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Début de saison…11ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

L’adjudant et son gendarme l’attendaient sur la placette à l’ombre de l’orme, près de leur véhicule. Cette vision contraria beaucoup Ange-Etienne. Il était censé avoir été à la gendarmerie. Son excuse était éventée. … »…Bonjour…on m’a dit que vous étiez parti pour la brigade…on a du se croiser dans la vallée… on s’est arrêté souvent pour descendre dans le fleuve…c’est ce que j’ai dit à votre neveu… » Bien l’adjudant. Il sauve la face…. »Oui, j’ai vu votre voiture engagée sur une piste. J’ai compris que vous n’étiez pas à la brigade alors je me suis arrêté un peu plus bas pour me reposer au frais… »
L’adjudant en leva son képi, l’utilisa un instant comme un éventail puis reprit avec une certaine fermeté…. » Monsieur Ange-Etienne, ici personne ne parle mais tout ce sait. Il se trouve que j’ai été mis au courant de votre projet de monter la garde. J’aimerai que vous fassiez attention à ne pas faire de bêtises. Pas de violence Monsieur Ange-Etienne, pas de violence…Pour moi, il ne s’est encore pas passé grand-chose même si l’utilisation de plastic, c’est en soi assez grave. Le coup de l’antenne, c’est une atteinte aux biens. Mais, ça reste dans les limites. Maintenant s’il y a des coups ou même des menaces, ça change tout, vous me comprenez… »
Desagès marqua un temps de silence. Il était écouté avec une attention tellement soutenue qu’elle démontrait que son intervention était suivie en la forme et en la forme uniquement. Regarde, gendarme comme je t’écoute, avec les oreilles et les yeux grand ouverts. Parle toujours gendarme, dès que tu auras franchi le tournant, je ferai ce qui me chante. Voilà ce que lui disait sans parler l’homme qui lui faisait face.
« …Ecoutez…on m’a dit que des noms commençaient à circuler…je ne vais pas faire le tour du canton pour me couvrir de ridicule…dites moi, au moins en gros, qui je dois aller voir pour que ça s’arrête… » Pour en arriver là, le militaire devait vraiment avoir envie que cette histoire finisse.
« …Adjudant, des noms ici, il n’en circule pas. Ceux qui prétendent le contraire ont menti. Je n’ai pas d’idée. Aucune. Et si j’en avais une, je ne vous le dirai pas. Les affaires comme ça se règlent entre nous. Il n’y a pas besoin de la justice. On n’en a jamais eu besoin et ce n’est pas moi qui vais commencer à déblatérer avec les gendarmes… »
L’adjudant n’était pas surpris. Au moins, il aurait essayé. « …Bien sûr, ce n’est pas une affaire d’état… » .Il fit un bref salut et remonta dans la voiture avec son collègue. Fidèle à ses habitudes, Pekarski l’entreprit, aussitôt la vallée disparue vers l’arrière…
« …Franchement, je ne comprends rien. L’autre au téléphone, il nous a dit que tout les hommes du village pensaient au berger. Pourquoi, il nous dit rien, lui? C’est le premier intéressé tout de même…il se croit encore dans le milieu ou quoi… on ne balance pas… »
« …Pekarski…faites attention aux clichés. Ange-Etienne n’a jamais été dans le milieu. Un corse qui vit sur le continent n’est pas obligatoirement un fonctionnaire des douanes ou un maquereau. Quand il est parti, il s’est engagé aux chantiers navals de La Seyne, puis s’est installé à son compte et quand son oncle a commencé à aller mal, il a vendu son affaire de chaudronnerie industrielle et a repris le bar… c’est tout… »
« Mettons…alors pourquoi cette foutue loi du silence? On observe tout et tout le monde mais on dit rien. Si demain, il y a un drame et qu’il flanque un coup de fusil à un type grimpé sur son toit, on va parler de fatalité. Ce serait tout de même mieux qu’on intervienne avant… »
Tout en conduisant, Desagès rassemblait ses mots…il pinçait sa bouche et plissait les yeux …il voulait être convaincant… »…Vous avez raison. Mais, vous vous trouvez par les hasards de l’affectation, au beau milieu d’un département qui ne fonctionne pas suivant la logique des gendarmes …Il faut tenir compte de leur histoire…La Corse a toujours été rétive à l’autorité de l’état. Ils sont tellement attachés à leur liberté qu’ils sont capables de se nuire pour braver un interdit. Vous avez traversé Bastia? Bon, personne ne respecte les espaces de stationnement. Résultat, on ne circule plus. Mais, il n’empêche que les mêmes qui se plaignent des embouteillages sont ceux qui laisseront leur voiture en triple file pour aller prendre le journal ou saluer un ami. … »
Pekarski le regardait avec un certain étonnement. C’est un discours factieux disaient les yeux du gendarme. Sentant le trouble de son subordonné, Desagès reprit… »…Je ne dis pas que c’est bien, j’essaie de comprendre. Pendant des siècles, il y a eu des occupations successives et les différentes puissances qui se sont succédées ici, n’ont pas envoyé la crème des administrateurs. Face à une justice corrompue, les insulaires ont pris l’habitude de se méfier et de régler leurs affaires par eux même. Le problème, c’est que celui qui fait une connerie se sent protégé par ce principe. L’impunité en définitive, c’est bien pour les costauds et les méchants… »

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Début de saison…10ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le café était chaud mais avant de prendre le bol que lui tendait le berger, Ange-Etienne alla vers le tuyau qui crachait l’eau de la source captée un peu plus haut. Il bût plus que nécessaire, tout au plaisir du jet froid au goût de mousse, de fer et de caoutchouc. Il y avait bien longtemps qu’il n’était pas monté jusqu’ici. Le père à Hyacinthe surnommé Pipo était encore vivant. On venait chercher le fromage et parler un peu. Il avait été conscrit avec l’oncle mais n’abordaient jamais le sujet des tranchées. Leurs conversations tournaient autour des affaires de terrain, de bornage ou bien ils s’inquiétaient de la santé des troupeaux. La guerre, ils y pensaient sans doute, mais ils l’avait enfouie.
« …Il m’était venu l’idée de descendre faire un tour à la plage pour me changer les idées puis en passant près de la piste, j’ai eu envie de monter en promenade jusqu’ici… »
Hyacinthe laissa le temps nécessaire pour l’atterrissage du discours introductif… » Oui, j’ai aperçu ta voiture qui partait. Après le chien a grogné mais je pensais pas que ce serait toi. Plus personne ne monte par l’ancien chemin de ronde…j’ai cru à quelque touriste égaré ».
Le berger savait bien entendu que son visiteur avait fait ce détour pour ne pas être aperçu. Il attendait la suite… »En tout cas, ça me fait plaisir d’être monté jusqu’ici. On y a toujours été bien. En bas, on étouffe et toi tu as toujours de l’air… »
« …C’est vrai…c’est toujours une corvée de descendre. Trop de chaleur et trop de monde. En vieillissant, je deviens sauvage… »
« …Tu vois tout d’ici… du fond du village jusqu’à la dernière maison. Il n’y rien qui t’échappe… »
« Non, si je regarde, je vois tout… mais je ne suis pas tout le temps à regarder… »
« …Ecoute Ô Hyacinte, on se connaît depuis qu’on est tout petit. J’ai toujours eu de l’affection pour toi, tu le sais. On est même un peu parent. Alors, je voudrais te dire les choses franchement. En bas, où ils ont toujours quelque chose à dire, il s’en trouve pour penser que c’est toi qui me fait des embrouilles…moi, j’aimerais autant que tu me dises ce qu’il en est…parce que à parler vrai, je te vois pas faire ce genre de choses, monter sur les toits, casser et tout le reste. Ce n’est pas dans notre mentalité… »
Le berger qui avait fini son café, regarda le fond de sa tasse puis son chien affalé à l’ombre puis enfin son interlocuteur… »Qu’est ce que tu veux que je te dise? Tu le sais que je n’y suis pour rien. Parce qu’on te casse l’antenne, ils pensent que c’est moi. Aouh… ils ont rien compris à ce que j’ai dit alors… les choses avancent et je les supporte. J’ai dit que ça me faisait de la peine de voir qu’on se privait de la sortie, mais de là à saboter ta télé…En prenant de l’âge, j’ai compris que ça ne servait à rien de se lamenter. Les choses sont ce qu’elles sont. J’ai dit ce que je pensais mais j’ai rien fait de plus. Ton antenne et ta télé, elles sont dans le paysage maintenant comme le goudron et l’électricité. Et elles vont y rester… »
« …Oui…je me doute que tu n’y es pour rien. Mais, comme tu vois tout…je me suis pensé que tu pourrais peut être me dire, me donner une idée de qui fait ça…pour lui éviter de prendre un mauvais coup parce que là ma patience, elle est à bout… »
« …Je vois tout…c’est sûr…mais je ne regarde pas tout le temps. Et puis, tu sais bien que je ne vais rien te dire. Ange-Etienne, celui qui a fait ça, j’ai mon idée dessus…c’est quelqu’un…comment dire d’absent…à qui tu ne penses même pas…alors tu réfléchis et tu vois, toi, qui ça peut être… »
Il savait donc pertinemment qui était le fauteur de trouble mais comme c’était prévisible, il ne le dirait pas. Un vrai mirador cette bergerie. Hyacinthe avait du tout observer. .levé tôt le matin, couché tard et parfois même en train de veiller la nuit… » …Tu ne dors jamais!… »
Le berger qui avait suivi le cheminement des pensées de son visiteur, sourit légèrement et répondit qu’il dormait peu en effet… Ange-Etienne s’était levé. Il ne faut pas trop allonger une visite. L’hôte ne dira rien même s’il a quelque chose d’urgent à faire. Il faut savoir partir au bon moment. « …Bon, merci pour le café…je m’en redescends…ça m’a fait plaisir de monter ici…ça m’a rappelé des choses…ça n’a pas trop changé… » Hyacinthe lui sourit « …;tempu e tempi…repasse quand tu veux, quand la saison sera plus calme…autant un matin on monte aux pigeons… »
Un dernier signe de la main et Ange-Etienne attaqua la descente. Il ne remonterait pas bien sûr. L’affût aux ramiers sur la crête, ce n’était plus de son âge et de toutes façons des ramiers, il n’en passait plus guère.


Piu bella bandera!!

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Début de saison…9ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Les jours se suivent et se ressemblent au village. En apparence. Les estivants qui font une halte voient des rues assoupies sous une chaleur blanche. Des volets qui sont fermés à l’heure de la sieste et ils entendent lorsque la fraîcheur revient, des conversations qui paraissent identiques aux tables de la terrasse. C’est une illusion. Les gens ne sont pas les mêmes. Leur existence évolue au gré des petites nouvelles et des grands malheurs. La lumière qui tremble aujourd’hui près de l’église n’est pas la même qu’il y a deux jours. Cette maison est fermée alors qu’hier des draps pendaient sur un fil dans le jardin. L’ombre des châtaigniers est plus fraîche et si les moineaux reviennent en bande à la même heure pour se nicher, leur arrivée ne se fait plus dans la lumière du jour. La lumière, elle est peu plus grise, juste un peu. Assez pour que les observateurs habitués sachent que l’été tourne.
Des nuages tout ronds s’accrochent au sommet. Il y en avait un la semaine dernière. Il a réuni sa famille désormais. Ca fait une crème rosâtre. Et hier, en fin d’après-midi, l’orage est venu en montagne. Les enfants, faites attention à la crue, ont dit les mères et les tantes, tout comme l’an passé. Les enfants ont répondu ce que répondaient leurs aînés. On connaît la rivière, ne vous inquiétez pas puis ils sont descendus en bande, garçons devant, filles derrière, jusqu’au fleuve.
Des journées comme ça, Ange-Etienne en avait connu des dizaines. Il était partagé entre le bonheur d’être là dans une chaleur émolliente et la tristesse de savoir que les choses ont une fin. Il doit y avoir d’autres endroits dans le monde où on ne peut pas être parfaitement heureux. Ils doivent alors ressembler à la Corse. Des paysages trop lourds, trop significatifs pour qu’un homme ne se sentent pas écrasé par le sentiment d’être en trop. Des terres d’exil aussi, où on connaît le prix des moments qui se savourent parce qu’il sont toujours suivis du départ. Une île obligatoirement.
Ange-Etienne se secoua. Il avait annoncé qu’il monterait la garde mais n’espérait qu’une chose, c’est que l’annonce de cette mesure dissuade de venir, celui qui à deux reprises, avait gâché sa tranquillité. Il appela son neveu et lui proposa de tenir le bar pour l’après-midi prétextant que les gendarmes lui avaient demandé de venir signer la plainte. Il ne voulait pas qu’on le voit monter directement chez le berger. Aussi, il prit sa voiture et quitta le village. Après quelques hectomètres, il gara son véhicule en l’engageant dans une piste pare-feu et à partir de là, il rejoignit après une brève incursion dans les cistes collants, le chemin de ronde qui en contournant le village, le mènerait chez Hyacinthe.
Il était certain de ne rencontrer personne. A l’heure la plus chaude, les villageois ne marchaient pas. Il fallait être un touriste pour affronter le soleil. Le soleil n’est pas un ami. Il est là, point à la ligne. On s’en accommode, on s’en sert mais si possible on évite de lui présenter l’échine au moment où il règne, bien joufflu, bien gris dans un ciel tout pâle. Les gosses étaient au fleuve et ceux qui chassaient les lézards pour appâter les lignes de fond à anguilles, maraudaient plus haut vers le cimetière. Le chemin était plus long, mais il ne voulait pas être vu.
Une heure de marche. Ange-Etienne mesurait à son pouls surpris la perte de forme. Il y a bien des années, il montait ce raidillon au trot quelle que soit l’heure. Plus haut, il y avait un poste pour la battue sur un amas de rocher. Il y avait passé des heures. Le sanglier pouvait passer à cet endroit. Il fallait donc un tireur. Mais les probabilités étaient faibles. C’est donc là que les chasseurs confirmés mettaient les débutants. Lui, aimait bien ce coin. Personne ne le voyait. Il regardait les maquis, les montagnes au-dessus de la pinède. Il attendait qu’un double coup de fusil marque la fin de l’expédition. Le cochon avait été tué ailleurs mais lui avait passé un bon moment tout seul. Il était amoureux à l’époque. Une fille du village. Elle ne voulait pas de lui. Là, au poste, il refaisait sa vie. C’est entre ses blocs de granit, allongé sur le dos qu’il avait décidé de partir sur le continent.
Un jour, le sanglier avait déboulé.
Ange-Etienne avait entendu le bruit du galop et des arbousiers qui cassaient au passage de la bête. Un grognement très bas aussi puis des pierres qui roulaient juste devant lui. Il avait hésité quelques secondes puis avait décidé de tirer. Le cochon avait été arrêté net, les deux pattes de devant s’étaient pliées sous lui et emporté par l’élan, il avait fait une ultime roulade. Comme un sanglier fauché en plein vol, avait dit un jour Gonthier qui décidément n’en ratait pas une.
C’en avait été fini de son poste tranquille. Auteur d’un joli doublé, il avait rejoint la confrérie de ceux qui ne gâchent pas la chevrotine et s’était vu attribuer des emplacements plus avantageux. Mais, il ne pouvait plus rêver. A portée de voix des autres chasseurs, il entendait leurs commentaires pendant que les chiens donnaient de la voix sur la crête. Avec le recul, Ange-Etienne, qui n’avait jamais dit à personne qu’il avait un instant hésité à tirer, pensait que pendant ce bref instant où il avait eu le choix, il avait dû comprendre qu’en tuant le sanglier, il perdait quelque chose.
En fait, il avait continué à chasser mais de moins en moins. Il aimait roder dans le maquis, être excité par le bruit de la chasse mais l’amas de chair plein de sang, était un aboutissement qui ne lui convenait pas. Il aurait voulu que l’instant qui précède celui où on tue dure toujours. La fin du cochon marquait trop, de façon tellement visible, ce qu’était la mort, que ça lui était pénible.
Il pensait à tout cela en abordant la pinède où alors qu’il était gamin, il montait avec son oncle chercher les champignons safranés. De beaux champignons vert de gris et qui saignaient eux aussi quand on les entamait d’un coup de canif. Sa mère et sa tante les mettaient en conserve avec de l’huile d’olive balanine, de la bonne, d’avant les grands incendies. L’oncle en gardait quelques uns pour faire une omelette les soir même, bien baveuse, avec de l’ail. L’omelette et les champignons, c’était octobre humide. Il sentait l’odeur juste comme ça, rien qu’en y pensant. Il aurait bien aimé avoir un fils pour lui apprendre les safranés, les châtaignes et les truites du ruisseau juste cent mètres plus haut. Tu glisse la main sous la pierre, tu la caresses et deux doigts dans les ouïes, tu la sors.
En définitive, la montée vers la bergerie lui avait paru courte. Son souffle était, un peu, revenu. Hyacinthe l’attendait. Le chien avait du aboyer. Le berger n’était pas surpris de la visite. Pas troublé non plus. Ou en tous cas, il imitait bien.
« …Heu Hyacinthe… »
« …Ho Ange…tu as senti l’odeur du café?… »

Ricordu!

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Début de saison…8ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le mois de juillet touchait à son terme. Les enfants pâlots et un peu grassouillets du début des vacances étaient désormais aussi noirs et secs qu’une branche de ciste après le feu. Des heures de cavalcade dans le village et de baignade dans le fleuve avaient transformé les gamins. Ils avaient même pris l’accent et ponctuaient leurs phrases  d’expressions locales… Le moment était venu pour eux de repartir. Il fallait laisser la place à une nouvelle cargaison de petits exilés qui devaient bronzer à leur tour.
Le jour avant, le père préparait la voiture. Il mettait la galerie en pestant. Comme d’habitude ils allaient repartir plus chargés qu’à l’aller. Les enfants raisonnaient « en dernier »…
Le dernier plongeon, la dernière promenade au fond du village pour se faire peur près du cimetière, la dernière glace… Puis, pendant que les parents chargeaient le break, valises, glacière pour le fromage, on glisse dans les interstices les canistrelli apportés par les tantes, et la monnaie du pape pour faire des bouquets dans le salon, la monnaie du pape qui battait au vent du voyage en perdant ses yeux et qui faisait enrager le conducteur.
Un moment peu plaisant en vérité. On embrasse les voisins, à l’année prochaine, puis les parents, on ne dit rien, puis on finit par le père et la mère si par bonheur, ils sont encore vivants. Portez-vous bien. Il y aurait tant de choses à dire à ces petits vieux qui vous serrent. Tout ce qui n’a pas été dit jusque là. La peur de ne pas les revoir. L’amour qu’on leur porte. Mais on ne dit jamais rien. Deux baisers de plus que d’habitude, la gorge serrée, le conducteur qui monte dans la voiture car il ne faut pas rater ce foutu bateau, putain de mouchoirs qui s’agitent, et au dernier tournant, devant la première et dernière maison du village, un long coup de klaxon pour la dernière silhouette, toute menue qui n’a pas bougé. Et puis, quelqu’un se mouche et c’est fini jusqu’à l’année prochaine… si Dieu le veut…
Ceux d’août arrivent à peu près en même temps. Ils sont blancs et excités et contents d’être là. La pinède ronfle sous la chaleur. Le fleuve roule moins d’eau. Ils dépoussièrent à leur tour la maison et refont le parcours des condoléances. Encore un mois. Le village vit encore. Un peu. Mais on n’y pense pas.
Ange-Etienne avait fait réparer l’antenne. Aussi, une assemblée nombreuse et passionnée avait pu suivre le deuxième match de Bastia à l’extérieur. L’équipe corse qui perd peu à domicile est friable lorsqu’elle s’éloigne de Furiani. Sous les hurlements de dépit des spectateurs, la défense en ligne… »…et pourquoi, cette chèvre d’entraîneur il fait jouer la ligne!… », était souvent prise en défaut par les attaquants nantais. Un à zéro à la mi-temps. Même pas de nantais ou assimilé dans les environs pour se faire passer la rage. Le breton est chose rare dans nos contrées. L’arbitre avait été correct. Aucune circonstance atténuante. L’équipe corse était mauvaise. Un point c’est tout. Un quart d’heure de pause à refaire les équipes et c’était reparti. Sur une action qui ne ressemblait à rien, les bastiais égalisèrent dès la reprise. En sautant sur sa chaise, Marco heurta le râtelier et proféra pendant de longues minutes des hurlements convaincus où se mêlaient joie chauvine et douleur sincère. Un match nul à tenir. Quarante minutes, puis trente cinq et l’entame du dernier quart d’heure et « Merda… » Tous ensemble, unis dans un même cri, un même geste, tous balancés à l’arrière des chaises…Nantes reprenait l’avantage sur une frappe lointaine d’un milieu de terrain laissé libre de ses mouvements à une trentaine de mètres de la surface.
« …Pourquoi, ils l’ont laissé jouer, ce con! »…La mystérieuse alchimie des minutes. Trop longues lorsque Bastia tenait un résultat favorable, les voilà qui étaient trop courtes maintenant qu’il s’agissait de courir après le score. Les bleus se lançaient à l’attaque. Et c’est dans un râle que les accaniti du bistrot virent le contre canari se développer et un attaquant s’élancer vers la surface bastiaise, contourner le gardien et pousser la balle, coup de grâce, dans le but vide.
La Sainte Vierge, peu épargnée le matin même, se voyait à nouveau mise en cause. Qu’est ce qu’elle y pouvait la pauvre à la friabilité de l’équipe corse à l’extérieur? N’empêche, il fallait un coupable. Après elle, c’était l’entraîneur, puis les dirigeants qui ne recrutaient pas suffisamment de corses amoureux du maillot et les joueurs eux-mêmes qui manquaient d’efficacité, d’esprit de combat. Les mêmes qui avaient klaxonné leur joie lors de la précédente journée vomissaient maintenant leur équipe. Amoureux déçus. Jusqu’au lendemain.
Il n’y a que les supporters de football pour être aussi versatiles pour développer une mauvaise foi aussi évidente, supportable pour peu qu’il y ait une dose suffisante de second degré. Il n’y avait pas de hooligans chez Ange-Etienne, non, juste des passionnés. Il s’en trouva même un pour dire, mais il était parvenu à une distance raisonnable du bistrot, que celui qui avait cassé cette antenne de malheur, et bien, il avait bien fait.


 

Un temps que les moins de vingt ans….

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Début de saison…7ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le maire fit son apparition juste à temps pour saluer la maréchaussée qui repartait. Il ne venait pas aux nouvelles puisqu’il suffisait d’observer la façade pour connaître l’essentiel. Sa venue était dictée par un double souci. Remplir son devoir d’élu à l’endroit d’un administré  et surtout, ouvrir de nouveau la route du bar au reste de la population, qui ne se serait pas hasardée à revenir, avant qu’un ambassadeur ne vienne au préalable supporter la légitime colère du commerçant bafoué.
Les deux hommes qui discouraient devant l’établissement étaient par conséquent observés de loin par tous ceux qui attendaient que le terrain fut déminé. La route serait ouverte, le bar sécurisé lorsque les gestes se feraient moins véhéments et que le maire poserait sa main sur l’épaule de son interlocuteur dans un dernier mouvement de compréhension solidaire.
Un quart d’heure suffit. Il n’y avait tout de même pas mort d’homme. Aussi, petit à petit, les groupes traditionnels de l’apéritif du midi se formèrent.
Le bar du village est un lieu essentiel. Le village est un système planétaire où dans chaque maison vivent des gens avec leurs histoires closes. Pourtant tout se sait. C’est heureux. Il n’est pas possible d’imaginer que les familles existent avec leurs joies et leurs peines sans que jamais l’extérieur n’en sache rien. Elles imploseraient. Le bar, est l’endroit où on s’expose. On raconte ce qui doit être su et on susurre les informations qui ont vocation à circuler. Chacun apporte un peu et repart avec ce que les autres ont bien voulu apporter. C’est un univers d’hommes. Un univers très identitaire aussi. Il y a quelques tables peuplés de touristes mais elles sont exilées à la périphérie de la terrasse. Au centre, on trouve les habitués, rois de la macagna,  ceux dont les plaisanteries les meilleures passent l’hiver et rentrent dans la mémoire collective.
La macagna, c’est difficile à expliquer. Un art. Celui qui consiste à rebondir sur une phrase, un défaut, une particularité de son interlocuteur pour avec un grand sérieux bâtir une histoire qui fera rire aux dépends de la victime mais sans méchanceté. Il ne doit pas y avoir offense. Chacun joue sa partition, le macagneur comme le macagné. Pascal présent bien sûr ce midi là à la table centrale était réputé pour son talent dans ces joutes…
L’été passé, il avait entrepris une équipe de touristes stéphanois sur Napoléon. Les malheureux avaient été très vite impressionnés par sa science, réelle au demeurant, du sujet. L’aveu qu’il était un descendant de l’Empereur avait été gobé sans problème car le macagneur en baissant la voix, leur avait annoncé cette nouvelle comme un conspirateur qui tout d’un coup accepte de se confier. Il avait réussi à convaincre ses victimes que si l’Empereur était inhumé aux Invalides, lui, détenait dans le plus grand secret le crâne de Napoléon enfant. Les Stéphanois impressionnés étaient en train de répondre favorablement à une invitation de rendre visite au dit  crâne quand une explosion de rire de la terrasse entière, les fit revenir à une réalité plus triviale. Sans doute  se consoleraient-ils en sachant qu’on se souvient encore d’eux et de leur départ déconfit…
Pascal n’était pas seul. Fanfan surnommé U Dragone, le dragon, en raison de la terreur qu’il savait parfois faire régner en laissant tomber ses verdicts implacables était là aussi avec Marco l’exalté ou Toussaint l’étranger venu de la lointaine contrée de Guagno. A quelques encablures en fait. Mais étranger à la vallée, donc furesteru, venu de l’extérieur. Il y en avait d’autres mais attablés plus à l’écart, second rôles, figurants, parmi lesquels quelques pinzutti mariés au village, qui malgré tout leur talent n’accéderaient jamais au haut de l’affiche.
Ce fut un de ceux là qui, inspiré par les séries télévisés, lança un peu trop tôt par une phrase poncif, le débat qui devait avoir lieu. Gonthier, dit surnommé Concon ou Cruchot sans qu’il le sache, fit entendre sa voie dès le premier pastis. Intervention prématurée et maladroite… » Moi, je dis qu’il y a toujours un mobile… » silence et visionnage périphérique de l’assemblée… « … celui qui a fait ça, il veut pas qu’on regarde les matchs à la télé et moi j’ai mon idée… ». Il n’y a sans doute rien de pire qu’émettre tout haut l’idée que tout le monde rumine et n’ose exprimer car elle met en cause quelqu’un de la communauté. Surtout quand celui qui rompt le silence n’est qu’un élément rapporté.
« …Oh Derrick, qu’est ce que tu racontes encore? Tu as été chargé de l’enquête?… » Par cette phrase sans aménité qui tombait comme un glaçon dans un casa chaud, U Dragone entamait la battue. Quelqu’un avait parlé. Il fallait que ça arrive. Mais pas tout de suite et pas un pinzuttu. L’affaire était définitivement villageoise. Si l’étranger plus ou moins assimilé pouvait assister au débat, il était à tout le moins malvenu qu’il le lance.
Gonthier aurait du se taire. Mais malgré de nombreux mois d’été passés en Corse, malgré les leçons hivernales de son épouse, il n’arrivait pas à le faire. Il reprit donc, aggravant son cas… »…Je suis chargé de rien mais je ne suis pas idiot. Chaque fois qu’il s’est passé quelque chose, ça tombait un jour de match comme pour nous empêcher de profiter de l’initiative …excellente… d’Ange Etienne… » Tentative vouée à l’échec de trouver un renfort chez la victime par le biais d’un hommage trop appuyé. La victime vaquait avec une indifférence feinte mais parfaite.
Pascal, baissant ses lunettes, pour mieux voir le détective, lui demanda, avec un air qui n’était amical que pour ceux qui ignoraient le code… « …et autant tu as une idée de qui ça peut être?… » Gonthier qui visiblement, avait décidé de s’enferrer, ne choisit pas de répondre par la négative ce qui aurait été une retraite, certes, mais une retraite honorable… » J’ai la même idée que vous autres mais moi je le dis… »
Ils levèrent tous les yeux au ciel. Au fond, tout le monde aimait bien Gonthier. Il bénéficiait du statut accordé à ceux qui entrent dans la famille par le biais du mariage. Il bénéficiait d’une liberté de parole supérieure à celle d’un continental de passage. En plus, il ne se formalisait pas bien longtemps des plaisanteries dont il était souvent l’objet. Il en riait même et se plaisait à les rappeler. Il faut dire que certaines d’entre elles étaient passées en forme de proverbe.
Quand, il était arrivé au village, sa belle-famille lui avait fait la leçon. Ici, il n’y a que des parents et vous devez embrasser tout le monde. Nous sommes entre cousins et alliés. Docile et soucieux de se faire accepter, il s’était rendu au bar pour offrir sa première tournée et s’était présenté en claquant une double bise sonore à chacun des présents…garde forestier et gendarme compris… L’histoire avait fait le tour de la vallée et sans doute au-delà. Il était devenu pour toujours celui qui embrasse la maréchaussée, le cousin du garde, le beau-frère de l’autorité. Il n’y échappait jamais. Ce coup ci, ce fut Filippu le Niolain qui lui rappela ce souvenir:
« …Ca y est! Depuis qu’il a embrassé la police, il a attrapé le virus. O Maigret, sors du corps de Gonthier… »
« …Vous pouvez rire mais il y a des choses qui sont évidentes et c’est pas parce qu’on est en Corse, qu’on a pas le droit de les dire… »
« …On est en Corse? Bouh chi malignone celui là! Merci à toi, personne n’avait remarqué… »
« …Oui, on est en Corse et même si je ne n’y suis pas né, je sais depuis le temps comment ça fonctionne. J’ai observé. Et je peux vous dire , que des affaires comme ça, chez moi ça n’arriverait pas… »
« …Sûr, d’où tu viens, les bistrots ils ont tous fait faillite…sur le continent, les tournées générales, c’est à coup de bol d’air… »
Gonthier s’énervait et peu à peu sortait du rôle qui était normalement le sien. Témoin, témoin actif même mais pas procureur. Surtout pas procureur.
« …Ca vous arrange bien de dire que sur le continent il n’y a que des radins. Mais ce n’est pas vrai!  Moi, j’ai toujours tenu mon rang et je n’ai jamais raté ma tournée. J’ai même donné pour le clocher… »
« ..Ahé…en solidarité avec les cloches… » Pascal hoquetait de rire. L’affaire de la réfection du clocher et de la parution des donataires dans le journal local avait occupé les esprits un long moment. Gonthier avait donné de façon anonyme. Mais, ce souci de discrétion empreint de classe selon lui, le privait en définitive d’apparaître comme un de ceux qui avait le plus largement contribué. Il avait donc un jour revendiqué la paternité du don de 5000 francs y gagnant au passage un nouveau qualificatif d’ami des cloches qui venait de lui tinter de nouveau aux oreilles..
« …Oui, et alors? C’est grâce en partie à des gens comme moi que l’église a été refaite parce que c’est pas les cinquante francs de certains qui allaient arranger les choses… »
Gonthier passait la ligne continue…et emporté par son élan masochiste, car en son for intérieur, il le savait, les clignotants étaient au rouge, il rajouta en guise de bouquet final, histoire de mériter pour de bon le coup fatal… »…Mais moi, j’ai le courage de dire ce que je pense! Vous avez tous perdu l’habitude de parler pour ne vexer personne mais je sais ce qu’il y … »
« …Et tu es qui toi pour savoir ce qu’on pense?… » Marco entrait dans la danse…. » Tu viens une fois par an, tu comprends rien à rien, et tu viens nous dire à nous que tu as une idée et qu’on a la même en plus! D’abord tu n’as rien dit, tu insinues. Même pas le courage de donner un nom. Tu attends qu’on le fasse! Et bien, tu peux attendre longtemps, Ô gaulois, parce qu’ici des noms, on ne les donne pas… »
Ce n’était pas la première fois que Concon se voyait affublé de l’épithète de gaulois. Tout était dans l’intonation. Ce pouvait être une invite impérieuse « …Ô gaulois, paye ta tournée!… » voire même affectueuse… » Pour un gaulois, il est gentil… ». Ce genre  de réflexion était cependant rare et il faut bien l’avouer toujours teintée d’ironie. La dernière fois où elle avait  été entendue, correspondait au jour où le malheureux s’était vanté d’avoir abattu une perdrix en deux coups de fusil, un dans les pattes de devant et le second dans les pattes de derrière.
Là, s’il devait y avoir une échelle de Richter de l’apostrophe on était à 8. Le « gaulois » de Marco n’était pas aimable et ne souffrait aucune réponse. Le malheureux Gonthier n’avait même pas le choix de grommeler. Tout aurait été mal interprété. Il devait se lever et s’en aller pour aller se plaindre auprès de son épouse qui, hélas, ne manquerait pas de lui donner le coup de grâce. Il rassembla sa dignité et s’en fut donc sans autre commentaire.
« …Il parle à tort et à travers et tu as bien fait de l’envoyer paître, Marco, mais sur le fond, il n’a pas tort…vire et tourne, quelqu’un veut nous empêcher de regarder les matches à la télé… » Pascal venait en quelques mots de résumer la pensée de toute l’assemblée.
« C’est sûr…mais moi je le crois pas capable d’avoir fait ça…. »
« …Bah, tu as vu la sortie qu’il nous a fait, l’autre soir? Moi , je ne l’avais jamais entendu parler autant… »
Ainsi, sans que jamais son prénom ne soit prononcé, le principal suspect des attentats téléphobes venait d’être désigné. Un long silence s’ensuivit. Deux gorgées de Casa plus loin, Toussaint neutre par nécessité puisqu’on l’a vu, originaire d’une autre vallée, déplaça avec habileté la conversation… »En attendant, pour ce soir, on fait quoi? Il faut qu’on se décide. Moi, je veux bien descendre au stade… »… »Oui mais est-ce qu’il y aura encore des places?… »  » Va qu’il y en aura… » « Bon alors, on descend… ».
Ange-Etienne qui n’avait rien dit jusqu’alors, allant et venant au milieu des tables pour assurer le service, s’arrêta net et en guise de conclusion annonça une décision qui ne surprit personne… »Moi, je sais pas qui a fait quoi…mais la veille du prochain match, moi je veille et s’il y en a un qui s’approche du bar, je lui en sciaque une qui va lui faire passer le goût de casser les antennes…; ».
Mot de la fin sans nul doute. Il fallait qu’en regagnant leur maison, les témoins se fassent l’écho de cette menace afin que nul n’en ignore.
En fin d’après-midi, tous ceux qui ne voulaient pas regarder le match à la radio, s’étaient donc donné rendez-vous pour partir en convoi. Une bonne quinzaine répartis sur quatre véhicules. Une demi-heure avant le départ, environ, Hyacinthe fit son apparition en tenue de ville. Il y avait encore de la place dans une voiture. Il la prit sans commentaires. Personne ne lui demanda rien. Tout le monde savait qu’il était descendu parce que d’en haut, il avait pu suivre l’ensemble des événements, de  l’attentat anti parabolique à la constitution de la caravane. Il n’en demeurait pas moins suspect pour autant.
Après une première mi-temps difficile, face à une équipe marseillaise a priori supérieure, les Bastiais avait fini par l’emporter grâce à un jeune joueur formé au club qui avait marqué à deux reprises, sur des actions individuelles de classe, des déboulés rageurs, qui avaient fait grimper la jeunesse très haut dans les filets de protection. Belle soirée. Fumigènes, drapeaux corses qui claquaient et invectives de qualité à l’endroit des supporters phocéens massés dans un recoin du stade. Quelques insultes mal venues aussi et deux ou trois cris de singe quand un joueur africain touchait la balle. Cette importation des mauvaises pratiques de certaines enceintes continentales avait beaucoup énervé Marco. Il pouvait être nerveux mais son fond était humaniste. Il en profita pour se réconcilier avec Gonthier qui tout pointu qu’il était n’en était pas moins un supporter des turchini.
Le retour tard dans la nuit s’était fait dans une excellente humeur… Trois rencontres, deux victoires à domicile. La saison serait belle. Juste un petit coup de klaxon à l’entrée du village, manière de dire que tout le monde était rentré, que la victoire avait été belle et aussi, un peu, pour embêter ceux qui s’étaient endormis comme les poules.


Liesse populaire

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Début de saison…6ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Dans ces cas là, il faut éviter avec soin d’accourir. Le premier arrivé n’est responsable de rien mais sa présence fait de lui le réceptacle de toute la fureur. C’est frustrant d’insulter les saints, ils ne répondent pas et il est clair qu’ils s’en foutent. Tandis que, un qui arrive avec la bouche ouverte, la figure de l’innocence interloquée et curieuse, celui-là, c’est la victime idéale. La délectable erreur judiciaire. Ils attendirent donc tous un long moment avant de se rapprocher de l’épicentre. A dire vrai, même les plus intrigués prirent le temps de boire un café et même deux.
Aussi, au bout d’une bonne demi heure, sans avoir l’air de rien, apparurent les courageux. Comme pour la Nativité. Ils venaient d’un peu partout, convergeant à petits pas, vers la crèche. Point de bœuf, ni d’âne encore que les quelques jurons vaguement beuglés, qui s’entendaient encore pouvaient laisser accroire que c’était bien une bête qui avait élu domicile dans le bistrot.
Ils n’eurent pas besoin d’aller quérir l’information. La cause des cris pendait le long de la façade. Une espèce d’aigle marin, tout blanc, tout blessé, tout disloqué, deux morceaux d’antenne parabolique. Un os de seiche incongru accroché à un fil. Un appât en somme qui avait rempli son office puisqu’il avait attiré les badauds. Ils s’étaient tous arrêtés sur le jeu de boules sans rien dire. Il y avait offense. La sortie d’Ange-Etienne sur la terrasse du bar, bras croisés sous visage raidi, sonna comme un évident signal de repli. Arroser le jardin devenait prioritaire tout comme préparer le repas du midi. Retraite générale. Il fallait attendre la suite des événements.
La suite était bleue comme on pouvait s’y attendre. L’adjudant et son gendarme arrivèrent sur les lieux à peu près au moment où les témoins silencieux s’en retournaient vaquer.  Desagès et Pekarski entrèrent dans la salle du bar encore fraîche. Ange-Etienne était retourné à l’intérieur en les voyant arriver et ils les attendait derrière le comptoir en nettoyant des verres. Il nettoyait le même depuis un moment, nota Pekarski, signe patent de nervosité. Mais il ne dit rien. Le militaire apprenait à son rythme, mais il apprenait tout de même. Il saurait bientôt se taire à bon escient.
« …Je me suis levé tôt ce matin parce que je voulais descendre à Calvi refaire le plein de cigarettes… » Personne ne lui demandait rien, et il commençait à parler. Grosse déstabilisation pensa l’adjudant… »…J’ai branché la télé pour avoir les informations et ça ne marchait pas. J’ai tripoté le tuner et ça ne marchait toujours pas, alors j’ai été voir si l’antenne elle n’était pas débranchée. Et là, je l’ai vue qui pendait en deux morceaux bien fendue dans le travers… »
Desagès prit le temps nécessaire, non pas pour assimiler l’information qui était simple, mais pour montrer à son interlocuteur toute l’importance qu’il attachait aux faits décrits avec autant de sobriété. Il plissa les lèvres. Et céda un instant au plaisir coquet de donner le spectacle de l’intelligence au travail. C’est le problème des séries télévisées. Tout gendarme, tout policier, se prend un bref instant pour un héros récurrent.  Avec toute la prudence requise, il finit par émettre une hypothèse inquiète et chuintée… » Le colis d’il y a quinze jours et l’antenne de cette nuit, on dirait presque que quelqu’un vous en veut… ».
A Pont-à-Mousson ou Hénin Liétard, il est vraisemblable que cette phrase eut été interrogative. Ici, c’était une affirmation prudente. Elle sous-entendait que la victime pouvait avoir un ennemi. Or, avoir un ennemi signifie qu’on a pu mal se conduire. Personne ne vous en veut sans raison. Liminaire a priori insupportable. Ensuite, poser une question sur ce thème sous-entendait qu’il puisse y avoir une réponse. Or, penser qu’Ange-Etienne à supposer qu’il sut quoique que ce soit, accepte de parler était une double offense. S’il connaissait le coupable, il ne l’aurait pas désigné aux gendarmes, premier manquement au code, et s’il l’avait connu, il en aurait fait son affaire tout seul, comme de bien entendu. Poser la question c’était supposer le contraire et donc lui manquer de respect. D’où l’affirmation. Prendre sur soi la mauvaise idée pour ne pas infliger à l’autre l’obligation de dire ce qui le blesse. Desagès se promit d’expliquer ça à son subordonné mais se rendit aussitôt compte qu’il n’aurait jamais les mots pour exprimer une approche aussi subtile.
La victime apporta la réponse convenue. « …Vous avez sans doute raison…mais je vois pas qui peut m’en vouloir… » . Sans doute. Mais la réflexion devait être en marche depuis un bon moment. Par tri successif. Pour arriver à ceux qui étaient capables moralement et physiquement d’oser. Dans ces cas là, on attend. Il faut se concentrer sur tout autre chose. Une mouche est bienvenue, clap, fait le chien en attrapant la mouche et ça permet d’attendre le moment de passer à autre chose. Des faits si possible. Aucun jugement de valeur. . » Pour monter sur le toit, Monsieur Ange-Etienne, comment on peut faire?… »…
« …On peut monter par l’intérieur, il y a une trappe qui donne sur la petit terrasse et puis de là, il suffit d’enjamber mais la maison est fermée. Sinon, et c’est ce qu’ils ont dû faire, c’est mettre l’échelle sur le cerisier, monter au milieu de l’arbre et de là ils arrivent à la terrasse. C’est pas bien acrobatique…. » Pekarski nota le pluriel. Des suspects. Plus tard, son chef lui expliqua que ça ne voulait rien dire. Il n’est pas facile d’accuser quelqu’un, même sans le nommer, et que le rite commande pour diluer la portée de sa phrase, d’impliquer un nombre, un groupe plutôt qu’un individu.
Ils montèrent ensemble sur la terrasse où la parabole pendouillait. Elle s’était brisée, puis repliée sur elle-même sous l’effet de la chute et du mouvement de balancier auquel l’avait contraint le câble ombilical. Pas de trace de coups sur la victime. Elle avait été dévissée puis poussée dans le vide. « …Vous n’avez rien entendu?… ». « Non, on dort de l’autre coté. »
En redescendant, Pekarski demanda du regard l’autorisation de parler. Il l’obtint. « Dites, on dirait que c’est à votre télévision qu’on en veut. L’autre jour le paquet était placé dessous et là c’est l’antenne qu’on vous casse… ». Ils se trouvaient dans une espèce de grenier. Ange-Etienne était au-dessus d’eux en haut d’une échelle meunière en train de faire redescendre la trappe qui commandait l’accès à la terrasse. Il baissa les yeux vers le gendarme. « …Qui pourrait en vouloir à la télévision?… »…Puis alors qu’il entamait à son tour la descente, le dos tourné, il rajouta… »Surtout que ce soir, il y avait match et que du coup, il ne le verront pas, parce que le gars de l’antenne, il ne pourra monter la changer au mieux que dans deux jours et encore il fait ça parce que c’est un petit neveu du coté de ma femme… Sinon, c’était un coup de deux semaines… ».
Le gendarme enhardi, c’était la première fois qu’il ne récoltait pas une réponse désagréable, se relança… »…L’autre jour aussi, c’était jour de match…Il y en a peut être un qui n’aime pas le ballon… » Le patron du bar qui avait terminé sa descente, le regarda sans rien dire, puis émit comme un « …Umbeh… » qui pouvait sonner aussi bien comme une approbation que comme la marque du mépris  mérité par une hypothèse aussi farfelue. De retour dans la salle du bistrot, à la différence de leur dernière visite, les gendarmes enregistrèrent une plainte. Pour l’assurance, précisa le plaignant parce que sinon, « …même pas on en parle… ».

Soir d’exploit à Lisbonne

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Début de saison…5ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Le Sporting ce soir là battit largement Guingamp qui venait d’être promu par quatre buts à un. Les Bretons avaient ouvert le score en tout début de match sur une action, entachée, forcément, d’un hors-jeu qu’un arbitre à l’évidence vendu aux équipes continentales n’avait pas voulu voir. Aux hurlements du stade, répondirent ceux de la salle et à défaut de pouvoir s’accrocher au grillage, certains vinrent mettre en péril l’équilibre du pétrin.
Pour des raisons inverses, l’égalisation puis les buts suivants furent salués par des manifestations comparables si ce n’est qu’elles étaient alors, dictées par le noble sentiment de voir la justice enfin rétablie. A vingt deux heures trente environ, Ange-Etienne ferma le bar après le départ du dernier commentateur sportif. La soirée avait été belle. C’était un premier  match à domicile et une vraie réussite… Pas de sandwiches au merguez, sous les tribunes mais des pastelle. Pas de bière, mais de l’eau de vie. Finalement, une innovation très positive.
La semaine qui suivit fut celle des fenêtres qui s’ouvrent. Les vacances avaient commencé et les familles rentraient au village. Les maison s’ébrouaient. Tard dans la nuit, des lumières restaient allumées à peu près partout et Hyacinthe d’en haut voyait comme une guirlande. Les grands trous d’eau, i pozzi, s’étaient remplis de gamins braillards et encore pâlots.
C’était la période des retrouvailles aux invariables questions où on devait pêle-mêle  donner des nouvelles rassurantes sur ces succès scolaires, affirmer haut et fort qu’on préférait la Corse au continent et refuser avec tact la sempiternelle grenadine. Tu as appris à parler corse……oui…comment tu dis bonjour…arrête…il vaut mieux que tu parles français que d’estropier le corse…
Les enfants faisaient un tour rapide de chaque maison pour saluer la parentèle. C’était un premier devoir de vacances. Il convenait de n’oublier personne. Le terrible dilemme chez les vieilles tantes où il fallait choisir entre le sirop d’orgeat et la grenadine parce qu’il a été dit qu’on ne refusait pas. Plus tard, lorsque la chaleur était un peu retombée, les parents après un coup de ménage, une maison qui reste fermée est pleine de poussière, passaient une tenue décente, pantalon à manches longues et chemisette, et se préparaient, avec une mine de circonstance, aux visites de condoléances.  Ce n’est  qu’après ces exercices obligés que les vacances commençaient.
Le bar connaissait sa période faste. Le camion des glaces montait deux fois par semaine. Le soir, alors qu’un petit vent descendait de la grande barrière toute rouge devant le dernier soleil de la journée, les touristes refluaient et c’était l’heure de l’apéritif. Pastis. Ou pastis. Et politique. Il y avait un plaisir un peu pervers à se trouver là à renouveler, une année après l’autre les mêmes gestes aux même heures. Une forme d’ennui, une indolence dont chacun était plus ou moins conscient mais que personne n’avait envie de combattre. L’impression d’être à sa place dans une pièce écrite pour chacun avec des dialogues identiques, des réparties prévisibles avec des rires annuels. Les vacances ne duraient pas assez longtemps pour qu’on s’en lasse.
Le Sporting jouait son premier match à l’extérieur. Leader du championnat après sa victoire à domicile, il se déplaçait à Bordeaux. Ange-Etienne avait tiré un câble d’antenne et installé le grand écran sur la terrasse. Il y avait foule. Au milieu du groupe, Cat qui vivait le reste de l’année à Bordeaux était devenue pour un soir la cible des macagne en tout genre. Et pour qui tu es? Tu n’es  même pas née au village. Dans ces cas là, le discours de raison ne sert à rien et puisque quelqu’un choisit de te mettre dans un camp, et bien tu joues dans ce camp là. Cat fila sa partition de parfaite bordelaise. Elle fut bordelaise jusqu’au bout des ongles et comme les plaisanteries devinrent acides lorsque les Girondins ouvrirent puis aggravèrent le score, elle se girondinisa en proportion. Il faut en Corse être dans un camp. Bordeaux l’emporta largement et Cat qu’on avait placée sans qu’elle le choisisse sous une bannière gauloise se fâcha pour le coup avec deux ou trois cousins. Jusqu’au lendemain.
Les gendarmes faisaient désormais une ronde hebdomadaire. Ils traversaient le village écrasé de chaleur au ralenti. Pekarski avait abandonné toute velléité verbalisatrice.
Dans sa mécanique pendulaire, le championnat de France commandait que le match suivant eut lieu à Furiani. Mercredi soir. L’affaire était d’importance. L’ennemi héréditaire, le Marseillais était annoncé en Corse. C’était une rencontre à haut risque. Le stade était toujours plein. Bien des années auparavant, des gens étaient morts dans le stade  en tombant d’une tribune disproportionnée que la cupidité et l’inconscience qu’on avait laisser édifier à de piètres responsables qui savaient que l’affiche allait drainer du monde de toute l’île.
Le mercredi matin, un hurlement de colère réveilla à une heure indue tous ceux qui dormaient aux environs du bar. En Corse, il y a peu de gros mots. Il faut éviter les insultes. C’est l’assurance de l’escalade. En revanche, on blasphème. Là c’était un rare mélange des deux. Ange-Etienne prenait à partie l’humanité entière et tous les saints. Il perdait en cet instant toute chance d’entrée directe au Paradis. Même Saint Pancrace, patron du village, en prenait pour son grade. La Sainte Vierge, après avoir tant souffert à ce qu’on dit, devait se pencher sans nul doute à ce moment précis pour voir qui lui prêtait tant de défauts.

Claude Papi et u populu bastiacciu

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Début de saison…4ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Au moment où les gendarmes rentraient à la caserne, Ange-Etienne derrière son comptoir, lisait le Corse Matin que le facteur lui avait laissé. Il le lisait comme tout un chacun en commençant par la page des faire-part de décès. Surtout être vigilant, il ne fallait pas que la disparition d’un cousin éloigné vivant dans un autre village, lui échappe. Suivant le degré de parenté, il fallait envoyer un télégramme, voire même se déplacer. Tout manquement à cette règle était un affront. Ensuite, il passait aux nouvelles locales puis aux fait divers. L’actualité nationale et internationale lui importait peu. Ange-Etienne considérait qu’il y avait matière suffisante à réflexion dans les événements qui agitaient son petit monde.
L’arrivée des deux frères ne le surprit pas. Il savait qu’ils viendraient. Un an sans franchir la porte du café mais il aurait été très étonné de ne pas les voir aujourd’hui. L’été précédent, ces deux là étaient là tous les soirs assis sur la terrasse, parlant corse et affectant des mines de conspirateurs. Gros véhicule tout terrain bleu de chine ou treillis et crâne rasé. Ils s’acharnaient à ressembler à leur caricature. Ils portaient au cou, la médaille en or représentant le rebelle armé. Un plaisantin leur avait fait remarquer qu’en arborant ce lourd pendentif, ils prenaient un risque inconsidéré. Ils avaient rétorqué froidement qu’ils ne mettaient pas leurs opinions dans la poche et qu’ils ne craignaient pas la maréchaussée. Leur interlocuteur leur dit alors qu’il pensait plus à un risque de torticolis, vu le poids de l’objet qu’à une interpellation policière. Le regard méprisant qu’il avait obtenu en retour lui avait interdit de profiter très longtemps de son bon mot. Et à dire vrai l’avait dissuadé de tenter une autre plaisanterie sur ce registre.
Jean et Marie-Ange ne dirent pas bonjour. Ca ne se dit pas. Une exclamation interrogative en tient lieu… »Heu ». Pratique en fait. Si on n’a pas envie de parler, on répond par la même interjection. Si on veut entamer la conversation, après le « Heu… » on pose une question, du style « ça va? ». Pour un patron de bar, la transition est facile. Suivant l’heure, il dit café ou pastis.
Là c’était café. La conversation fut brève. Les deux frères connus pour leurs sympathies nationalistes n’avaient qu’une chose à dire. Ils n’étaient pour rien dans l’incident du matin. Ange-Etienne le savait. L’incident de l’été précédent avait été suffisant pour qu’ils se vexent mais pas au point de se livrer à ce genre de plaisanterie.
Il haussa les épaules pour signifier que l’hypothèse était saugrenue. Mais, il fallait pour le bon ordre des choses que la visite ait lieu.
Ils partirent et en les suivant du regard, Ange-Etienne se dit qu’il n’y entendait décidément plus grand chose. Lors des événements d’Aléria, il était un homme dans la force de l’âge et s’était senti proche des insurgés. Il lui semblait alors qu’il était temps de réagir puisque l’état ne voulait pas le faire. La défense de son île, de sa culture et de ses valeurs méritait qu’on se batte..Puis, il avait moins compris.
Ce n’était pas un théoricien. Peu de livres, éloigné des discours et des doctrines. Ange-Etienne se faisait son opinion en utilisant le filtre des valeurs qui lui avaient été inculquées par d’autres à qui elles avaient été transmises. Le malaise l’avait gagné aux premiers morts surtout qu’il sentait derrière les homicides une lourde odeur d’argent. Il respectait la vie. Et lorsqu’un homme seul avait été abattu sans gloire dans une rue d’Ajaccio, il avait eu honte comme beaucoup de gens autour de lui.

C’était en définitive une journée habituelle. Les premiers touristes descendaient au fleuve chargés de paniers et de matelas pneumatiques que les ronces ne tarderaient pas à honorer. Les villageois ne s’étaient plus montrés au bar. La vie ne reprenait vraiment qu’en fin d’après-midi. Jusque là, il faisait trop chaud. Vers cinq heures alors que les jeunes commençaient à se réunir sur les « muragliette », Hyacinthe fit son entrée. Il portait sa tenue de stade.
Les  conversations étaient alourdies. Par petits groupes, éloignés d’un ou deux mètres, un debout pour deux assis, les garçons commentaient les événements du jour . Après avoir touché quelques mains, le berger s’était installé un peu à l’écart. Il n’avait pas grand chose à dire. Ce genre de visite silencieuse était habituel. Au bout de quelques minutes, après avoir regardé sa montre, sans s’adresser à personne en particulier, il demanda. . »Qui c’est qui descend au match?… ».
La question ne concernait pas les adolescents. Parmi eux , aucun n’était en âge de conduire. Ils étaient souvent passagers des voitures pour Furiani mais ne décidaient de rien.  C’est un des plus âgés qui répondit de façon quelque peu indirecte… « …Oh  Hyacinthe, tu n’as pas vu la parabole?… »
« …Oui, je l’ai vue, on ne voit même plus que ça…et alors? »
« …Ecoute, moi je crois qu’au stade , personne n’y descend. Il ont acheté le match… Ils vont le regarder ici. Ca donnera du commerce à Ange-Etienne…  On a commandé des pizze et puis on boira un coup. Ca évite de descendre et de remonter de Bastia dans la soirée et on voit mieux… »
« On voit mieux quoi? »…A l’évidence Hyacinthe n’était pas enchanté par l’innovation. Mais, il n’entrait pas dans les habitudes des gens de sa génération de débattre avec la jeunesse. Aussi, il se leva sans attendre de réponse et descendit vers le bistrot, où ses compagnons de route habituels s’étaient attablés.
« …Pourquoi, on descend pas au match? » …La question était directe et assez peu conforme aux usages qui commandent en temps habituel de discuter en cercles concentriques, à la périphérie du sujet pour n’y venir qu’au bout d’un long moment, à la fois pour ne pas montrer qu’on y attache de l’importance mais aussi pour laisser à son interlocuteur le temps de se préparer.
« Piombu »… Quelques expressions, plus amusées qu’agacées jaillirent des deux ou trois groupes qui s’étaient tournés vers l’arrivant. Ceux qui se trouvaient là savait que Hyacinthe allait descendre et qu’il poserait cette question. Mais aussi vite, non. Avec un air aussi sombre non plus. L’adjoint qui avait un sourire de soir d’élections favorables, poussa la chaise en direction du berger pour l’inviter à s’asseoir, lui proposa un apéritif, offre déclinée, et se lança dans l’explication attendue…
« … Hyacinthe, je sais que ça ne va pas te faire plaisir. Tu as l’habitude d’aller au match avec nous. Tu aimes ça, c’est ta sortie. Mais, Bastia c’est loin et se faire quatre  heures de route pour un match c’est long. Avant, il n’y avait pas moyen de faire autrement mais maintenant que Ange-Etienne, il a pris le satellite, on peut commander le match et le regarder d’ici. D’abord ça nous coûte moins cher, en plus ça fait de l’animation au village et puis on le voit aussi bien à la télévision et même mieux… tu verras Capone et son labrador en gros plan!… »
Hyacinthe parlait peu. En définitive, personne ne l’avait entendu s’exprimer très longtemps. Il commença par regarder pendant un court instant celui qui venait de dire le droit, puis balaya d’un coup d’œil interrogatif le reste de l’assistance puis finit par fixer la parabole, puis il revint vers son public. « …Quand j’étais gamin, la route goudronnée, elle s’arrêtait au pont génois. En plein milieu d’un tournant… »
Il marqua une pause. « …Après, c’était une piste de sable. Les touristes, ils s’arrêtaient net parce qu’ils ne voyaient rien en fond de vallée et qu’ils n’avaient pas envie de casser la voiture. La poste, elle venait une fois par jour de Calvi et elle arrivait à sept heures le soir avec les commandes et ceux qui rentraient au village. On ne voyait personne et ceux qui arrivaient par hasard jusqu’ici, ils étaient tellement rares, qu’on se serait presque fâchés s’ils avaient refusé le café ou le sirop d’orgeat. Je me souviens quand on a mis l’électricité. C’est pas si vieux. D’en haut, je n’ai plus vu les lampes électriques de ceux qui dormaient à l’étage, en train de faire le tour de la maison pour aller dans les chambres. On faisait la veillée et puis on l’a plus faite. Puis, ils ont goudronné jusqu’ici. Puis, il y eu la télévision et là, je n’ai plus vu personne sur la route. Même les jeunes, ils ne se promenaient plus. S’ils étaient pas à la plage, en boite, ils restaient à la maison voir quelque film… »
C’était la première fois qu’il parlait aussi longtemps. Du coup, le silence s’était fait. Ils étaient intrigués.
« …Moi, ça ne me dérange pas, tout ce changement. C’est la vie qui est comme ça. A une époque les femmes, elles se levaient la nuit pour arroser parce qu’on se partageait l’eau et elles lavaient au fleuve parce qu’on pouvait pas faire autrement. Ceux qui disent que c’était le bon temps, ceux là ils en parlent sans savoir. Tu pouvais mourir parce que le docteur, d’abord il était loin et que de toutes façons, tu lui aurais dis comment que quelqu’un était malade? Il n’y a pas à regretter. Et de toutes façons, qu’est ce qu’il y avait à faire. Tant qu’on garde certaines choses, tout va bien. Mais là, si parce qu’on peut acheter un match à la télé, on n’est même plus capable de sortir du village, pour aller soutenir notre équipe…alors là… semu fritti. Il n’y a plus de mentalité. Le progrès, ça va, s’il nous apporte quelque chose qu’il n’y avait pas. Mais là, il nous l’enlève… ».
Comme Hyacinthe avait parlé sans colère, sans mettre en cause qui que ce soit, il n’y avait pas matière à débattre. Personne n’était visé et au fond, ils étaient en accord avec ce discours. Mais, lui faire plaisir, lui donner raison, c’était quatre heures de mauvaise route et ça, aucun n’en avait envie. Devant le silence et les bras fatalistes qui s’écartaient, le berger comprit que son discours n’avait pas porté. Il se leva. Une voix s’éleva… »Aio, tu restes pas pour le match?… »
Il répondit en reprenant le chemin que ce n’était pas un match mais une conserve.

Orlanducci dettu « Charlot » dans ses oeuvres

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Début de saison..3ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

La vallée formait un cirque parfait au pied des montagnes les plus hautes du massif du Cintu. Le village était tout au bout de la route à l’ubac. En contrebas, coulait le torrent qui tressautait comme il se doit vers la mer, accompagné par la route, un peu plus haut, en corniche. A l’aller, on découvrait le paysage au dernier moment en entrant dans la vallée par le tournant de l’Inzeccha, surveillé on l’a vu par le berger, et au retour, en passant ce virage, après un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, on voyait disparaître montagnes, village et haute vallée.
Quelle que soit la raison de leur visite, les passagers des voitures se taisaient jusqu’à ce qu’ils aient franchi ce verrou. Les touristes tordaient le coup pour garder en mémoire un point de vue tout de même remarquable. Les originaires qui repartaient à la fin du congé étaient trop plongés dans de tristes pensées, l’image des vieux agitant le mouchoir sur le pont, les ultimes baisers en provision pour une année pleine sans être sûrs de se revoir. Un an sur le continent avec la crainte d’un retour anticipé pour la mort d’un proche.
Les gendarmes ne disaient rien non plus. La région était tellement resserrée, contrainte par sa géographie, qu’on avait l’impression qu’elle menait une vie propre, à l’écoute. Ombrageuse. Donc, ils se tenaient cois comme s’ils s’étaient encore trouvés dans une maison où leurs propos eussent pu être écoutés.
Tout le monde retrouvait la parole dans le défilé bordé de chênes verts qui une vingtaine de kilomètres plus bas, conduisait à l’embouchure, vers une plus importante bourgade, siège de la gendarmerie. Il fallait une quarantaine de minutes pour arriver à destination. Les jeunes faisaient mieux. Mais les gendarmes roulaient calmement en surveillant la rivière en contrebas et les collines des alentours, pour y dénicher des nudistes, infraction courante et appréciée, ou déceler un départ de feu, incident ennuyeux car papivore.
En temps ordinaire, arrivé au pont du Cioncu, Pekarski commençait à parler et à faire des commentaires rarement avisés sur la situation locale. Desagès regardait du coin de l’œil son subordonné qui n’avait pas desserré les dents, alors qu’ils avaient passé depuis un bon moment déjà, le point de départ traditionnel d’un ennuyeux discours. Un autre jour, l’adjudant se serait félicité de cette chance et aurait profité de la promenade. Mais il se sentait un peu coupable d’avoir laissé malmener un jeune collègue. Il ne regrettait pas d’avoir donné la priorité à la paix sociale. C’était la règle d’or. Mais, il comprenait que le jeune militaire attendait les clefs.
Il fallait trouver une entame neutre. Pekarski, dont c’était la deuxième affectation, avait auparavant été affecté dans la Sarthe. Bon angle d’attaque a priori. Desagès, tout en continuant à regarder la route, déclara que la situation en Corse était plus compliquée que dans le grand Ouest. Son passager ne pouvait sur ce point le contredire et après avoir marqué son accord, posa une fausse question à laquelle l’adjudant s’attendait. « …Ca fait longtemps que vous êtes ici Chef… »
Il connaissait la réponse l’animal mais ce n’était pas la durée des services qui l’intéressait mais l’opinion du gradé sur tout ce cirque. »… Ca fait deux ans que je suis dans cette région mais dix ans que je fais campagne ici. Je ne vais pas tarder à rentrer sur le continent mais vous voyez Pekarski, je vais regretter la Corse… » Le gendarme cessa de regarder son chef pour se concentrer sur la rivière qui coulait à présent dans un petit défilé… puis il reprit « …Pourquoi, il nous a fait monter alors qu’il ne veut même pas porter plainte… » Desagès bougea les épaule, un coup à droite, un coup à gauche, comme pour se décontracter. « …j’en sais rien, j’imagine qu’il voulait que ça se sache….Vous savez, cette histoire m’intrigue… parce qu’elle ne ressemble à rien. Ange-Etienne n’a aucun ennemi. Il est assez malin pour ne pas se mêler de politique et il partage ses voix aux municipales. Je ne vois qui pourrait lui en vouloir et lui non plus ne le voit pas. C’est pour ça qu’il nous appelle parce qu’il ne sait pas comment ça peut tourner et qu’il prend toutes les garanties… »
Le gendarme était rien moins que convaincu… « Le gars on lui met du plastic dans le bar et il attend de voir… on aurait pu embarquer le paquet et trouver des traces, je sais pas moi, des  indices… »
« …Si vous voulez durer ici, il va falloir que vous compreniez certains trucs. Je ne sais pas si je vais bien savoir vous expliquer. Bon. La première chose, c’est qu’un peuple qui vit dans une île, il devient comme une personne avec un caractère bien à lui. Un peuple ermite si vous voulez. Certaines idées ont pris le dessus par habitude ou par force et elles sont devenues des traits dominants. Voilà. C’est rend les choses très compliquées si on ne se rend pas compte de ça et ça les rend un peu moins difficiles si on le sait… »
« …Je vois pas… »
« …Vous sortez des fois prendre le frais vers le port, vous descendez par les petites rues en civil. Vous avez remarqué que les volets s’ouvrent à votre passage, tout doucement, juste pour que le regard passe… »
« …Ca ne me fait ni chaud, ni froid… »
« …Je le sais. Mais ce n’est pas que pour vous que les fenêtres bougent, c’est pour tout le monde. Et si pour vous, le regard des autres n’a aucune importance, parce que vous n’êtes pas d’ici, pour ceux qui restent, eh bien ce regard, il est tout. Depuis toujours, ils s’observent et se jugent. Il ne faut pas se manquer. Des individus bien sûr mais qui s’effacent devant le groupe. Ou qui veulent le dominer. Il y a plusieurs manières pour ça. A une époque, c’était la réussite sociale, la situation qui permettait de rentrer au village avec les signes extérieurs de la richesse continentale. Voiture, tournées de champagne à la fête… Plus pour montrer qu’on pouvait  que pour faire vraiment plaisir. Les choses ont évolué. Le jeu continue. Vous savez Pekarski, ce n’est ni plus ni moins qu’une société villageoise, rurale avec la violence en plus…Vous mettriez des Picards sous ce soleil, il n’y aurait pas de différence… »
« Vous connaissez bien la Corse, on dirait Chef?… »
« …J’y ai vécu mais je ne la connais pas. Il y a une fatalité qui m’échappe. Ceux qui la connaissent vraiment et qui en parlent entre eux ne diront jamais tout haut ce qu’ils pensent. En fait, l’histoire de la fausse bombe ne correspond à rien. Et c’est pour ça qu’Ange-Etienne nous a appelés. Comme un accusé de réception. Ce genre d’affaire aurait du se régler au village, on en parle aux parents, deux claques aux jeunes si c’est une mauvaise plaisanterie. Mais là c’est autre chose… »

SECB 1978

 

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Début de saison…2ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Il n’était pas sept heures lorsque Hyacinthe aperçut le véhicule tout terrain des gendarmes qui rentrait dans la vallée. Bleu le quatre quatre. Avant c’était une 4L , source de plaisanteries inépuisables. Dans un pays amoureux des voitures sportives, voir la maréchaussée dans un équipage aussi modeste était un ravissement bruyant chez les plus irrévérencieux et discret bien que réel chez tous les autres.
Tout le monde avait pourtant explosé de rire le jour où on avait vu le pandore passager coincé dans son siège par un boite protubérante fixée devant lui, sur le tableau de bord. Pressé de question, faussement compatissantes, il avait précisé qu’il s’agissait d’un système très perfectionné de positionnement par satellite. Déjà, une telle merveille de technologie dans une 4L enchantait le public mais lorsque le gendarme sans malice, annonçât  que l’appareil ne fonctionnait pas  du fait de l’environnement montagneux, ce fut un vrai délire.
Hyacinthe avait suivi l’affaire par la faveur d’un courant d’air ascendant et ri lui aussi de bon cœur.  Il n’avait rien contre les gendarmes si ce n’est une méfiance héritée de générations de braconniers ou de réfractaires au service dans les chasseurs d’Afrique. Quand les représentants de la loi montaient lui rendre visite, ils le trouvaient rarement. Il fallait pour être honnête, qu’ils lui tombent dessus par surprise ce qui n’était rien moins qu’évident. Sans avoir rien à se reprocher, il les évitait avec soin.
Ce véhicule tout terrain, qui avait rendu un peu de prestige à la maréchaussée, remontait la vallée sans hâte. Il passait sous les châtaigniers au ralenti, disparaissait un instant puis le berger le voyait à nouveau lorsque la portion de route traversée était bordée de maquis bas.
Comme on pouvait s’y attendre, les gendarmes s’arrêtèrent près du bar.
Ange-Etienne entouré maintenant d’une dizaine de curieux, les laissa garer la voiture près de l’ancien four puis les regarda descendre. Ils étaient deux, l’adjudant et un jeune gendarme. Le premier était dans la région depuis deux années. Il n’espérait que le calme et se félicitait de n’avoir jamais vu sa brigade citée dans la presse autrement que pour un mitraillage de façade banal. Le second venait d’arriver. Le menton relevé, la démarche sportive, pénétré de son importance, il rêvait de voir son nom associé à un faits divers retentissant. Deux mois de rondes sans autre incident qu’une collision avec un renard l’avaient frustré. Il sentait que ce matin là était le sien. Respectueux de sa hiérarchie, il ne critiquait pas ouvertement son chef, mais in petto, il le jugeait pusillanime et ramolli par un trop long séjour.
Le présumé ramolli, l’adjudant Desagès salua d’un geste la petite troupe et serra la main du patron du bar, personnalité éminente du canton et cause évidente de son déplacement. Le gendarme Pekarski fit de même.
Ange-Etienne se tourna vers la porte de son bar et d’un geste les invita à entrer. Quelques marches, une terrasse avec une rampe en fer forgé et une grande salle avec le comptoir au fond. Au mur deux vieux fusils et l’affiche du parc régional, un pétrin dans un coin, le congélateur pour les glaces dans un autre et la télévision grand écran posée bien au milieu de la pièce, décodeur flambant neuf sur le dessus, télécommandes sur le coté. Les chaises toutes tournées vers l’écran montraient à l’évidence que le centre de gravité de l’établissement c’était lui désormais.
Le patron d’un geste sobre désigna un carton ouvert juste sous la télévision … »Adjudant, je l’ai vu en me levant ce matin. Il n’y était pas hier soir et ce qu’il y a dedans ne m’a pas fait rire… »
Desagès connaissait le contenu du colis puisqu’il avait été informé par téléphone mais connaissant les règles de la dramaturgie, se baissa vers le paquet, le contempla un instant sans rien dire puis invita son subordonné à regarder à son tour. « …Du plastic je dirais, avec un réveil et trois fils électriques… même pas branchés…pas de détonateur…ça n’aurait jamais sauté mais je comprends que ça vous inquiète… »
Ange-Etienne était petit,  une soixantaine râblée et aimable en règle générale. D’une vie continentale dont il ne parlait jamais, il avait ramené de quoi reprendre l’affaire de son oncle et vivre sans trop de soucis. Ce matin là, il n’était pas patient. « …Je sais bien que ça n’aurait pas sauté! Celui qui a fait ça, il n’a pas mis de détonateur. Mais, il a mis du plastic. Et s’il en a mis, c’est qu’il en a. J’aime pas l’idée qu’il lui en reste. Parce qu’autant la prochaine fois, la bombe il me la pose vraiment. C’est ça qui m’inquiète et pas cette fausse bombe… »
L’adjudant en convint c’était une espèce d’avertissement. Se tournant vers Pekarski qui faisait l’épagneul en reniflant partout, il lui demanda de prendre des notes. « …Vous n’avez rien entendu?… » Il n’avait rien entendu et le chien non plus, il n’avait pas bronché. « …Ah vous avez un chien?… »
Pekarski par cette question se positionnait dans le débat. Il la trouvait habile. Un fait, pas contestable et pas polémique. Ange-Etienne se fit méprisant en lui désignant du menton une masse de poils agitée par des rêves qui poursuivait sa nuit vautrée dans un coin de la salle. « …Et ça c’est quoi, un âne?… »
Desagès  lança un regard plein de compassion au gendarme bafoué et entreprit de glisser sur l’incident. « …C’est sûr que si l’individu est rentré sans que le chien ne bronche, ça signifie que ce pourrait être un habitué… ». La conclusion s’imposait.
Le murmure désapprobateur de l’assistance qui avait crû entre-temps montra que l’hypothèse était perçue comme insultante pour la communauté villageoise. Vous n’avez trouvé que ça. Quelqu’un d’ici mettre une bombe chez Ange-Etienne. Il ne cherche personne et chez nous personne ne ferait un coup pareil. Les gendarmes sont forts pour mettre u tazzu.
La victime de l’attentat putatif vint pour la première fois de sa vie sans doute au secours de l’autorité. Il a raison l’adjudant! D’abord, il faut savoir où je cache la clé. Après, il faut connaître le chien parce que même s’il ne mord pas, il aboie et ça m’aurait réveillé. Et puis, ils ont même pas allumé sinon je l’aurais vu que ma chambre elle est au-dessus.
Le silence était revenu. Cette intervention pacificatrice aurait pu apaiser les esprits définitivement si Pekarski, remâchant l’affront qui lui avait été fait bien sûr mais aussi soucieux de montrer ses qualités d’enquêteur n’avait fait entendre sa voix. Il doit y avoir un mobile. Il y a toujours un mobile. Dites moi, Monsieur Ange-Etienne, il n’y y aurait pas une rivalité commerciale là-dessous? Il aurait tout aussi bien pu évoquer une affaire de femme mais dans son subconscient, il devait y avoir un dispositif d’alerte qui lui avait enjoint de ne pas aborder, ici et maintenant, cette piste là.
Ange-Etienne pour la première fois, se tourna vers lui mais son discours s’adressait à l’adjudant, seul interlocuteur digne d’intérêt. « …Dites adjudant, il les choisissent pour les envoyer en Corse? Les plus malins sur le continent et les zucche ici! Le carabinier qui vous accompagne, il a pas remarqué que c’est le seul bar de la région ici? Celui qui me fait sauter, après c’est quarante kilomètres qu’il se fait pour boire un pastis. Et les Marlboro, il ira les chercher à Calvi; Rivalité commerciale, il se croit où le détective, sur la Côte d’Azur?… »
D’un geste ferme, le gendarme une nouvelle fois humilié, se vit intimer  le silence par le sourcil froncé de son chef qui connaissait son public depuis assez longtemps pour savoir que dans de pareilles circonstances, on avait un besoin évident d’un coupable de substitution. L’arrivée de la camionnette du boulanger et l’invariable triple coup de klaxon, lui facilitât la tâche. Les rares femmes présentes dans l’assemblée entamèrent un mouvement de retrait. Desagès attendit la fin du mouvement migratoire.
Puis se tournant vers le débitant de boissons, il l’informa que la gendarmerie se retirait également. Vous voulez signer une plainte. Non, pas la peine. Bon, alors nous rentrons à la brigade. Mais, on va quand même surveiller ça. Oui, surveillez. Café? Non, merci, c’est gentil, on a pas le temps. La saison a commencé? Doucement. Le gros des touristes est pas arrivé. Oui. Au revoir. L’adjudant et son collègue, poignée de main pour l’un, hochement réglementaire pour l’autre, repartirent vers leur voiture.

SECB 1978

 

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