs pour les dix mois à venir. Le torrent, les collines en face de la maison et sur la droite, les montagnes encore humides de la nuit. Toussaint soupira. Il ressentait une profonde tristesse, toujours la même depuis tant d’étés. Le pire c’est que cette tristesse l’étreignait à peine arrivé. Trois ou quatre semaines, ça pouvait sembler long et suffisant. Il s’en réjouissait d’avance. Mais, dès qu’il était au village, il commençait plus ou moins inconsciemment un compte à rebours. C’est bon, se disait-il, il me reste encore trois semaines, puis il raisonnait en jours, encore quinze puis dix. Il finissait par intégrer à ce funeste calcul le jour du départ, histoire de faire un compte rond. Puis, il comptait en heures. Et là ça allait très mal. Il faut dire que dès qu’il était revenu au village, jeunes et vieux lui disaient invariablement, tu ne restes que trois semaines, c’est court, tu pars déjà!. C’était leur manière à eux de lui faire sentir qu’ils l’aimaient, qu’ils auraient bien voulu qu’il reste toujours, mais ces réflexions lui cassaient le moral.
Il en était là, sous les châtaigniers, devant la vieille fontaine en regardant d’un air morose, la voiture bien chargée et parfaitement indifférente.
Il n’entendit pas Ange-Etienne qui s’approchait. Le patron du bar s’assit à coté de lui avec un « ..heu.. » chuchoté qui lui fit tourner la tête. Ange-Etienne qui avait connu, l’ambiance du départ, ne s’offusqua pas de l’absence de réaction de son interlocuteur qui scrutait à nouveau son véhicule. Le silence se prolongea un long moment. Ils étaient épaule contre épaule sans se parler mais en se disant tout.
Toussaint soupira pour la dixième fois de la matinée puis se tournant vers son voisin silencieux, lui demanda « …Ca va, toi?.. ». Lui ça n’allait pas, c’est ce que la question voulait dire. Ange-Etiennne, les yeux dans le vide, répondit que ça lui faisait drôle de voir le village se tarir. « …J’ai beau connaître ça tous les ans, je ne m’y habitue pas… ». Puis, il rajouta, en le regardant cette fois … »Toussaint, ce matin, en me levant, il y avait le tuner qui était revenu à sa place…comme tu t’es levé tôt, tu n’as remarqué personne près du bar?… ».
Malgré son spleen, Toussaint s’esclaffa. « …Ange-Etienne, on te fait vraiment tourner en bourrique! Non, je n’ai vu personne mais ça ne signifie rien, parce que ce matin, j’ai la tête à ces foutues valises… »
« …Oui, je m’en doute. Je connais ça. Mais, vous en pensez quoi vous autres, Marco, Pascal. Vous êtes du village mais vous vivez à l’extérieur, donc vous voyez les choses avec plus d’objectivité. Vous parlez plus franchement… »
Marco, Pascal, Toussaint, Fanfan. La fine équipe qui avait fait enrager le canton par ses plaisanteries, ses blagues nocturnes. Voilà qu’un ancien lui demandait son avis. Toussaint sourit, il avait donc sacrément vieilli.
« …Tu sais, Ange-Etienne, on en a peu parlé en définitive de cette histoire et je ne sais pas ce qu’ils en pensent. Moi, au début, j’ai cru que c’était une grosse macagne mais dès qu’on a cassé l’antenne, je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus sérieux.. »
Il s’arrêta de parler une minute ou deux puis reprit après avoir de toute évidence pesé les mots qui allaient suivre.
« …Tu as raison quand tu dis qu’on est à la fois dans et hors du village et que ça nous donne un peu de recul. Quand, on se retrouve sur le continent avec les autres, on ne parle presque que de ça. Je ne crois pas une seconde que ce soit Hyacinthe. Il est à l’ancienne. Ce qu’il a à dire, il le dit comme l’autre soir mais jamais il ne ferait un coup à l’appiatu, en douce. Ce n’est pas un mesquin… »
« …Je suis d’accord avec toi. Je suis même monté le voir pour lui demander s’il avait vu quelque chose. Il m’a répondu à sa façon qu’il avait vu mais je ne lui pas demandé quoi; Ca l’aurait vexé… »
« …Bon. Dans ces conditions, il faut chercher autre chose. Ce n’est pas un coup des nationalistes. Ils ont d’autres chats à fouetter et en général, ils ne tirent pas des coups de canon dans leurs propres batteries…Moi, je penserai plutôt à une affaire d’envie… »
« …d’envie?… »
« …Ecoute, on est entre nous. On peut parler. Tu sais bien que dans les villages, en Corse comme ailleurs sans doute, les gens, ils ont l’impression qu’il leur manque quelque chose si un autre réussit ou fait quelque chose de bien. Le pire c’est quand ils ne peuvent pas avoir, que c’est impossible d’avoir, ce que le voisin il a…Une voiture, tu peux en être jaloux et te guérir en achetant une plus belle. C’est de la jalousie et ça se soigne. Mais l’envie, c’est plus grave parce que tu ne peux pas obtenir plus beau et ça te ronge. Alors tu casses ce que ton voisin ou ton parent il a, et que toi tu ne pourras jamais avoir… »
« …Ce n’est jamais qu’une télé et une antenne. Tout le monde peut se l’offrir… »
« …Oui. Mais l’ambiance qui va avec, le fait que tu deviennes un peu l’âme du village, celui dont on parle, qui organise des choses auxquelles d’autres n’ont pas pensé, ça a pu en enrager au moins un… »
« …Je me serais fait un ennemi en quelque sorte?… »
« …Voilà…mais ce qui est dommage, c’est que je ne verrai pas la fin. Il faudra que j’attende que tu me téléphones pour me dire la suite… ».

Capicursura o auturnu, cume vo vulete!


 

 

 

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Début de saison…14ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!


Toussaint, Marco et quelques autres s’étaient donné rendez vous au cimetière pour enlever la fougère qui envahissait les tombes. Ils avaient travaillé depuis tôt le matin et maintenant que le soleil avait fait son apparition, ils s’étaient regroupés à l’ombre pour casser la croûte.
« …Il pleuvra plus tard aujourd’hui, la marine n’est pas encore prise… » Entre deux bouchées, Fanfan qui scrutait le ciel, rendit son verdict météorologique du jour. … »Tant mieux, comme ça, Marco pourra encore mettre le feu au pagliaghju sans que ça risque rien… » « …Arrête ô Pascal, parce ce qu’énervé comme il est Ange-Etienne, il a pas le goût à la plaisanterie… » Marco, accusé ouvertement donc obligatoirement innocent, car on ne tait que le nom des coupables, prit le temps de boire un demi verre de Gentile avant de faire part d’une déduction, tellement évidente, qu’elle les laissa tous bouche ouverte sur la tranche de coppa… » …hier soir, zittè, nous étions tous là haut à éteindre le feu. Moi comme vous. Et pendant ce temps, on ne pouvait pas voler le décodeur…donc, pour savoir qui a fait ça, il suffit de se rappeler qui n’était pas là… »…
« On y était tous Ô baulo… » C’était à la fois un cri du cœur et aussi une évidence. Tout le monde y était. Oui mais, si tout le monde y était, qui avait fait le coup… « …On va pas commencer jouer les gendarmes!… » Fanfan à l’évidence ne se sentait pas une âme de détective. « …Moi, dans la bousculade, je suis incapable de dire qui y était ou qui n’y était pas… » U Dragone avait raison. Personne n’avait fait attention à autre chose qu’au feu…Un long silence, le temps de finir la bouteille, fromage de Hyacinthe et oignon rouge, et comme tout le monde regardait le fromage, Marco dit… » Lui, il y était pas… » « Qui? Le fromage? » « Pascal, arrête cinq minutes, tu m’as compris, tu m’as… »
Il se levèrent et redescendirent vers les maisons. En se quittant, Toussaint revint à ce qui en définitive était l’essentiel… »…Les enfants, je rentre à Paris dans trois jours…j’aimerais bien voir un dernier match…alors on descend à Furiani pour Rennes ou pas?… »
Ils allèrent à Furiani. Trois voitures pas pleines. Il y avait déjà moins de monde au stade. On se garait plus facilement. Pas d’embouteillages à partir de Cazamozza et pas de perte de temps pour couper la nationale. « …On est entre nous … »dit Hyacinthe en regardant les tribunes a moitié pleines. Les drapeaux à tête de Maure étaient concentrés sur une tribune d’où partaient aussi quelques rares pétards… C’est marrant dit Toussaint, la saison ne fait que commencer et tu as l’impression qu’elle se termine. Bientôt, il n’y aura presque plus personne. Finalement le stade et la Corse c’est pareil. On n’y est nombreux que l’été. C’est triste mais les supporters sont plus nombreux loin que près. Attends, tu verrais quand il y a le libecciu l’hiver. Il passe dans les tribunes vides. La haut c’est pareil, regarde , si tu viens l’hiver pour un enterrement, tu n’as qu’une envie c’est de repartir. Les maisons, elles te regardent avec des reproches. Toutes fermées, humides avec des traces noires. Ils éclairent la nuit, on se demande pour qui. Oh, le tacle! L’arbitre, tu dis rien? O Sarsone, Ô vendu…Et lui, il se bouge…cette charnière, elle se traîne.
De longues balles par dessus la défense corse faisaient passer un frisson nerveux entre les épaules. Il y a des soirs comme ça où rien ne va. Pas de rythme, une circulation de balle approximative, les joueurs qui ne se trouvent pas et qui se regardent les bras ballants après une mauvaise passe au lieu de se remettre à courir pour récupérer le ballon.
Dans ces cas là, il arrive ce qu’il doit arriver. Un latéral qui monte, un centre flottant, une vive contre-attaque et des bretons qui se congratulent dans une ambiance de vêpres.
Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. La mi-temps fût morne à peine égayé par un fantaisiste qui affublé d’un masque de plongée, d’un tuba et de palmes entreprit d’escalader les filets de protection. Encore un qui veut passer à la télévision, laissa tomber Fanfan.
Le seconde mi-temps ne réconcilia pas les supporters avec leur équipe. Des efforts, oui, mais désordonnés, de longues balles devant qui aboutissaient sur la tête des arrières adverses. Pas d’imagination, des coups de queue de poisson dans le salabre mais rien de construit… Le second but rennais, en tous points semblables au premier relevait de la catastrophe annoncée.
Bastia sur un coup franc lointain, réduisit bien le score mais il était trop tard pour espérer changer le cours des choses. Au demeurant, une partie de la foule avait commencé son reflux vers les parkings. Seule une faible clameur, avertit les déserteurs que l’équipe corse avait réduit le score.
Les villageois restèrent jusqu’au bout. Histoire de donner un dernier coup d’œil circulaire à Furiani dont ils allaient être privés une année durant. C’est beau quand même dit Hyacinthe…c’est vrai que c’était beau, une lune toute ronde, indifférente aux victoires et aux défaites, les premiers contreforts, et plus loin en devinette, les étangs et la mer.
Les kilomètres sont plus longs quand on doit commenter une défaite. Les sujets de conversation manquent. A part les conducteurs, tous étaient assoupis sur la quatre voies qui va de Ponte-Leccia à Ile-Rousse. Après Calvi, les cahots de la départementale firent ensuite office de réveil mais on ne parla pas davantage. L’arrivée se fit dans le silence.


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Début de saison…13ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!


« Puttana…ci è u pagliaghju chi brusgia… » Ange-Etienne avait dévalé du toit et courait dans la rue montante en criant pour rameuter de l’aide. Il faut croire que les habitants ne s’étaient pas couchés ou avaient fait semblent de le faire en attendant la suite des événements, car, alors qu’il était presque minuit, ils se trouvèrent une vingtaine déjà habillés à le suivre de près. De fait, ils arrivèrent sur ses talons.
Ange-Etienne s’était rué à l’intérieur du pailler. En temps ordinaire, le petit bâtiment était vide. Là, quelqu’un y avait entassé des vieux papiers et des branchages. Un dispositif rudimentaire de mise à feu retardée avait bien fonctionné. Une bougie plantée dans une bouse sèche. La chandelle se consume et le feu prend dès que la flamme atteint la bouse. Placé au milieu de la pièce unique, le brasier brûlait clair. Le patron du bar s’était rué sur le feu qui commençait à lécher les poutres de genévrier.
Il donnait de violents coups de pieds pour disperser le bois qui se consumait et se trouvait du coup tout environné de flammèches. La fontaine n’était pas loin. Un vieil arrosoir qui traînait dans un coin sauta de mains en mains et bientôt le sol était détrempé et noirâtre. Le feu avait vécu…
Toussaint « U guagnese » qui arrivait après la bataille pour avoir ménagé son souffle dans la courte montée, émit le premier commentaire… » …C’est quoi cette connerie? C’est des coups à faire brûler le village… » Il savait bien que le village ne risquait rien. Mais il avait choisi en fin stratège de dramatiser le débat. Comme ça, en réponse il savait qu’il obtiendrait des propos mesurés. S’il avait débuté comme la logique l’aurait commandé en disant que tout cela n’était pas bien grave, il était assuré d’une relance dramatique sur le thème d’une action criminelle qui aurait carbonisé la vallée et provoqué la ruine certaine et peut être même la mort des habitants.
Marco qui connaissait son malicieux comparse, accepta tacitement de jouer la partition… »…Va, avec ce qu’il a plu aujourd’hui, tout est trempé, ça ne risquait pas de prendre… » ce sur quoi Pascal rajouta qu’en laissant un arrosoir sur place, le pyromane avait même prévu de quoi combattre le sinistre. Jamais à court de macagna, il alla jusqu’à se demander si l’incendiaire n’allait pas envoyer un tracker.
U Dragone, Fanfan qui goûtait peu l’humour nocturne et post combustion, revint aux faits « …en attendant, si Ange-Etienne, il ne veillait pas ce soir, personne ne sait où le feu il aurait fini… »…
Toussaint acquiesça et fit remarquer de manière judicieuse que c’est sans doute parce que Ange-Etienne veillait que le feu avait été justement mis là, à un endroit où il ne pourrait pas manquer de le voir, juché sur son toit, comme prévu et annoncé urbi et orbi.
Ange-Etienne eut une légère moue mais ne fit aucun commentaire. Il ne voyait pas très bien ce que cela signifiait si ce n’est que dans l’impossibilité de s’approcher du bar, l’énergumène nocturne avait décidé de l’emmerder à distance. Il invita la petit foule présente à le rejoindre au bistrot pour boire un coup, manière de remercier les pompiers volontaires. C’était là son devoir…
Ils redescendirent en petits groupes sans trop discuter et s’attablèrent en terrasse. Personne ne demanda de café, car tous savaient que ça obligeait Ange-Etienne à rallumer le percolateur. C’était trop de dérangement, pensez. Non, de l’eau ou quelque chose de frais merci. Il faisait doux. Le ciel était parfaitement dégagé et on distinguait parfaitement la Voie Lactée…Demain, il y aurait encore des nuages. Août veut ça… Mais pour le moment, c’était une nuit d’été.
Marc qui donnait un coup de main pour descendre les bouteilles, émit tout à coup, un petit sifflement surpris….il toucha le coude d’Ange-Etienne puis du menton, très discrètement lui désigna le fond de la salle restée obscure… Le patron du bar s’approcha et comprit immédiatement que la télévision avait bougé. Il alluma du coup les néons, attirant par la même ceux qui étaient restés à l’extérieur et qui comprenait devant ce luxe de lumière, que quelque chose se passait à l’intérieur.
C’est entouré de ses clients noctuelles agglutinés autour des lampes, qu’Ange-Etienne rendit son verdict… »On a essayé de la bouger mais comme elle est trop lourde, ils n’ont pas réussi à la prendre… le feu, c’était pour me faire sortir du bar et me voler la télévision… »
C’était rassurant. Un mobile et une explication logique. Le public en aurait presque ronronné d’aise . Enfin, quelque chose de clair. Ange-Etienne eut un petit rire… »…Un grand écran ça pèse…ils l’ont eu où je pense… »
Pascal qui décidément ne pouvait se départir de son esprit moqueur, posa avec la voix comme une flûte, la question qui allait ôter net toute envie de rire à leur hôte… » Et sans tuner, elle marche la télévision grand écran?… » Ils se retournèrent tous d’un bloc….le décodeur avait disparu emportant avec lui le match contre Rennes…
Ange-Etienne fut grand…aux yeux du village, il venait d’être roulé dans une farine bien blanche. Berné. Il devait avoir une réaction à la hauteur de l’événement. Il respira et respira encore en regardant la marque qu’avait laissé l’objet disparu dans la poussière, légère, déposée sur le meuble, puis il dit avec un calme décalé « …Si j’attrape celui qui me fait tout ça, je le tue… »
Fin de partie dans le bar. Les joueurs quittent le stade. On ne se congratule pas et on fera la causerie d’après match, demain, après un petit décrassage d’une nuit.



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Début de saison…12ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Dans la vallée, le temps changeait tout doucement. Le matin, en se levant, les villageois voyaient les sommets couverts de nuages noirs qui résistaient de plus en plus tard. Le tonnerre se faisait entendre jusqu’en milieu de matinée. Puis le soleil revenait. Il faisait toujours très chaud mais un vent un peu humide descendait de temps à autres faire bouger les parasols du bar.
Un jour, sans que ça ne surprenne personne, le ciel était pris du coté de la mer. Les pins bougeaient en cadence et pendant une heure ou deux, les optimistes purent penser qu’il ne pleuvrait pas. Ils n’avaient pas de mémoire ou alors n’étaient pas d’ici. Car, quand la marine est noire, que les nuages qu’elle crache galopent vers leurs cousins des crêtes, il pleut toujours.
D’un coup, le vent se calme et il ne se passe rien pendant de longues minutes. Puis les feuilles du cerisier se mettent à frissonner. L’air est plein d’eau. Il ne pleut pas encore mais ça sent déjà l’humide. Une première goutte, large et gourmande, tombe. Puis très lentement une autre. Puis une suivante. Et les sommations passées, l’orage envoie l’artillerie lourde. Des cascades s’abattent sur les lauzes, rebondissent sur les murs, courent dans les carrughji. Le vent ouvre les volets et visite les maisons. Il faut allumer les lampes. L’obscurité est là qui fait peur aux gamins planqués sous les escaliers. Tu te souviens quand les plombs sautaient. Lorsque la foudre a tué le berger a Petra Pinzuta. Les histoires d’orage font plus peur que la foudre elle même qui tombe là haut où les deux rivières se rejoignent à une heure de marche du village. Si proche pourtant.
Après, ça s’arrête. Le premier orage de l’été est bref. Un apéritif, juste manière de dire qu’il s’installe et qu’il reviendra. Quand il est parti, c’est du tout bon. Rien que des odeurs fortes et une impression de grand nettoyage. Le vert est vert, on l’avait oublié. Les oiseaux et les enfants sortent en même temps. Direction, chasse aux vers pour les uns et le premier virage pour les autres d’où on voit le mieux la montagne et le torrent car il faut maintenant guetter la crue. Il y a des cascades qui se sont formées dans les calanches. Les ruisseaux ont grossi. Personne n’ira se baigner aujourd’hui. Ni demain, dans une eau de crue, les vieux ont transmis le message, on peut attraper les fièvres de Malte.
Ange-Etienne aimait le premier orage, fidèle au rendez-vous. Il ne lui en voulait pas de signaler la fin de l’été toute proche. Ce jour là, en particulier, il était de plus content de savoir qu’il allait monter la garde dans la fraîcheur. Demain, Bastia accueillait Rennes et s’il avait bien décodé les indices, son visiteur tenterait quelque chose cette nuit pour empêcher que la soirée se déroule comme prévu.
L’obscurité tombait vite désormais. Il décida de s’installer sur le toit dans un recoin d’où il voyait presque toutes les maisons du village et loin aux alentours. Les gens qui savaient ce qu’il avait projeté ne s’étaient pas montrés surpris de le voir fermer le bar de bonne heure. Contrairement à ce que la rumeur avait prévu, il n’avait pas pris son fusil avec lui. Ange-Etienne n’était ni violent ni inconscient. Ce qu’il souhaitait, par dessus tout, c’est que son avertissement largement diffusé, dissuade qui que ce soit de tenter quelque chose. Et si ça ne suffisait pas, si l’enragé se présentait malgré tout, il pensait qu’une bonne rouste suffirait à le dissuader de manière définitive. Il sourit. Etait-il encore de taille?
Dans le temps, personne ne lui aurait manqué de respect. Ange-Etienne était craint. Il ne se laissait pas toucher le nez. Bah…il verrait bien. En face de lui, le maquis ne bougeait pas. La lune promenait des ombres derrière les arbustes. En définitive, il était content d’être là. Quand il était gamin, il adorait s’allonger la nuit, dehors, sans rien faire. Respirer le moins possible, écouter la torpeur qui petit à petit s’emparait du village et de ses alentours. A l’époque, il y avait toujours un renard qui vocalisait à un moment ou à un autre, histoire de tester les chiens. C’était alors parti pour un long moment d’aboiements furieux, suivi de jappements de douleur consécutifs au coup de pied assené par le propriétaire qui ne souhaitait que dormir. Le patron du chien était ingrat. Le renard lui repartait, insolent et ravi. Il se payait de ses nuits de disette. Ses cousins de niche avaient de la soupe mais ils le payaient cher.
Plus tôt dans la saison on entendait le coucou…puis la chouette. Il se disait qu’elle annonçait la mort. Ange-Etienne aimait bien les chouettes avec leur vol glissé. Il pensait à toutes ces choses qu’il n’entendait plus. Les renards arpentaient les décharges et n’houspillaient plus les chiens. Les poulaillers étaient vides, qu’auraient-ils eu à faire dans un village où il n’y a plus de poules. La soirée avançait tout doucement. Il savait qu’il était onze heures environ rien qu’à la fraîcheur du vent. Les cistes bougeaient. La lune éclairait. Les grillons grillonnaient. Les choses étaient en place.
Ce fut une odeur qui attira son attention. Juste avant qu’il distingue une lueur dans le pagliaghju, le pailler, que lui avait vendu Pierre-Marie son susceptible cousin qui était parti s’établir à Sartène -où à ce qu’on dit, il avait épousé une batave- après une énième dispute. En fait, Ange-Etienne avait du voir avant de sentir mais l’image était tellement évocatrice, que de manière simultanée, elle avait suscité en lui la sensation olfactive de l’herbe brûlée. Il y avait le feu .

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